N ?t rrm .f> Digitized by the Internet. Archive in 2010 witli funding from University of Ottawa Iittp://www.arcliive.org/details/1764lettrescrit00rous E U V R E s DE J. J. ROUSSEAU. ' TOME N E U F I E M E, CONTENANT LES LETTRES ÉCRITES DE LA MONTAGNE. EN DEUX PARTIES. LETTRES ECRITES DE LA MONTAGNE. tjr y. y. ROUSSEAU. EN DEUX PARTIES» A AMSTERDAM, Chez MARC MICHEL RE T. M D C C L X I V. AVERTISSEMENT. C'EST revenir tarcî, je le fens , fur un fujèt trop rebattu & déjà prefque oublié. Mon état, qui ne me permet plus auCun travail fuivi, mon averfion pour le genre polémique, ont caufë ma lenteur à écrire & ma répugnance à publier. J'aurois même tout à fait fupprimé ces Lettres, ou plutôt je ne les aurois point écrites, s'il n'eut été queftion que de moi : Mais ma Patrie ne m'efl: pas tel'ement devenue étrangère que je puiiTc voir tranquillement opprimer fes Ci- toyens, furtoiît lorfqu'ils n'ont compromis leurs droits 'qu'en défendant ma Caufe. Je ferois le dernier des hommes fi dans une telle occafiou j'écoutois un fentiment qui n'eft plus ni dou- ceur ni patience, mais foibleflTe & lâcheté, dans celui qu'il empêche de remplir îon devoir. ^ Rien de moins important pour le public, j'en co.iviens , que la matière de ces Lettres. La Conftitution d'une petite République, le fort d'un petit particulier, l'expofé de quelques in- juftices, la réfutation de quelques fophiûnes; tout cela n'a rien en foi d'aOfez confidérable pour méiiter beaucoup deLefteurs: Mais fi mes fujets font petits mes objets font grands, & di- gnes de l'attention de tout honnête homme. Laiflbns Genève à fa place , & Rouflfeau dans fa dépreflbn,- mais la Religion, mais la liber- AVERTISSEMENT. té.^ la Julîice! voila, qui que vous foyez, ce- qui n eft pas au deffbus de vous. Qa'on ne cherche pas môme ici dans le ûyle le dedoiîiaseinent de l'aridité de la matière Ceux que quelques traits heureux de ma plu- me ont fi fort irrités trouveront dequoi s'ap- paifer dans ces Lettres. L'honneur de défendre «n opprimé eut enfiamé mon cceur fi j'avois parlé pour un autre. Réduit au triftc emploi d^ nie défendre moi-même, j'ai du me borner à ffaifonner; m'échaufFer eut été m'avilir. J'aurai donc trouvé grâce en ce point devant ceux qui s'imaginent qu'il ell efi-encicl à la vériic detre dite froidement; opinion que pourtant J ai peine à comprendre. Lorfqu'une vive per- ruafion nous anime, le moyen d'employer un langage glacé? Quand .Uchimede tout tranfpor- té couroit nud dans les rues de Syracufe. en avoit-il moins trouvé la vérité parce qu'il fe paflîonnoit pour elle? Tout au contraire, ce- lui qui la fent ne peut s'abftenir de l'adorer r eelui qui demeure froid ne l'a pas vue. Quoi qu'il en foit, je prie les Lefleurs de vouloir bien mettre à part mon beau ftyle, & d'examiner feulement fi je raifonne bien ou mal ; car enfin , de cela fcul qu'un Auteur ' s'exprime en bons termes, je ne vois pas. comment il peut s'eufuivrc que cet Auteur ne fait ce qu'il dit. TABLE DES LETTRES Et de leur contenu. PREMIERE PARTIE. LETTRE PREMIERE. Pag. i Etat de la qiiefîion par rapport à l'Aiteur. Si elle efl' de la compétence des Tribunaux civils. Municre in-' jufte de la refendre. LETTRE IL 42 De la Religion de Genève. Principes de la Réforma^ tioîi. L'Auteur entame la dijcujjion des miracles. L E T T R E III. 70^ Continuation du même Sujet. Court examen de quelques- autres accujatîons. LETTRE IV. 119 L' Auteur Je fitppofe coupable; il compare la procédure à la Loi. LETTRE V. 143 Continuation du même Sujet. Jurijprudence tirée des- procédures faites en cas femblabks. But de lAuteur en publiant la profeffion de foi. LETTRE VI. 205 S'il eji vrai que l'Auteur attaque les Gouvememens. Courte analyfe de fou Livre, La procédure faite à Genève ejifans exemple , ^ n'a été fuivie en aucun SECONDE PARTIE. L E T T R E VII. Psg. 221 Etatpréfa}t du Gouvernement de Genève, fixé par lE- dit de la Médiation. L E T T R E VIII. a6i EJprït de cet Ed't. Contrepoids qu'il donne à la Put/- Jance arlftocratifue. Entreprije du petit Confeil d'a- néantir ce contrepoids par voye de fait. Examen des inconvéniens allégués. Syjléme des Edits fur les etn- prijonneinens. LETTRE IX. 3i() Manière de raifonner de l'Auteur des Lettres écrites de la Caitîpagne. Son vrai but dans cet Ecrit. Choix de ces exemples. CaraStcre de la Bourgeoijie de Ge^ iiéie. Frcuve par les faits. Conclufio:i. . F I N. A V I S au Relieur. 11 y a 4 Cartons qui fe trouvent imprimés avec la feuille marquée d'une étoile , le Relieur aura foin de les placer exademcnt à leur place. AVERTISSEMENT du LIBRAIRE". J'ai fait ce qui a dépendu de moi pour ren- dre réd^tlon de cl's Lettres correcte; il s'y eft néannjoiiis glifl'é quelques fautes d'impreflion, me le leJtcur coriigera aifément. LETTRES LETTRES ECRITES DE LA MONTAGNE. PREMIERE LE T T R E. iNoN, Monfieiir, je ne vous blàme point de ne vous être pas joint aux Répréfentans pour foutenir ma caufe. Loin d'avoir approuvé moi- même cette démarche, je m'y fuis oppofé de touumon pouvoir, & mes parens s'en font reti- rés à ma folicitation. L'on s'eft tu quand il faî- lolt parler; on a parlé quand il ne rtiloit qu'à te taire. Je prévis l'inutilité des répréfentations » j'en prefTantis les confcquences : je jugeai que leurs fuites inévitables troubleroient le repos public, ou changeroient la conftitution de l'E- tat. L'événement a trop juftifié mes craintes. Vous voila réduits à l'alternative qui m'efFra- yoit. La crifc où vous êtes exige une autre dé- libération dont je ne fuis plus l'objet. Sur ce qui a été fait vous demandez ce que vous de- vez faire : vous confidérez que l'effet de ces dé- marches , étant relatif au corps de la Bour- A 2 PREMIERE geoiHe, ne retombera pas moins fur ceux qui s'en font abftenus que fur ceux qui les ont fai- tes. Ainfi, quels qu'aient été d'abord les divers avis, l'intérêt commun doit ici tout réunir. Vos droits réclamés & attaqués ne peuvent plus de- meurer en doute; il faut qu'ils foient reconnus ou anéantis, & c'efl leur évidence qui les met en péril. Il ne falloit pas approcher le flam- beau durant l'orage ; mais aujourd'hui le feu eft à la maifon. Quoiqu'il ne s'agilTe plus de mes intérêts, mon honneur me rend toujours partie dans cet- te affaire; vous le favez, & vous me confultez toutefois comme un homme neutre; vous fup- pofcz que le préjugé ne m'aveuglera point & que la palîîon ne me rendra point injulle: je l'efpere auflî; mais dans des circonftances fi dé- licates , qui peut répondre de foi ? Je fcns qu'il m'efl impoffible de m'oublier dr.ns un.e querelle dont je fais le fujet, & qui a mes mal- heurs pour première caufe. Que ferai-je donc, Monfieur , pour répondre à votre confiance & juftifier votre eflime autant qu'il cCc en moi ? Le voici. Dans la jufte d'^fiance de moi-même , je vous dirai moins mon avis que mes rai- fo-ns : vous les péferez, vous comparerez, & vous choifirez. Faites plus; défiez -vous tou- jours , non de mes intentions ; Dieu l.e fait, «lies font pures ; mais de mon jugement. LETTRE, 3 L'homme le plus jufle, quand il efl ulcéré voit rarement les chofes comme elles font. Je ne veux fûrement pas vous tromper,' mais je puis nie tromper; je le pourrois en toute autre cho- fe , & cela doit arriver ici plus probablement. Tenez- vous donc fur vos gardes , & quand je n'aurai pas dix fois raifoii ne me l'accordez pas une. Voila , Monfieur , la précaution que vous devez prendre, &: voici celle que que je veux prendre à mon tour. Je commencerai par vous parler de moi , de mes griefs , des durs procé- dés de vos Magiftrats ; quand cela fera fait & que j'aurai bien foulage mon cœur, je m'ou- blierai moi-même; je vous parlerai de vous, de votre fituation , c'eft-à-dire, de la Républi- que; & je ne crois pas trop préfumer de moi , Ci j'efpere, au moyen de cet arrangement, traite-i: avec équité la queflion que vous me faites. J'ai été outragé d'une manière d'autant plus cruelle que je me fîatois d'avoir bien mérité de la Patrie. Si ma conduite eut eu befoin de grâ- ce , je pouvcis raifonnabkment efpérer de l'obtenir. Cependant , avec un emprelTement fans exemple , fans avertiffement , fans cita- tion, fans examen, on s'eft hâté de flétrir mes Livres ; on a fait plus ; funs égard pour mes malheurs pour mes maux pour mon état, on a tiécrétc mu perfonne avec la même précipiti'» A 4 t, PREMIERE tion, l'on ne m'a pas môme épargné les ter- mes qu'on employa pour les malfaiteufs. Ces Lleflîeurs n*ont pas été indulgens, ont ils du moins été juftes ? C'eft ce que je veux rec4ier- cher avec vous. Ne vous effrayez pas , je vous prie, de l'étendue que je fuis forci de donner à ces Lettres. Dans la multitud-^ de quelliions qui fe préfentent, je voudrois être lobre en paroles : mais, Monfieur, quoi qu'on puiffe faire, il en faut pour raifonner. ^ RaiTemblons d'abord les motifs qu'ils ont donnés de cett€ procédure, non dans le réqui- lîtoire, non dans l'arrêt, porté dans le fecret, & rpi;llés pour téuiçigr.g. LETTRE. ï3 fois rén^lues décideront (i j'^ù été traité jufle- uicnt ou non. . . Pour ravoir fi j'ai écrit des Livres perniCLeux il faut en examiner les principes, & voir ce an il en réfalteroit fi ces principes etoient ad- ll. Comme j-ai traité beaucoup de matières. ;e dois me reftraindre à celles fur lefquellesi. fuis pourfuivi. ravoir, la Religion & le Goii- vcrn ment. Commençons par le premier arti- cle, à l'exemple des juges qui ne fe lont pas evnli'iués fur le fécond. ■ On trouve dans l'Emile la profefTion de foi d'.n Prêtre Catholique. & dans l'Hélolfe celle d'.ne femme dévote: Ces deux Pièces s'accor- d^nt affez pour qu'on puiffer expliquer l'une par lC,rrc & de cet accord on peut préfumer a- vec nu'elque-vraifemblanceque fi l'Auteur qur a publié les Livres où elles font contenues ne le. ;dopte pas en entier r une & l'autre, du moins 1 les favorife beaucoup. De ces deux profef- fions de foi la première étant la plus étendue & la feule où l'on ait trouvé le corps du délit, doit être examinée par préférence. . Cet examen, pour aller à fon but, rend cn- ■ corc un éclairciiTement néceffaire. Car remar- nuez bien qu'édaircir & diftinguer les propofi- tions que brouillent & confondent mes accufa- teurs, c'eft leur répondre. Comme ils difpu- .ont conu-e l'évidence , quand la queftion efl A 7 n PREMIERE bien pofée , ils font réfutés. Je diftingue dans la Religion deux pnrtics, entre la forme du culte, qui n'eft qu'un ccré- monial. Ces deux parties font le dogme & la morale. Je divife les dogmes encore en deux parties; favoir, celle qui pofant les principes de nos devoirs fert de-bafe à la morale, & cel- le qui, purement de foi, ne contient que des dogmes fpéculatifs. De cette divifion , qui me paroit exafle, réfulte celle des fentimens fur la Religion d'u- ne part en vrais faux ou douteux , & de l'autre en bons mauvais ou indifférens. Le jugement des premiers appartient à la laifon feule, & files Théologiens s'en font em- parés , c'eft comme raifonneurs , c'eft comme profeffeurs de la fcience par laquelle on par- vient à la connoifTance du vrai & du faux en matière de foi. Si l'erreur en cette partie efl: nuifible, c'ell: feulement à ceux qui errent , & c'eft feulement un préjudice pour la vie à ve- nir fur laquelle les Tribunaux humains ne peu- vent étendre leur compétence. Lorfqu'ils con- noilTent de cette matière, ce n'efl plus connne Juges du vrai & du faux, mais comme Minif. très des Loix civiles qui règlent la forme ex- térieure du culte : il ne s'agit pas encore ici de cette partie; il en fera traité ci -après. Quant à la paitie de la ileligion qui rc^ar- LETTRE. 15 ae la morale, c'cd-à- dire , la jullicc, le bien public, l'obéiiïlince aux Loix naturelles & po- fitives , les vertus fociales & tous les devoirs de l'homme & du Citoyen , il appartient au Gouvernement' d'en connoître : c'cfl en ce point feul que la Religion rentre direftement fous fa jurifdi6lion , & qu'il doit bannir, non l'erreur, dont il n'eft pas juge , mais tout fentiraent nuifible qui tend à couper le- nœud focial. Voila , Monfieur , la diftindion que vous a- vez à faire pour juger de cette Pièce, portée au Tribunal, non des Prêtres, mais des Magif- trats. J'avoue qu'elle n'ed pas toute afiîrmati- ve. On y voit des objeclions & des doutes. Pofons , ce qui n'ell: pas , que ces doutes foient , des négations. Mais elle eil: afSrraative dans fa plus grande partie; elle eft affirmative & dé- monftrative fur tous les points fondamentaux de la Religion civile ; elle eil tellement déci- five fur tout ce qui tient à la Providence éter- nelle, à l'amour du prochain, à la juflice, à la paix , au bonheur des hommes , aux Loix de Ix fociété, à toutes les vertus, que les o'ûjecTions les doutes mêmes y ont pour objet quelque a- .antage, & je défie qu'on m'y montre un feul ' point de dodrine attaqué que je ne prouve ê- tre nuifible aux hommes ou par lui-même ou par fes inévitables effets. 5^ P R E INI I E R E' La Religion efl: utile & même ncceflaire aux Peuples. Cela n'eft-il pas dit foutenu prouvé dans ce même Ecrit? Loin d'attaquer les vrais principes de la Religion , l'Auteur les pofe les afFermit de tout fon pouvoir ; ce qu'il attaque, ce qu'il combat, ce qu'il doit combattre, c'eft le fanatifme aveugle, la fuperflition cruelle, le ftupide préjugé. Mais il faut, difent ils , ref- pecter tout cela. Mais pourquoi ? Parce que c'eft ainfi qu'on mené les Peuples. Oui, c'oft ainfi qu'on les mené cà leur perte. La fuperfli- tion ed: le plus terrible fléau du genre humain; elle abbrutit les fîmples, elle pcrfécute les fa- ges, elle enchaîne les Nations , elle fait par tout cent maux effroyables : quel bien fait-elle ? Aucun; fî elle en fait, c'eft aux Tyrans ; elle eft leur arme la plus terrible , . & cela môme dli le plus grand mal qu'elle ait jamais fait. Ils difent qu'en attaquant la fupcrfi:rtion je veux détruire la Relfgion même : comment le favent-ils ? Pourquoi confondent -ils ces deux caufes , que je diftingue avec tant de foin ? Comment ne voyent-ils point que cette impu- tation réfléchit contre eux dans toute fa force, & que la Religion n'a point d'ennemis plus terribles que les défenfeurs de la fupcrftition? ]l feroit bien cruel qu'il fut fî aifé d'inculper l'intention d'unliomme, quand il eft fi diilici- L E T T K E 17 ie de la iiiftifier. Par cela même qu'il n'eft pas prouvé qu'elle eft mauvaife, on la doit juger bonne. Autrement qui pourroit être à l'abri des jugemens arbitraires de fes ennemis ? Quoi ! leur fimple ar^rmction fait preuve de ce qu'ils De peuvent favoir, & la mienne , jointe à tou- te ma conduite , n'établit point mes propres fentimens? Quel moyen me rel1:e donc de les faire connoitre? Le bien que je fens dans mon cœur je ne puis le montrer, je l'avoue; mais quel eft l'homme abominable qui s'ofe vanter d'y voir le mal qui n'y fut jamais? Plus on feroit coupable de prêcher l'irréli- gion, dit très bien M. d'Alerabert, plus il eft criminel d'en accu fer ceux qui ne la prêchent pas en effet. Ceux qui jugent publiquement de mon Chriftianifme montrent feulement Tef- pece du leur, & la feule chofe qu'ils ont prou- vée eft qu'eux & moi n'avons pas la même Re- ligion. Voila précifément ce qui les fâche : on fent que le mal prétendu les aigrit moins que le bien môme. Ce bien qu'il font forcés de trouver dans mes Ecrits les dépite & les gêne; réduits à le tourner en mal encore , Us fentent qu'ils fe découvrent trop. Combien ils feroient plus à leur aife fi ce bien n'y étoit pas! Quand on ne me juge point fur ce que j'ai dit , mais fur ce qu'on alfare que j'ai voulu di- le , quand on cherche dans mes. intentions U, 18 PREMIERE mal qui n'efl pas dans mes Ecrits , que puis-j'e faire ? Ils démentent mes difcours par mes penfées; quand j'ai dit blanc ils affirment que j'ai voulu dire noir ; ils fe mettent à la pla- ce de Dieu pour faire l'œuvre du Diable ; com- ment dérober ma tête à des coups portés de fi haut? Pour prouver que l'Auteur n'a point eu l'horrible intention qu'ils lui prêtent je ne vois qu'un moyen; c'efl: d'en juger fur l'Ouvrage. Ali! qu'on en juge ainfi, j'y confens; mais cet- te tâche n'efl: pas la mienne, & un examen fui- vi fous ce point de vue foroit de ma part une indignité. Non, Monfieur, il n'y a ni malheur ni ilétrilTurc qui puiffenc me réduire à cette ab- jection. Je croirois outrager l'Auteur l'Editeur le Lc>.1;eur mêine, par une juflification d'autant plus honteufc qu'elle cft plus facile; c'cfl dé- grader la vertu que montrer qu'elle n'efl: pas un crime; c"cfl: obfcurcir l'évidence que prou- ver qu'elle efl la vciité. Non , lifcz & jugez vous-même. Malheur à vous , fi, durant cectc ledlure , votre cœur ne bénit pas cent fois l'homme vertueux & ferme qui ofe inftruire ainfi les humains! Eh! comment me réfoudrois - je à juflifu'r cet ouvrage? moi qui crois effacer par lui les fautes de ma vie entière ; moi qui mets les maux qu'il m'attire en compcnlation de ceux L E T T ïl s, î^ • èiverai faits, moi qui, plein de confiance ef^ ■ perc un jour dire au Juge Suprême : daigne ju- ger dans ta clémence un homme foible; j'ai fait le mal fur la terre, mais j'ai publié cet E* crit. Mon cher Moniïeur, permettez à mon cœur gonflé d'exhaler de tems en tems fes fonpirsî mais foyez fur que dans mes difcuffions je ne mêlerai ni déclamations ni plaintes. Je n'y met- trai pas même h vivacité de mes adverfaires? je raifonnerai toujours de fang- froid. Je re- viens donc. Tâchons de prendre un milieu qui vous la- tisfaffe, & qui ne m'aviliiTe pas. Suppofons ua moment la profeffion de foi du Vicaire adop- tée en un coin du monde Chrétien, & voyons ce qu'il en réfulteroit en bien & en- mal. Ce ne fera ni l'attaquer ni la défendre; ce fera la. juger par fes effets. Je vois d'abord les chofes les plus nouvelles fans aucune apparence de nouveauté ; nul chan- gement dans le culte & de grands changemens dans les cœurs, des convcrfions fans éclat, de la foi fans difpute, du zèle fans fanatifme, de la raifon fans impiété , peu de dogmes & beau- coup de vertus , la tolérance du philo fophe & la charité du Chrétien. Nos profélytcs auront deux règles de foi qui n'en font qu'une, h raifon & l'Evangile; la fc-_ ad PREMIERE conde fera d'autant plus immuable qu'elle ne fe fondera que fur la première , & nullement fur certains faits , lefquels aj^ant befoin d'être at- telés, remettent la Religion fous l'autorité des hommes. Toute la différence qu'il y aura d'eux aux autres Chrétiens eft que ceux-ci font des gens qui difputcnt beaucoup fur l'Evangile fans fe foucier de le pratiquer , au lieu que nos gens s'attacheront beaucoup à la pratique, & ne dif- puter.ont point. Quand les Chrétiens difputeurs viendront leur dire. Vous vous dites Chrétiens fans l'ê- tre; car pour être Chrétiens il faut croire en Jéfus- Chrift, & vous n'y croyez point; les Chrétiens paifibles leur répondront : ,, Nous „ ne favons pas bien fi nous croyons en Jéfus- j, Chrift dans votre idée, parce que nous ne ' „ l'entendons pas. Mais nous tâchons d'ob- „ ferver ce qu'il nous prefcrit. Nous fommcs „ Chrétiens, chacuns à notre manière, nous ,, en gardant fa parole, & vous en croyant en „ lui. Sa charité veut que nous foyons tous „ frères , nous la fuivons en vous admettant „ pour tels ; pour l'amour de lui ne nous ôtez „ pas un titre que nous honorons de toutes „ nos forces & qui nous eft aufîî cher qu'à' „ vous." Les Chrétiens difputeurs inlifteront fansdou' LETTRE. 2ï te. En vous renomiHant de Je fus il faiidroit Dous dire à quel titre ? Vous gardez , dites-, -vous, fa parole, mais quelle autorité lui don- nez vous ? ReconnoiiTiz-vous la Révélation? Ne la reconnoiffez - vous pas ? Admettez- vous l'Evangile en entier, ne l'admettez- vous qu'en partie? Sur quoi fondez -vous ces diftinaions? - Plalfans Chrétiens , qui marchandent avec le maître , qui choififfent dans fa doftrine ce qu'il leur plait d'admettre & de rejetter 1 A cela les autres diront paifiblement. „ Mes ;, frères, nous ne marchandons point; car no- tre foi n'eft pas un commerce : Vous fup- " pofez qu'il dépend de nous d'admettre ou de '' reietter comme il nous plait; mais cela n'eft pas, & notre raifon n'obéit point à notre [] volonté. Nous aurions beau vouloir que ce qui nous paroit faux nous parut vrai , il '' nous paroitroit faux malgré nous. Tout ce ',', qui dépend de nous efl: de parler félon notre penfée ou contre notre penfée, & notre feul ", crime .eft de ne vouloir pas vous tromper. Nous reconnoiffons l'autorité de Jéfus- Chrift , parce que notre intelligence acquief. ce à fes préceptes & nous en découvre la fublimité. Elle nous dit qu'il convient aux [\ hommes de fuivre ces préceptes , mais qu'il „ étoit au delTus d'eux de les trouver. Nous „ admettons la Révélation comme émanée de 22 PREMIERE „ l'ETprit de Dieu, fans en favoir la manière, „ & fans nous tourmenter pour la découvrir : „ pourvu que nous fâchions que Dieu a par- „ lé, peu nous importe d'expliquer comment „ il s'y eil pris pour fe faire entendre. Ainfi „ reconnoifllint dans l'Evangile l'autorité divi- „ ne, nous croyons Jéfus-Chrift rcvctu de cet- „ te autorité ; nous reconnoidons une vertu ;, plus qu'humaine dans fa conduite, & une fa- „ geffe plus qu'humaine dans fes leçons. Voi- ,, la ce qui ed: bien décidé pour nous. Com- „ ment cela s'eft-il fait ? Voila ce qui ne l'eO: „ pas; cela nous pafTe. Cela ne vous paffe „ pas , vous ; à la bonne heure ; nous vous en „ félicitons de tout nôtre cœur. Votre raifoii „ peut être fupérieure à la nôtre; mais ce n'eft „ pas à dire qu'elle doive nous fervir de Loi. „ Nous confentons que vous fâchiez tout ; „ foufFrez que nous ignorions quelque chofe. ,, Vous nous demandez fi nous admettons „ tout l'Kvangilc; nous admettons tous les en- „ feignemens qu'a donné Jéfus-Chrift. L'uti- „ lité la néceflîté de la plupart de fes enfei- „ gnemens nous frape & nous tâchons de nous „ y conformer. Quelques-uns ne font pas A „ notre portée; ils ont été donnés fans doute „ pour des efprits plus intclligcns que nous. „ Nous ne croyons point avoir atteint les li- „ mites de la raifon humahie, &; les hommes X, E T T R E. S3 plus pénétrans ont befoln de préceptes plus élevés. Beaucoup de chofes dans lEvangile paf- fcnt notre raifon , & môme la choquent ; nous ne les rejettons pourtant pas. Con- vaincus de la foibleffe de notre entende- ment, nous favons refpeaer ce que nous ne pouvons concevoir , quand l'afTociation de ce que nous concevons nous le fait juger fupérieur à nos lumières. Tout ce qui nous eft néceflaire à favoir pour être faint.g nous paroit clair dans l'Evangile; qu'avons- , nous befoin d'entendre le refte ? Sur ce point nous demeurerons ignorans mais exempta d'erreur , & nous n'en ferons pas moins gens \ de bien; cette humble réferve elle-même efc , l'efprit de l'Evangile. Nous ne refpeaons pas précifément ce Livre Sacré comme Livre, mais comme la ] parole & la vie de Jéfus-Chrift. Le carac. tere de vérité de fageiTc & de fainteté qui s'y trouve nous aprend que cette hiiloire „ n'a pas été effenciellement altérée (4), mais „ il n'cfl: pas démontré pour nous qu'elle ne (4) Où en feroient les fimples fidelles, fi l'on ne pouvoit favoir cela que par des difcutions de critique , ou par l'autorité des Fadeurs ? De quel front ofe-t-on faire dépendre la toi de tant de fcience ou de tant de foumifîion ? «4- PREMIERE „ l'ait point été du tout. Qui fait fi les cho- ., fes que nous n'y comprenons pas ne font „ point des fautes gliffées dans le texte? Qui „ fait fi des Difciples fi fort inférieurs à leur „ mtiître l'ont bien compris & bien rciidu par „ tout? Nous ne d'écidons point là- dcfTus, „ nous ne préfumons pas même, & nous ne ,, vous propofons des conjcdures que parce „ que vous l'exigez. ,, Nous pouvons nous tromper dans nos i- „ dées , mais vous pouvez auffi vous tromper „ dans les vôtres. Pourquoi ne le pourriez- „ vous pas étant hommes? Vous pouvez avoir „ autant de bonne foi que nous, mais vous ,, n'en fauriez avoir davantage : vous pouvez „ être plus éclairés, mais vous nctes pas in- „ faillibles. Qui jugera donc entre les deux. „ partis ? fera - ce vous ? cela n'efl: pas jufte. „ Bien moins fera- ce nous qui nous défions Ci „ fort de nousmômes. LaiiTons donc cette dé- ,, cifion au juge commun qui nous entend, & „ puifque nous fommes d'accord fur les règles „ de nos devoirs réciproques, fupportcz-nous „ fur leredie, comme nous vous fupportons. „ Soyons hommes de paix, foyons frères; u- ,, nifibns nous dans l'amour de notre commun ,, maître , dans la pratique des vertus qu'i! „ nous prefcrit. Voila ce qui fait le vrai Chré- „ tien. „ Que L E T T ^ E. as ■„ Que Cl vous vous obilinez à nous rcfufer ce précieux titre ; après avoir tout fait pour vivre fraternellement avec vous, nous nous confo- Icrons-de cette injuftice, en fongeant que les mots ne font pas les chofes , que les premiers difciples de Je fus ne prenoient point le nom de Chrétiens, que le martir Etienne ne le porta jamais , & que quand Paul fut conver- ti à la foi de Chrifl, il n'y avoit encore au* „ cuns Chrétiens (5) f^ir la terre. " Croyez-vous, Monfieur, qu'une controverfe einfi traitée fera fort animée & fort longue, & qu'une des Parties ne fera pas bientôt réduite au filence quand l'autre ne voudra point difputer. Si nos Profélytes font maîtres du pays oîi ils vivent , ils établiront une forme de culte auffi fimple que leur croyance, & la Religion qui réfultera de tout cela fera la plus utile aux hommes par fa fimplicité même. Dégagée de tout ce qu'ils mettent à la place des vertus , & n'ayant ni rites fuperftitieux , ni fubtilités da?ns la doctrine elle ira toute entière à fon vrai but, qui efl: la pratique de nos devoirs. Les mots de dévot & d'orthodoxe y feront fans ufage; la monotonie de certains fons articulés n'y fera pas la piété; il n'y aura d'impies que les mé« (5) Ce nom leur fut donné quelques années t- prcs à Antioche pour la première fois. b6 PRE M 1ERE chans, ni de fidelles que les gens de bien. Cette inftitution une fois faite, tous feront obligés par les Loix de s'y foumettre, parce qu'elle n'cfl point fondée fur l'autorité des hommes, qu'elle n'a rien qui ne foit dans Tor- dre des lumières naturelles, qu'elle ne contient aucun article qui ne fe rapporte au bien de la ■fociété, & qu'elle n'eft mêlée d'aucun do^rae inutile à la morale, d'aucun point de pure fpé- culation. Nos Profélytes feront-ils intolérans pour ce- la ? Au contraire , ils feront tolérans par prin- cipe, ils le feront plus qu'on ne peut l'être dans aucune autre doftrine , puifqu'ils admctr iront toutes les bonnes Religions qui ne s'ad« mettent pas entre elles, c'cll:- a- dire, toutes celles qui ayant l'eflenciel qu'elles négligent, font l'eflenciel de ce qui ne l'eft point. En s'attachant, eux, à ce fcul effenciel , ils laiflc- ront les antres en faire à leur gré l'acceflbire, pourvu qu'ils . ne le rejettent pas; ils les laif- feront expliquer ce qu'ils n'expliquent point, décider ce qu'ils ne décident point. Ils laiffe* ront à chacun fcs rites, fes formules de foi, fa croyance: ils diront; admettez avec nous les principes des devoirs de l'homme & du Citoyen; du rcfte, croyez tout ce qu'il vous plaira. Quant aux Religions qui font eflenciellement mauvai- fcs, qui poitent l'hûinmc à faire le mal, ils ne LETTRE. î7 les toléreront point; parce que cela m^^me eft contraire à la véritable tolérance , qui n'a pour but que la paix du genre humain. Le vrai to- lérant ne tolère point le crime, il ne tolère au- cun dogme qui rende les hommes méchans. Maintenant fuppofonc; au contraire, que nos Profélytes foient fous la domination d'autrui: comme gens de paix ils feront foumi^ aux Loiic de leurs maîtres , même en matière de Reli- gion , à moins que cette Religion ne fut efifen- eiellement mauvaife; car alors, fans outrager ceux qui la profefient, ils rcfuferoient de la profeffer. Ils leur diroient; puifque Dieu nous appelle à h fervitude, nous voulons être de bons- fervitcurs, & vos fentimens nous empo- chcroient de l'être; nous connoiflbns nos de- voirs nous les aimons , nous rejettons ce qui nous en détache; c'eft afin de vous être «dél- ies que nous n'adoptons pas la Loi de l'iniquité. Mais fi la Religion du pays eft bonne e.i elle- môme, & que ce qu'elle a de mauvais foie feulement dans des interprétations particuliè- res, ou dans des dogmes purement fpécuhtifs; ils s'attacheront à l'effenciel & toléront le relie, tant par refpecc pour les Loix que par amour pour la paix. Quand ils feront appelle à dé- clarer exprefTément leur croyance, ils le fe- ront, parce qu'il ne faut point mentir; ils dî- lonc au bcLoin leur fentixnenî avec fermeté , B a èS P s. E ïvl 1ERE même avec force; ils fe défendront par la rii- fon fi on les attaque. Du refte, ils ne difpu- teront point contre leurs frères, & fans s'obfli- ner à vouloir les convaincre , ils leur relieront unis par la charité , ils afllfteront à leurs afTem- blées , ils adopteront leurs formules, ôc n« fc croyant pas plus infaillibles qu'eux, ils fe fou- mettront à l'avis du plus grand nombre, en ce qui n'intérelTe pas leur confcicnce & ne leur parole pas importer au falut. Voila le bien, me direz -vous, vo^-ons le Bial. 11 fera dit en peu de paroles. Dieu ne fera plus l'organe de la méchanceté des hom- mes. La Religion ne fervira plus d'inftrument à la tyrannie des gens d'Eglife & à la vengeance des ufurpateurs; elle ne fervira plus qu'à ren- dre les croyans bons & juftes; ce n'ell pas là le compte de ceux qui les mènent: c'ell pis pour .eux que fi elle ne fervoit à rien. Ainfi donc la doftrine en queftion efl bonne au genre humain & mauvaife à fes opprefleurs. Dans quelle clafle abfolue la faut-il mettre ? J'ai dit fidellement lé pour & le contre ; compa- rez & choififfcz. Tout bien examiné , Je crois que vous con- viendrez de deux chofes: l'une que ces hom- mes que je fuppofe fe conduiroitnt en ceci très conféquemment à la profefllon de foi du ¥icaire; l'autre que cette conduite fcroit non. LETTRE. iP feulement irréprochable mais vraiment Chrétien- ne & qu'on auroit tort de refufer à ces hom- mes bons & pieux le nom de Chrétiens; puvf- qu'ils le mériteroient parfaitement par leur con- duite, & qu'ils feroient moins oppofés par leurs fentimens à beaucoup de fe6les qui le prennent & A qui on ne le difpute pas, que plufieurs de ces mêmes feftes ne font oppoféeg entre elles. Ce ne feroient pas, fi l'on veut, dec Chrétiens à la mode de Saint Paul qui étoit nnurcllement perfécuteur , & qui n'avoit paff entendu JéfusChrift lui même; mais ce fôroient des Chrétiens à la mode de Saint Jaques . choifi par le maître en perfonne & .qui avoit reçu de fa propre bouche les inflruaionsqu'iV nous tranfmet. Tout ce raifonnement efl bien fimple, mais il me paroit concluant. Vous me demanderez peut-être comment on peut accorder cette do^rine avec celle d'im homme qui dit que FEvangile eft ab fur de & pernicieux à la fociété ? En avouant franche- ment que cet accord me paroit difficile, je vous demanderai à mon tour oh eft cet homme qui dit que l'Evangile eft abfurde & pernicieux? Vos Meffieurs m'accufent de l'ax^oir dit; & cil ? Dans le Contrat Social au Chapitre de la Religion civile. Voici qui cft fingulier! Dane ce môme Livre & dans ce même Chapitre je penfe avoir dit précifément le contraire : i^ So PREMIERE penfe avoir dit que l'Evangile ell fublime & le plus fort lien de la fociété (6). Je ne veux pas taxer ces Mclïïeiirs de menfonge; mais a- vouez que deux propofitions fi contiaires dans le même Livre & dans le môme Chapitre doi- vent faire un tout bien extravagant. N'y auroit-il point ici quelque nouvelle cqui« voque, à la faveur de laquelle on me rendit •plus coupable ou plus fou que Je ne ficis? Ce mot de Socitté préfente un fens un peu vague : il y a dans le monde des fociétés de bien des fortes, & il n'cft pas impoÏÏîble que ce qui fert à l'une nuife à l'autre. Voyons : la métho- de favorite de mes aggreiTcurs eft toujours d'olfriravec art des idées indéterminées ; conti- Buons pour toute réponfe à tâcher de les fixer. Le Chapitre dont je parle eft deftiné, com- me on le voit par le titre,, à examiner com» nient les inflitutions religieufes peuvent entrer dans la coniliuition de l'Etat. Ainfi ce donc il s'agit ici n'cft point de confîdérer les Reli* gions comme vrayes ou fan/Tes , ni même corn- me bonnes op mauvaifes en ellgs-mêmes, m;us de les confidérer uniquement par leurs rap. ports aux corps politiques, & comme parties ce ia Légiflation. f6) Contraet Social L. lY, Chap. 8. p. 310-3.XL é€i'£diuoji iû-s. LETTRE. 5ï Dans cette vue. l'Auteur fait voir que to'i- tes les anciennes Religions, fans en excepter lo iuive, furent nationnales dans leur origme ;ropviéesincorporéesàrEtat,& formant la bafe ou du moins faifant partie du Syacme le- ^'^Lc Chr.iflianifme, au contraire, eft dans fon principe une Religion univerfelle, qui n'a nen d-exclufif, rien de local, rien de propre a .e. pa^ plutôt qu'à tel autre. Son divin Autet. embraffant à;.lement tous les ^^ommes dans a charité fans bornes, ert venu lever la bsnieie oui féparoit les Nations, & réunir tout le gén- ie humain dans un peuple de frères: car en toute Nation cehd ^id le craint ^ qui s aaonne , la p^ice lui ejî agréalie (1). Tel eft le vér. table efprit de l'Evangile. Ceux donc qui ont voulu faire du Chult.a- i.ifme une Religion nationnale & 1 introduire comme partie conftitutive dans le fyftemede la Légiflation, ont fait par là deux fautes nuifi- b^es, l'une à la Religion, & l'autre al Etat lis- te font écartés de l'efprit de jéfus-Chrift dont le règne n'eft pas de ce monde. .\ mêlant aux intérêts terrcftres ceux de la Religion, i s ort touillé fa pureté célefte, ils en ont fait 1 arme ii) AO. X. 33. 3!^ PREMIERE des Tyrans & l'inflrument des perfécuteurs. Ils n'ont pas moins bleffé les faines maximes de !a politique, piiifqu'au lieu de /împliner h machi. ne du Gouvernement, ils l'ont compofée, ils lui ont donné des refforts étrangers fupcrïïus , à raffujctiflant à deux mobiles difFérens, fou* vent contraires, ils ont caufé les tiraillèmens- qu'on fent dans tous les Etats Chrétiens où Von a fait entrer la Religion dans le fyfléme poli- tiquei Le parfait Chriftianifme eft l'inftitution fo- etale univerfelle; mais pour montrer qu'il ne(ï point un établifTement politique & qu'il ne conr court point aux bonnes inftitutions particulie^. Jes, il falloit ôter les Sophifmes de ceux qui. mêlent la Religion à tout, comme une prifc: avec laquelle ils s'emparent de tout. Tous les. établiffemens humains font fondés fur les paf- fions humaines & fe confervent par elles: ce qui combat & détruit les paflîons n'eft donc- pas propre A fortifier ces établifTemens. Corn- ment ce qui détache les cœurs de la terre nous donneroit-il plus d'intérêt pour ce qui s'y fait? comment ce qui nous occupe uniquement d'u- ne autre Patrie nous attacheroit- il davantase i celle-ci? ^ Les Religions nationnales font utiles à l'E- tat comme parties de fa conflicution, cela elt inconteflabici m»is elles font nui/îbles au Gen- re L E- T T K a 81' ve. humain, & même à l'Etat dans un autre fen^-. rai montré comment & pourquoi. Le Chriftianifmc, au contraire, rendant le? hommes juftes modérés amis de la paix, eft tiès avantageux à la fociété générale ; mais il énerve la force du reObrt politique, il compli- que les mouvcmens de la machine, il rompt l'unité du corps moral , & ne lui étant pas affez^ approprié il faut qu'il dégénère ou qu'il deraeiï-- re une pièce étrangère & embarraffante.-- Voila donc un préjudice & des inconvénicns des deux côtés relativement au corps folitiqu©.- Cependant il importe que l'Etat ne foit pas fans- Religion , ô: cela importe par des raifons gra- ves , fur lefquelles j'ai par tout- fortement in- fifté': mais il vaudroit misux encore n'en point - avoir , que d'en avoir une barbare & perfécu^ tante 'qui, tyrannifant les Loix mêmes, con=- tr.irieroit les devoirs du Citoyen. On dirol^ rue tout ce qui s'eû paffé dans Genève A moa égard n'cft fait que pour établir ce Chapitre en exemple, pour prouver par ma propre hiftoirs- que j'ai très bien raifonné. Que doit faire un fage Légiflateur dans cette alternative? De deux chofes l'une. La premiè- re, d'établir une Religion purement civile, dans laquelle renfermant les dogmes fondamentaux. de toute bonne Religion , tous les dogmes vrai- ment utiles à la fociété, foit univçifelk foiî B f i M F It E M r E R E- particulière, il omette tous les rutres qui peu^ vent importer à la foi, mais nullement au bieiî^ terreflre, unique objet de la Légiflation : car comment le myftère de la Trinité, par exem- ple, peut -il concourir à la bonne confîitution- de. lEtat, en quoi fes membres feront-ils meil- feui-G Citoyens quand ils auroiit rejette le méri- ÎSL- des bonnes œuvres , & que fait au lien de & fodété civile le dogme du péché originel?' Bien; que le vrai Chriftianifme foit une inftitu. ûion. de paix, qui ne voit que le Chriflianifme dogmatique ou théologique efl, parla multitu- de & l'obfcurité de fes dogmes, fur- tout par l'obligation de les admettre, un champ de ba- taille toujours ouvert entre les hommes, & ce- lU. fans qu'à force d'interprétations & de déci- lions- on puiile prévenir de nouvelles difputes fur, les décifions mêmes? L'autre expédient eft de laifTer le Chriftia- nifme tel qu'i.l elî dans fon véritable efprit, li. bre,, dégagé de tout lien de chair, fans autre- obligation que celle de la confcience, fans ati^ iîc gtne dans les dogmes que les mœurs & les Loix; La Religion Chrétienne eft, par la pu* iieté de fa morale, toujours bonne & faine dans llEtat , pourvu qu'on n'en faffe pas une partie dèfà CDnfïitution , pourvu qu'elle y foitadmife uniquement comme Religion, fentiment, opi- îïxoa,. croyance; ims coinuie Loi poJiticivie,. L È t T R fî'. ^ feChriflianifme. dogmatique eft un mauvais éta- Telle eft , Monfieur , la plus forte confe- quence qu'on puiffe tirer de ce Chapiti. ou bien loin de taxer \, pur £^an§./. (8) d .tre pernicieux à la fociété, je le trouve , en quel- que forte, tropfociable, einbrafTant trop tout le .enre humain pour une Légiûation qui aoit être exclufive; infpirant l'humanité plutôt que 1-e patriotifme, & tendant à former des hommes plutôt que des Citoyens (9). Si je me fuis trompé j'ai fait une erreur en politique, mais où eft mon impiété? La fc'ence du falut & celle du GouvcTne- ment font très différentes; vouloir que la pre- mierc embralTe tout eft un fanatlfme de petit efprit; c'eft penfer comme les Alchymiftcs, qui 'rs^ Lettres écrites de la Campngne p. ?o (0) C'cft merveille de voir l'alTortnnent de beauîî femimcns qu'on va nous ^f-^^^'^^^Vt^^^^^^^^ Il ne flmt pour cela que des mots, c. les veitu. en papier ne coûtent guercs; mais c^^es ne sa- ïïncent pas tout-a-fait ainfidans le cœur de Ihom- m^ & il y a loin des peintures aux rea itcs Le p^ti-iotiâneà l'humanité font, par exemple deuv Icrtus incompatibles dans leur énergie, cyurtout chez un peuple entier. Le Légillatcurqui les vou- dra toutes diux n'obtiendra ni l'une m 1 autre-; cet ■Ircord ne s'eft jamais vu; il ne fe verra jamai^. parce qu'il eft contraire à la nature, &. quo|?,ft^ peut donner dew^ objets à la même pafiiOD. 35 P R E M I E, R. E dans l'art de faire de l'or voyent auflî Id méde^- eine univerfelle , ou connne les Mahométans- qui prétendent trouver toutes les fciences dans l'Alcoran. La do^rine de l'Evaiîgile n'aquim. objet; c'efl: d'appeller & fauver tous les hom- mes; leur liberté, leur bien être ici-bas n'y en- tre pour rien, Jéfus l'a dit mille fois. Mêler à cet objet des vues terreflres, c'eft altérer fa Cmplicité fublime, c'eft fouiller fa fainteté par des intérêts humains : c'ell cela qui eft vraiment une impiété. Ces diftinaions font de tous teras établies.. On ne les a confondues que pour moi feul. Ea étant des Inftitutions nationnales la Religion C3-:rétienne , je l'établis la meilleure pour la genre humair, L'Auieur de l'Efprit des Loix a- t'ait plus; il a dit que la mufulmane étoit la, meilleure pour les contrées afiatiques. Il rai- fonnoit en politique, & moi auffi. Dans quel pays a-t-on cherché querelle, je ne dis pas à l'Auteur j mais au Li\^re (lo). Pourquoi donc fuis -je coupable, ou pourquoi nerécoit-i! pas? Voila, MonOeur, comment par, des extraits; (lo) Il efl; bon de remarquer que le Livre de rEfprit des Loix fut imprimé pour la première fois i Genève, fans que les Schoiarques y trouvaflcnt iieiï à reprendre, & quectf fut m Pafteur qui cor- îigta i£{SiUvii... ■ fRlelles un critiqua équitable parvienfà coniiaî-- tre les vrais fentimens d'un Auteur & le deffem^ d^'ns lequel il a compof^ fon Livre. Qu'on exa^- îRine tous les miens pai- cette méthode, je nt-. crains point les jugemens que tout honnête: homme en pourra porter. Mais ce n'eft pas ain- fi que ces Meffieurs s'y prennent, ils n'ont gar- de, ils n'y trouveroicnt pas ce qu'ils cherchent. Dans le projet de me rendre coupable à tout- prix, ils écartent le vrai but de l'ouvrage; ils^ lui donnent pour but chaque erreur chaque né-- gligence échapée ù l'Auteur,, & fi par hazard il-^ lailTe un paiTage équivoque , ils ne manquent- pas de l'interpréter dans le fens qui n'eft pas le fien. Sur un grand champ couvert d'une moif- fmi fertile, ils vont triant avec foin quelques- mauvaifes plantes, pour accufer celui, qui l'a fe- mé d'être un empoifonneur. Mes propofitions ne pouvoient faire aucun mal à leur place; elles étoient vraies utiles hon^ nêtes-dans le fens que je leur donnois. Ce font leurs falfifications leurs fubreptions, leurs inter- prétations frauduleufes qui les ren^dent puniffav blés : il faut les brûler dans leurs iTivres , & le» couronner dans les miens. Combien de fois les Auteurs difFamés & la public indigné n'ont-ils pas réclamé contre cette manière, odieufe de déchiqueter ua ouvrage , d'en défigurer toutes les parues,, d'en juger fu/. 2i- 7: 3^ P 11 E M r E K E' des lambeaux enlevés ça & là au choix d'un sci- eufateur infidelle qui produit le mal lui-mâme^ en le détachant du bien qui le corrige & l'expli- que, en détorquant par tout le vrai fens ? Qu'on juge la Bruyère ou la Rochefoucault fur des maximes ifolées, à la bonne heure; encore fe- ra-1- il jufte de comparer & de compter. Mais dans un Livre de raifonnement , combien de fens divers ne peut pas avoir la même propoil- fcion félon la manière dont L'Auteur l'employé & dont il la fait envifager? Il n'y a peut-être pas une de celles qu'on m'impute à laquelle au liea ou je l'ai mife la page qui précède ou celle qui fuit ne ferve de réponfe, & que je n'aye prife en un fcns différent de celui que lui donnent mes accufateurs. Vous verrez avant la fin dft ces Lettres des preuves de cela qui vous fur- prendroRt. Mais qu'il y ait des propofitions faufTes, répre'- henfibles, blâmables en elles-mêmes, cela fufEt- il pour rendre un Livre pernicieux? Un bon Li- vre n'eft pas celui qui ne contient rien de mau- vais ou rien qu'on puiffe interpréter en mal; au- trement il n'y auroit point de bons Livres : mais- lin bon Livre cft celui qui contient plus de bon* nés chofes que de mauvaifes, un bon Livre eft celui dont PefFet total eil: de mener au bien, mal- gré le mal qui peut s'y trouver. Eh ! que feroit- ce, mon Dieu! ii dans un grand ouvrage plçin d« lettre; 3# ?é\îtés utiles , de leçons d'humanité de piété- de vertu , il étoit permis d'nller chercliant avec- nne maligne exactitude toutes les erreurs , tou- tes les propofitions équivoques fufpedes ou inconfidérées , toutes les inconféquences qui peuvent échaper dans le détail à un Auteur fiuchargé de fa matière, accablé des nombreu. fes idées quelle lui fuggcre, diftrait des unes par les autres , & qui peut à peine aiTembler dans fa tête toutes les parties de fon vafte plan V S'il étoit permis de faire un amas de tou- tes fes fautes, de les aggraver les unes par les autres , en rapprochant ce qui eft épars , en liant: ce qui eft ifolé; puis, taifant la multitude de Ghofes bonnes & louables qui les démentenf qui les expliquent, qui les rachettent, qui mon- trent le vrai but de l'Auteur, de donner cet af- freux recueil pour celui de fes principes , d'a- vancer que c'eft-là le réfuraé de fes vrais fen- Mmens, & de le juger fur un pareil extrait?' ■ Dans quel défert faudroit-il fuir ,. dans quel an- tre faudroit- il fe cacher pour échaper aux pour- fuites de pareils hommes, qui fous l'apparence du mal puniroient le bien , qui compteroicnC ' pour rien le cœur les intentions , la droiture par tout évidente, & traiteroient la faute 11 plus légère & la plus involontaire comme le cri- me d'un fcélérat? Y a-t-il un fcul Livre a:i m.onde, quel nue vrai, quelque bon, quelque ^- F K E. M I. E R' E excellent qu'il puifle-étre qui pnt échaper à cett» infâme inquifition ? Non , Monfieur, il n'y en^ a. pas un, pas un feul, non pas l'Evangile mê- me : car le mal qui n'y feroit pas ils fauroienfr l'y mettre par leurs extraits infidelles, par leurs- faûfles interprétations. Nitus vous déferons, oreroient- ils dire, un Livre Jcandaleux , téméraire , impie , dont la mf raie eji d enrichir le riche ^ de dépouiller le pau- vre {a) , d'apprendre aux enfàns à rénier leur mè- re ^ leurs frères (b) , de s'emparer fans f:rupul s- du bien d'autrui (c) , de n'infîruire point les mé- dians, de peur quils ne fe corrigent ^ qu'ils ng- fuient pardonnes (d) , de haïr père , mère , fem- me , enfans , tous fes proches (t) ; un Livre où^ ion fouflb par tout le feu de la difcorde (f) , où^ i'tn fe vante d'armer le fils contre le père (g) , les. farens l'un contre l'autre (b), les domejliques con- tre leurs maîtres (t).; oii ion approuve la violation' des Lùix (k) , où ion impofe en devoir la perfécu- (a) Matth. XUI. 12. Luc. XIX. 26. (b) ]\Iatth. Xll 48. Marc. III. 33. (c) Marc. XT. 2. Luc. XfX. 30. (d) Marc. IV. 12. Jean XU. 40. (e) Luc. XIV. 26. (/) Matth. X. 34. Luc. XII. 51. 5a.. (g) Matth. X. 35. Luc. Xîl 53. h) Ibid. (i) Matth. X. 26. (k) Mattb. ^. 2, & fegg,.- LETTRE. J^ Hon (/);. où pour porter les peuples au hrigandage tn fait du bonheur éternel le prix de h force & la conquête des bommes violens (w). Figurez vous une nme infernale analyfant ainfi tout- l'Evangile, formant de cette calom- nieufe analyfe fous le nom de Profejfton de foi évamclioue un Ecrit qui feroit horreur , & les dévots Pharifiens prônant cet Ecrit d'un air de triomphe comme l'abrégé des leçons de Jéfus. Chrift. Voila pourtant jufqu'où peut mener cet- te indigne méthode. Quiconque aura lu mes Li- vres & lira les imputations de ceux qui m'accu- fent, qui me jugent, qui me condannent, qui me pourfuivent, verra que c'eft ainfi que tous- Hi'ont traité. Je crois vous avoir prouvé que ces Meflieurs ne m'ont pas jugé félon la raifon ; j'ai mainte- nant à vous prouver quils ne m'ont pas ]Uge U- lon les Loix: mais laiffez-moi reprendre un in- fiant haleine. t\ quels trilles effais me vois-je réduit à mon âge? Devois je apprendre fi tard à faire mon apologie? Etoit-ce la peine de corn-- rnencer ? T) Luc. XIV. 23. 'mj MatLli. XI. 12. ^ 42 SECONDE SECONDE LETTRE. J'ai fuppofé , Alonfieur ,. dans ma précédente Lettre que j"a\'ois commis en effet contre la foi les erreurs dont on m'accufe, & j'ai fait voir que ces erreurs n'étant point nuifibles à la fo- ciété n'étoient pas puniiïables devant la jullice humaine. Dieu s'cfl réfervé fa propre défenfe^ & le châtiment des fautes qui n'ofFcnfent que lui. C'eft un facrilege à des hommes de fe faire les vengeurs de la divinité, comme fi leur.pro- teftion lui étoit nécclTaire. Les Magiftratb les Rois n'ont aucune autorité fur les âmes , & pourvu qu'on foit fidelle aux Loix de la focié- té dans ce monde, ce n'eli: point à eux de fe mêler de ce qu'on deviendra dans l'autre, où ils n'ont aucune infpefiion. Si l'oh perdoit ce principe de vue, les Loix faites pour le bon- heur du genre humain en feroient bientôt le tourment, & fous leur inquifition terrible, les- hommes, jugés par leur foi plus que par leurs- œuvres, feroient tous à la merci de quiconque voudroit /es opprimer. Si les Loix n'ont nulle autorité fur les fcnti- mens des hommes en ce qui tient uniquement à la Religion, elles n'en ont point non plus en. cette paitie fux les écrits où l'on manifelte ces- X E T T R E. 43 fentimens. Si les Auteurs de ces Ecrits font pu- niffables, ce n'eft jamais précifémeut pour avou enfeigné Terreur, puifque la Loi m fes muu- Ls ne iugent pas de ce qui tVeft pr afcmen cu'ure erreur. L'Auteur des Lettres écrites de la Campagne paroit convenir de ce prmcipe (n>. Peut-être même en accordant que la Fchu-^ )ve & la Fhilojophie teurront fovtcnir là liberté ïw^t écrire, le poulleroit-il trop loia (0- Ce n eft pas ce que je veux examiner ici. Mais voici comment vos Meilleurs & lui tournent la chofe pour autoriler le jugement rendu contre mes Livres & contre moi. Us me jugent moins comme Chrétien que comme Ci- toyen; ils me regardent moins comme impie ea- vers I>ieu que comme rebelle aux Loix ; lU voyent moins en moi le néché que le crime, & l'héréfie eue la defobéilTance. ]'ai, félon eux, attaqué la Religion de VEtat; j'ai donc encoura la peine portée par la Loi contre ceux qui 1 at- taquent. Voila, je crois, le fens de ce qu il.- i ont dit d-intelligible pour juflifier leur procédé. Je ne vois à cela que trois petites difficultés^ Cn^ A cet égard, dit-il page 22, je retroi^ve £ i Jez^L maximes dans celles des «K?^ff f"^"^', ^P-^'. ie 29, il regarde comme inconîejîai e q^^' Hf'^'^ ! w peut être purfuivi pour fes idées jur la Rehgnru 44 SECONDE La première, de favoir quelle eu cette Reli- gion dé l'Etat; la féconde, de montrer com- ment je l'ai atcaquée; la troifieme, de trouver cette Loi félon laquelle j'ai été iugé. Qu'eft-ce que la Religion de l'Etat ? Ceft la fninte Réformation évangélique. Voila fan» contredit des mots bien fonnans. Mais qu'eft ce à- Genève aujourd'hui que la fainte Réforma- tion évangélique-? Le fauriez- vous, Monfieur^ •par hazard ? En ce cas je vous en félicite. Quant à moi, je rignorc. J'avois cru le favoir ci-dévont; mais je me trompois ainfi que bien d'autres, plus favans que moi fur tout autre point, & non moins ignorans far celui-là. Quand les Réformateurs fe détachèrent de TEglife Romaine ils l'accuferent d'erreur ; & pour corriger cette- erreur dans fa fource , ils- donnèrent à l'Ecriture un autre fens que celui' que l'Eglife lui donnoit. On leur demanda de- quelle autorité ils s'écartoient ainfi de la doc- trine reçue? Ils dirent que c'étoit de leur au- torité propre, de celle de leur raifon. Ils di- rent que le fens de la^Bible étant intelligibfe & clair à tous les hommes en ce qui étoit du fa- lut, chacun étoit juge compétent de la doctri- ne, & pouvoit interpréter la Bible, qui en eft la règle , félon fon efprit particulier; que tous- s'accorderoient aiiîfi fur les chofcs elTencielles,. & que celles fur lefquelles ils neppurroicnt s'ac=- corder ne l'étoient point. LETTRE. 45 Voila donc l'efpi-Lc particulier établi pour unique interprète de l'Ecriture; voila rautor.tc de l'Eglife rejettée; voila chacun mis pour U doarine fous fa propre jurifdiaion Tels font l.s deux points fondamentaux de la Kéforme : reconnoître la Bible pour règle de fa croyance & n'admettre d'autre interprète du fens de la Bible que foi. Ces deux points combines for- cent le principe fur lequel les Chrétiens Ke^ formés fe font féparés de l'Eglife Romaine, & ils ne pouvoient moins faire fans tomber en contradiaion.; car quelle autorité interprétative auroientils pu fe.réferver, après avoir rejette celle du corps de l'Eglife ■? _ _ Mais, dii a -t- on, comment fur un tel princi- pe les Réformés ont- ils pu fe réunir? Com- ment voulant .avoir chacun leur façon de pen- fer ont-ils fait corps contre l'Eglife Catholique? Ils le dévoient faire : Us fe réunilfoient en ceci , que tous reconnoiffoient chacun d'.eux comme Le compétent pour lui-même. Us toléroient & ils dévoient tolérer toutes les interprétations hors une, favoir celle qui ô.te la liberté des interprétations. Or cette unique interprétation qu'ils rejettoient étoit celle des Catholiques. Ils in-oient donc profcrire de concert Rome feu- le qui les profcrivoit également tous. La di- verfité même de leurs façons de penfer fur tout le lefte étoit le lien commun qui les umfToit. 4(5 SECONDE C'étoient autant de petits Etats liguis contre une grande PuifTancc, & dont la confédération 4 générale n'ôtoit rien à l'indépendance de chacun. Voila comment la Réformation évangciique s'eft établie, & voila comment elle doit fe con- fervcr. Il eft bien vrai que la doarine du plus grand nombre peut être propofée à tous , corn- me la plus probable ou la plus autorifée. Le Souverain peut même la rédiger en formule & la prefcrirc à ceux qu'il charge d'enfcigner , parce qu'il faut quelque ordre quelque règle dans les inPcruclions publiques, & qu'au fond l'on ne gêne en ceci la liberté de perfonne, puifque nul n'cfl: forcé d'enfeigner malgré lui : mais il ne s'enfuit pas de - là que les par- ticuliers foiont obligés d'admettre précifémenc ces interprétations qu'on leur donne & cette doctrine qu'on leur enfcigne. Chacun en de- meure feul juge pour lui-môme , & ne recon- noit en cela d'autre autorité que la fîennc pro- pre. Les bonnes inftructions doivent moins fi- xer le choix que nous devons faire que nous mettre en état de bien choifir. Tel eft le véri- table efprit de la Réformation; tel en eft le vrai fondement. La raifon particulière y pro- nonce, en tirant la foi de la règle commune qu'elle établit, favoir l'Evangile; & il eft tel- lement de l'effence de la raifon d'être libre, que qnand elle voudroit s'alTervir à l'autoritc. I t. E T T I^ K. -^7 1' Arr.--t m^ d'elle. Poïtez la moin- drc atteinte à ce principe, a tout l^J'^^^ ^e croule à rendant. Qu'on rne prouve au^ou^ ,, . - ^otîpvp de fol je fuis obligu ae ■'■'^^V,^^:^,r::n'nons de quelqu'un, dès nie luu.iiettie ^a.^ ° ,.^^^. & tout homme :demain je me fai^ Catholique , ce _ ^^ ^ vv-ii fera comme moi. conlequent & m-i ^^' ' _ i-urrirure em- Or la libre interprétation delLcutureem POU non feulement le. droit d'en expliqu r le p.iTa^es, chacun félon fon fens particulier :::r!;L'dere.erdans^ie-^^^^ ou'on trouve douteux, & celui ue i ^ ^ '^„ f,-mr'° incomprehenli- comprendre ceux qn on ^lou.. mco P bv. Voila le droit de chaque fidelle , dote ÏrAe^^e ni les payeurs ni les Magiilratsn ont en à voir. Pourvu qu'on refpeae toute la Bi- ; &;>on s'accorde fur les points capitaux nn Vit félon la Réformation évangéhque. Le on vit félon ^ ^^^^^^ n'emporte ferment des Bourgeois rien de plus que cela. Or je «ois déjà vos Doa»rs ttiooipher ut cesi«i,H.cnptaux, &rracnd,equcjeme™ écar e. Doucement. Meffieurs , de gr=> e ce !Xlt ms encore de moi qu'il s'ng.t . c eft de ot ci nsd-ubovd quels fon., félon vou.. CCS ;oLs capi«ux, fâchons quel dvo.t vou "ez'de me contraindre à les voir ou ,e ne pas vous-mêmes. N'oubliez ponn , s il vous O SECONDE plait, que me donner vos décifions pour loîx, •c'eft vous écarter de la fainte Réformation é. vangélique , c'ell: en ébranler les vrais fonde- mensj c'eft vous qui par la Loi m^éritez puni- tion. - Soit que l'on confidere l'état politique de votre République lorfque la Réformation fut inftituée, foit que l'on pefe les termes de vos anciens Edits pur rapport à la Religion qu'ils prefcrivent » on voit que la Reformation eft par tout mife en oppofition avec l'Eglife Ro. maine, & que les Loix n'ont pour objet que d'abjurer les principes & le culte de celle- ci , deftruaifs xle la liberté dans tous les fens. Dans cette pofition particulière l'Etat n'exi- Aoit, pour ainfi dire, que p.-îr la réparation des deux Eglifes, & la République étoit anéantie Ci le Papifme reprenoit le delTu^. Ainli la Loi qui fixoit le culte évangélique n'y confideroit que l'abolition du culte Romain. C'eft ce qu'attef- tent les invefbîves , même indécentes , qu'on voit contre calui-ci dans vos premières Ordon' nances , & (ju'on a fagement retranchées dans la fuite, quand le môme danger n'exiftoit plus: C'eft ce qu'attefte auflî le ferment du Confiftoi. re , lequel confifte uniquement à empêcher tou- tes idolâtries, hlafphèmes, dijjolutions , ^ autres .çhofes contrevenantes à l'bonneur de Dieu ^ à la Réformation de i' Evangile, Tels font les termes de I L E T T R E. 0 de l'Ordonnance paffée en 1562. Dans la revue de la môme Ordonnance en 1576 on mit à la tête du ferment, de veiller fur tous Jcandales (p): ce qui montre que dans la première formule du ferment on n'avoit pour objet que la féparation de l'EgUfe Romaine^ dans la fuite on pourvut encore' à la police : cela eft naturel quand un établiiTement commence à prendre de la confif- tance : Mais enfin dans l'une & dans l'autre le- çon, ni dans aucun ferment de Magiftrats, de Bourgeois, de Miniftres , il n'eft queftion m d'erreur ni d'héréfie. Loin que ce fut là l'objet de laRéfcrmation ni des Lois, c'eût été fe met- tre en contradiaion avec foi -même. Ainfi vos - Edits n'ont fixé fous, ce mot de Réformaîion que les points controverfés avec l'Eglife Romaine. ]e fais que votre hiftoire & celle en général de la Réforme eft pleine de faits qui montrent une inquifition très févere, & que, de perfé- cutés les Réformateurs devinrent bientôt perfé- ciiteurs : mais ce contrafte , fi choquant dans toute l'hiftoire du Chriftianifme, ne prouve au- tre chofe dans la vôtre que l'inconféquence des hommes & l'empire des paffions fur la raifon. A force de difputer contre le Clergé Catholi- que, le Clergé Proteftant prit l'efprit difputeur & pointilleux. Il vouloit tout décider, tout (p) Ordon. Ecdef. Tit. lU. Art. LXXV^ ^te SECONDE régler, prononcer fur tout: chacun propofoit niodefleraent fon fcntiment pour Loi fuprême à tous les autres; ce n'étoit pas le moyen de vi- vre en paix. Calvin, fans doute, étoit un grand homme; mais enfin c'dtoit un homme, & qui pis efl-, un Théologien: il avoit d'ailleurs tout l'orgueil du génie qui fent fa fupériorité, & qui s'indigne qu'on la lui difpute: la plupart de fes collègues étoient dans le même cas; tous en ce la d'autant plus coupables qu'ils étoient plus inconféquens. Aufïï quelle prife n'ont-ils pas donnée en ce point aux Catholiques, &: quelle pitié n'eft-ce pas de voir dans leurs défenfes ces favans hom- mes, ces efprics éclairés qui raifonnoient fi bien fur tout autre article, déraifonner fi fotemcnt fur celui-là ? Ces contradictions ne prouvoient cependant autre chofe, finon qu'ils fuivoient bien plus leurs pafllons que leurs principes. Leur dure orthodoxie étoit elle-mcme une hé- léfie. C'étoit bien là l'efprit des Réformateurs , mais ce n'étoit pas celui de la Réformation. La Religion Protefîante eft tolérante par principe, elle eft tolérante efl'encielleraent, el- le l'efl autant qu'il efl: pofiîble de l'être, puif- que le feul dogme qu'elle ne tolère pas eft ce- lui de l'intolérance. Voila l'infurmontable bar- rière qui nous fépare des Catholiques & qui réu- nit les autres communions entre elles ; chacune LETTRE. :.ï rc-trde bien les autres comme étant dans l'er- . rcuv; mais niille ne regarde ou ne doit r.g^^r- d^r ccrte erreur comme un obftadc au falut (?> Les Réformés de nos jours, du moins les Miniibes, ne connoiaent ou n'aiment p'us ic ur Religion. S'ils ravoient connue & année a a publication de mon Livre ils auroicnt poiuie de concert un cri de juyc, ils (c icvoicnt to:;^ _uni5 avec moi qui n'uttaïuois que leurs adverfains ; mais ils aiment mieux abnndunner leur propre e:ufe que de foutenir la mienne; avec leur coa vifiblemcnt arrogant, avec leur rage de chicanne & d'intolérance, ils ne favent plus ce qu'ils cro- yenc ni ce qu'ils veulent ni ce qu'ils difent. Je n- les vois plus que comme de mauvais valets des Prêtres, qui les fervent moins par amour pour eux que par haine contre moi. (r) Quand ils auront bien difputé, bien chamaillé, bien ergoté, bien prononcé; tout au foit de leuï pc'tit triomphe, le Clergé Romain , qui mainte- (n) De toutes les Sectes du Chrifrl^ninne la Lu- thérienne me parole la plus inconré(]uente. Elle a réuni comme à plaifir contre elle (cale toutes le s- objections qu'elles fc font l'une a 1 autre. Lllc eit en particulier intolérante comme l'Kghfe Romame^ mais le grand argument de celle-ci lui manque: el- L eft intolérante fans fivoir pourquoi. (r) Il ell aToz fupcrûu, je crois, d avertir que j'excepte ici mon Paileur, & ceux qui, fur ce point,. penfent comme luL Si SECONDE' nant rit & les laiOe faire, viendra les chafTei" armé d'argiimens ad bominem fans réplique, & les battant de leurs propres armes , il leur dirar cela va bien ; mais à fréjent ôtez vom de /.* , mé~ cbatis intrus qxis Vdus êtes ; veus ri avez travailii que pour mus. Je reviens à mon fujet. L'Eglife de Genève n'a donc & ne doit avoir comme Réformée aucune profclîîon de foi pré- cife, articulée, & commune à tous fes mem- bres. Si l'on vouloit en avoir une, en cela m^- nie on blefferoit la liberté évangélique, on re- nonceroit au principe de la Réformation, on violeroit la Loi de l'Etat. Toutes les Egîifes Proteftantes qui ont drefTé des formules de pro* feflîon de foi, tous les Synodes qui ont déter* miné des points de doftrine, n'ont voulu que prefcrire aux Pafleurs celle qu'ils dévoient en- feigner , & cela étoit bon & convenable. JNIiis H ces Eglifes & ces Synodes ont prétendu faire plus par ces formules, & prefcrire aux fidelles ce qu'ils dévoient croire; alors par de telles dé- cifions ces affemblées n'ont prouvé autre chofe, lînon qu'elles ignoroient leur propre Religion. L'Eglife de Genève paroifToit depuis long- tems s'écarter moins que les autres du véritable efprit du Chriftianifme, & c'efl fur cette trom- peufe apparence que j'honorai fes Pafteurs d'é* loges dont je les croyois dignes ; car mon in- tention ii'étoit" affuréaient pas' d'abufcr le pu- LETTRE. St me. Mais qui peut voir aujourd'hui ces mê- mes*Miniftres, jadi5 fi coulans & devenus tout à coup, fi rigides, chicaner fur l'orthodoxie d'un Laïque & laiffer la leur dans une fi fcandaleufe incertitude? On leur demande fi Jéfas-Chrift eft Dieu, ils n'ofent répondre: on leur deman- de quels myftcres ils admettent, ils n'ofent ré- pondre. Sur quoi donc répondront-ils , & quels ^roat les articles fondamentaux , différens des miens, furlefquels ils veulent qu'on fe décide, fi ceux-là n'y font pas- compris '< Un Philofophe jette fur eux un coup d'œil ■rapide; il les pénètre, il les voit Ariens, Soci- Biens; il le dit, & penfe leur faire honneur: mais il ne voit pas qu'il expofe leur intérêt temporel; la feule chofc qui généralement dé^ cide ici-bas de la foi des hommes. Auffi-tôt allarmés-, effrayés, ils s'aOemblent,' .ils difcutenc, ils s'agitent, ils ne favent à quel ■ faint fc vouer; & après force confultations (^), délibérations, conférences, le tout aboutit â un amphigouri où l'on ne dit ni ouï ni non, & 'auquel il eft aufll peu pofilble de rien compren- die qu'aux deux plaidoyés de Rabelais (t). j-ii '■ (s) Ouand on cjl bien décidéjur ce qu'on croit, dij fok à ce fujet un- Journalillé, une prof cjfm de fo duit être bientèt faite. ' . (t) Il y auroit peut-être en quelque embarras à s'expliquer plus clairement fans ÔÈre obli^s de fc retracer fur ccnaineschofcs. C 3 54 SECONDE doarine orthodoxe n'eft-elle pas bien claire, & ce la voiI?.-t-iI pas en de fùres mains? Cependant parcequ'un d'entre eux compilant force plaifanteries fcholaftiques aiiilî bénignes qu'élégantes, pour juger mon Chriftianifme .ne craint pas d'abjurer le fien ; tout charmés -du ra- voir de leur confrère, & furtout de fa logi.que, ils avouent fon dofte ouvrage, & l'en remercient par une députation. Ce font, en vérité, d^.fiaf. gulieres gens que Mcffîeurs vos Minières ! on^ ne fait ni ce qu'ils croyent ni ce qu'ils ne cro- yent pas ; on ne fait pas même ce qu'ils font femblant de croire : leur feule manière d'é- tablir .leur' foi cft d'attaquer celle -des autres ^ ils font comme les Jéfuites qui, dit-on, for- çoient tout le monde à figner la. conftitution fans vouloir la fîgner eux-mêmes.. Au lieu de -s'expliquer" fur Ja do^rine qu^ort? leur impu- te ils penfent donner, le changé- aux autres E' ^lifes en cherchant querelle à leur propre dé. •fenfeur,-. ils veulent prouver par leur ingratitu- de qu'ils n'avoient pas bcfoin de mes foins, & croyent fe montrer afle2 orthodoxes en fc mon- txant perfécuteiirs. ) De tout ceci je concluds qu'il n:eft pas aif^ de dire en quoi confiftc à Genève aujourd'hui la fainte Réformation. Tout ce qu'on peut a- vanccr de certain fur cet article efl, qu'elle doit «onfîftex. principaleaicût. à. lejctter les points t E T T R E. §5 conteftés à l'Eglife Romaine par les pfemiers Réformateurs, & furtout par Calvin. Cell-IA l'efprit de votre inftitution; c'eft par là qua vous êtes un peuple libre, & c'eft par ce côte feul que la Religion fait chez vous partie de lu :,oi de l'Etat. rr ' i r De cette première queftion je païïe a la ic- conde, & je dis; dans un Livre où la vérité Tu- tilitô la néceffité de la Religion en général eiî établie avec la plus grande force, où, fans don- ner aucune exclufion («), l'Auteur préfero a Religion Chrétienne à tout autre culte, & la Réfoi-mation évangélique à toute autre fe^e , comment Ce peut-il que cette même Réforma- tion foit attaquée? Cela parole diâicile à cou- cevoir. Voyons cependant. ]'ai prouvé ci-devant en général & je prou- verai plus en détail ci-après qu'il n'eft pas vrai que le Chriftianifme foit attaqué dans mon Li- vre. Or lorfque les principes communs ne font pas' attaqués on ne peut attaquer en parti eu- lier aucune fecte que de deux manières; favoir, indireaement en Coutenant les dogmes diftinc- tifs de fes adverfaires, ou diredement en at- taquant les fîenr. (u) J'exhorte tout lefteur équitable à relire & «efer dans l'Emile ce qui fuit immédiatement a profemon de foi du Vicaire, 6c où je reprends la parole.- C 4- 56 S E C O N D' E Mais comment aurois-je foutenu les dogmes diftinftifs des Cat oiiques, puifqu'au contrah-r ce font les feuis que j'aye attaqués, & puifque c'eft cette attaque même qui a foulevé contre moi le parti Catholique, fans lequel il eft fur <]ue les Proteflans n'auroient rien dit? Voil? , je l'avoue, une des cbofes les plus étranges dont on ait Jamais ouï parler, mais elle n'en cft pas moins vraie. Je fuis confcfleur de la foi proteftante à Paris , k c'eft pour cela que Je le fuis encore à Genève. Et comment aurois-Jc attaqué les dogmes dif- îinftifs des Proteftans, puifqu'au contraire ce font ceux que J'ai foutenus avec le plus de for- ce, puifque Je n'ai ceffé d'infiiier fur l'autori- té de la raifon en matière de foi , fur la li- bre interprétation des Ecritures , fur la toléran- ce évangélique, & fur l'obélflancc aux Loi», même en matière de culte; tous dogmes diftinc- tifs & radicaux de l'Eglife Réformée, & fans Jefquelsjloin d'être folidement établie, elle ne pourroit pas môme exifter. Il y a plus; voyez qu'elle force la forme môme de l'Ouvrage ajoute aux argumens en fa- veur des Réformés, C'eft un Prêtre Catholi- que qui parle, & ce Prêtre n'eft ni un impie Jii un libertin; C'eft un homme croyant k pieux, plein de candeur, de droiture, & malgré fes diiEcuItés Tes objeftions fes doutes , nourriflant au L E T T R' E. 57 au fond de Ton cœur le plus vrai refpea pour le culte qu'il pvofeffe; un homme qui, dans^ lès épanchemens les plus intimes déclare qu'ap- pelle dans ce culte au fervice de l'EgliCe il T remplit avec toute l'exaftitude poffible les foini- - ui lui font prefcrits, que fa confcience lui re- procheroit d'y manquer volontaîrement dans la moindre chofe, que dans le myftere qui choque le plus fa rnifon, il fe recueille au moment de 1? confécration pour la faire avec toutes les •difooUtions qu'exigent l'EgUfe & la grandeur d* facrcmenf, qu il prononce avec refpeft les mots facramentaux, quil donne à leur effet toute la foi qui di^pend-de kii , & que, quoi qu'il en foi! de ce myftete inconcevable, il ne craint pas- qu'au jour du jugement il foit puni pour l'avoir jçi:mais profané dans fon cœur (-v)- Voila comment parle & penfe cet homme vé- nérable, vraiment bon, fnge, vraiment Chré^ tien, & le CaUiolique le pks fincere qui peu t- être ait jamais exifté. ^ Ecoutes toutefois ce que dit ce vertueux Prê- tre à un' jeune homme Protef.ant qui s'étoic fait Catholique & auquel il donne des confcils. „Re- „ tournez dans votre Patrie, reprenez. la Rcli- '[ gion de vos pères , .fuivez4a dans la ûncérité 2 de votre cœur & ne la quittez plus; elle eft (x^ Emile T. ni. p. 185 & i\ 35 SECONDE „ très-ilmple & très-faintej je la crois de toiites- „ les Religions qui font fur la terre celle, donc :,, la morale eft la plus pure, & dont la raifon ^ fe contente le mieux (y)." Il ajoute un moment après.. „ Quand vous „, voudrez écouter votre confcience, mille ob- ,,. ftacles vains difparoitrort à fa voix. Vous „, fentirez que dans l'incenitude où nous fom- „, mes, c'cft une inexcufable préfoniption de „ profefler une autre R<:ligion que celle où l'on. ,„ eft né, & une faufleté de ne pas pratiquer" fin- „, Gcrement celle qu'on profefTe. Si l'on s'égare,, j,. on.s'ôteune grande excufe au tribunal du Sou- „,verain Juge. Ne pardonnera-t-il pas plutôt jiJ'erreur cù Ton fut nourri que celle qu'on ,,, ofa.choifir foi-même? (g)". Quelques pages auparavant il avoit dit: „ Si. „, j'avois des Pxoteflans à mon voifmagc ou dans „,nia ParoilTe, je ne les diftinguerois point de „. mes Paroilîiens en ce qui tient à la charité „, Chrétienne; je les porterois tous également à „. s'entre-aimer, à fe regarder comme frères, à „,refpefler toutes les Religions & à vivre en „. paix chacun dans la Tienne. Je penfe que foU „, liciter quelqu'un de quitter celle où il tft né, ,ï,c'eft le folliciter de mal faire & par ccnfé-- •" .phis commode pour des perfécuteurs. Ils larflcnt' avec art tous les principes de la .doari^e incer- tains & vagues. Mais un Auteur a-t-il le mal- heur de leur déplaire, ils vont furetant dans Tes Livres quelles peuvent être Tes opinions. Quand ils croyent les avoir bien condatées , Hs pren- nent les contraires de ces mêmes oj>inions & en font autant d'articles de foi; Enfuite ils crient à l'iîP.pie au blafphême, parce que l'Au- teur n'a pas d'avance admis dans fes Livres les' prétendus articles d^ fol qu'ils ont bâtis après ■ coup pour le tourmenter. Comment les fuivre dans ces multitudes' de point fur lefqucls ils m'ont attaqué? comment ralTembler tous leurs libelles, comment lés li- re? Qui peut aller tri^r tous ces lambeaux tour tes ces guenilles chez les frippiers d& Genève ou dans le fumier du Mercure de Neuf châtel? Je me perds, je m'embourbe au milieu de tant de bétifes. Tirons de ce fatras un feul article pour feivi.r d'e.xemple , leur article le plus triomphant, celui pour lequel leurs prédicans (*) fc font mis en campagne & dont- ils ont fait le. plus de. bruit:, les miracles.-. (*) Je n'aurois point employé ce ternre que je trouvois déprifant, fi l'exemple du Confeil de Ge<. nève , qui s'en fervoit en écrivant au Cardinal de Fleury,iie uVcût appris que mon fcrupula étoit m* fondî', C.7, 5i ^ E C O N D Ë J'entre dans un long examen. Pardonn&t* m'en l'ennui, Je vous fupplie. Je ne veux dlf- cuter ce point û terrible que pour vous épar- gner ceux fur iefquels ils ont moins infiflé. Ils dirent donc „ J. J. Rouffeau n'eft pas „ Chrétien quoiqu'il fe donne pour tel ; car „ nous, qui certainement le fommes , ne pen- ,, fons pas comme lui. J.J. Rouffeau ne croit „ point à la Révélation, quoiqu'il dife y croi-- „ re: en voici la preuve. ,, Dieu ne révèle pas fa volonté immédiate- '„ mentà tous les hommes. II leur parle par fci „ Envoyés, & ces Envoyés ont pour preuve „ de leur miffion les miracles. Donc quicon- „ que rejette les miracles rejette les Envo>"és „ de Dieu, & qui rejette les Envoyés de Dieu „ rejette la Révélation. Or Jean Jaques Rouf- „ feau rejette les miracles. " Accordons d'abord & le principe & le fait comme s'ils étoient vrais: nous y reviendrons- dans la fuite. Cela fuppofé , le raironnement précédent n'a qu'un défaut: c'eft qu'il fait di- reniement contre ceux qui s'en fervent. Il cù très bon pour les Catholiques , mais très mauvais pour les Proteftans. Il faut prouver à mon tour. Vous trouverez que je me répète fouvent, mais qu'importe? Lorfqu'une môme propofîtion m'efl: nécelTaire à des argumetis tout diiFérens, dois -je éviter de la reprendre? Cette atFccbu^^jj X. E T T R E. "^ feroit puérile.. Ce n'efl pas de variété qu'il s'a- git, c'ert de vérité, de raifoiinemens juftes à concluons. Paffez. le relie.. & ne fongez qu'à; cela. Quand les premiers Réformateurs comment cerent à fe faire entendre l'Eglife univer Celle é- toit en paix; tous les fcntimens étoient unani- mes,- il n'y avolt pas un dogme elTenciel dé- battu parmi les Chrétiens.. Dans cet état tranquille, tout à coup deux où trois hommes élèvent leur voix, ce crient dans toute l'Europe: Chrétiens, prenez garde à vous; on vous trompe, on vous égare, on vous mené dans le chemin de l'Enfer : le Pape eft l'Antechrift, le fuppôt de Satan, fon EgU- fe eft l'école du menfonge. 'Vous êtes perdus fi vous ne nous écoutez. A ces premières clameurs TEurope étonnée refta quelques momcns en filence, attendant ce qu'il en arriveroit. Enfin le Clergé revenu de fa première furprife & voyant que ces nou- veaux venus fe faifoient des Sénateurs, comme s'en fait toujours tout homme qui dogmatiie, comprit qu'il falloit s'expliquer avec eux. Il commença par leur demander à qui ils en a- voient avec tout ce vacarme? Ceux-ci répon- dent fièrement qu'ils font les apôtres de la vé- rité, appelles à réformer l'Eglife & à ramener les fidelles de la voye de perdition où les con*- «Juifoient les fiiitrcs. » tition de principe; car fi la force de vos „ preuves eft le ligne de votre mifîîon , il s'en- », fuit pour ceux qu'elles ne convainquent pas 3> que votre mifîîon efl: faufle , & qu'ainfi nous i, pouvons légitimement, tous tant que nous » fommes , vous punir comme hérétiques , j> comme faux Apôtres, comme perturbateurs « de l'Eglife & du Genre humain. „ Vous ne prêchez pas , dites - vouî , des „ do(5lrines nouvelles : & que faites - vous donc „ en nous prêchant vos nouvelles explications ? „ Donner un nouveau fens aux paroles de l'K- „ triture n'eil ce pas établir une nouvelle doc- ,, trine? N'eft-ce pas faire parler Dieu tout au- „ trement qu'il n'a fait? Ce ne font pas les M fons mais les fens des mots qui font révé- „ lés: changer ces fens reconnus & fixés pw „ l'Eglile, c'efi: changer la Révélation. „ Voyez, de plus, combien vous êtes in' ^ juftcs ! Vous convenez qu'il faut des mira» I LETTRE. ^1 clés pour autorifer une miffion divine, Se ce- pendant vous, nmples particuliers de votre propre aveu, vous/venez nous parler avec ' empire & comme les Envoyés de Dieu (aa). ' Vous réclamez l'autorité d'interpréter l'i'.cn- ' ture à votre fantaifie , & vous prétendez ; nous ôter la même liberté. Vous vous arro- gez à vous feuls un droit que vous refufes ' & à chacun de nous & à nous tous qui com- '' pofons I-Eglife. Quel titre avez^vous donc " pour foumettre ainfi nos jagemens communs " à votre efprit- particulier? Quelle infuppor- " table fufîifance de prétendre avoir toujours " raifon. & raifon feuîs contre tout le monde, " fans vouloir laifTer dans leur fentiment ceux " qui ne font pas du vôtre, «5c qui penfent ;; avoii raifon aufll (*)! Les diftinaions dont- (aà) Farel déclara en propres termes à Genève- devant le Confcil épifcopal qu'il étoit Envoyé de- .l>ieu: ce qui fit dire à l'un des membres du Con-; feil ces paroles de Caïphe: R a blafpème : quejl-tl Moind-autre témoignage? Ilamrité la mort.. Dans. la doclrine des miracles il en falloit un pour lé- pondre i cela. Cependant Jéfus nV»n fit pomten^ cette occafion,. ni Farel non plus. Froment declara- de même au Magiftrat qui lui défendoit de prêcher ,. au il vaîoit mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, a con- tinua de prêcher malgré la défenfe ; conduite qui certainement ne pouvoit s'autorifcr que par un or- :4se exprès de Dieu. , /. • • ,^h^ (*) Quel hornuie, par exemple, ^ fot jamais piui ^ SECONDE „ vous nous payez {eroiem tout au plus toM- „ rables fi vous difiez fimplement votre avis, ,i.^-..& que vous en reftafllez-Ià; mais point. Vous „ nous faites 'une guerre ouverte; vous louf. „ fiez ie feu de toutes parts. Renfler à vos le, » çons c'eft être rebelle, idolâtre, digne de „ l'enfer. Vous voulez abfolument .convertir, „ convaincre, contraindre môme. Vous dog,- „ matifez, vous prêchez, vous cenfurez, vous „ anathématifez , vous excommuniez,- vous pu- „ niiTez , vous mettez à mort; vous exercez „ l'autorité dss Trophêtes , & vous ne vous » donnez que pour des particuliers. Quoi.! „ vous Novateurs , fur voti'e feule opinion, fou- „ tenus de quelques centaines d'hommes vous „ brûlez vos adverfaires; &nous, avec quinze „ Siècles d'antiquité & la voii de cent millions „ d'hommes, nous aurons tort de vous brûler?' „ Non, cefTez déparier d'agir en Apôtres, om „ montrez vos titres, ou quand nous ferons „ les plus forts vous ferez très -juftemcnt trai- », tf^s en impofteurs. " A ce difcours , voyez- vous , Alonfieur,; çé,q\ie trancKant plus impérîeu^', ptiis déciflf' plus divino- inent miailliole a Ton gré que Calvin, pour qui k moindre op.poàtion la moindre, objection qu on oibit lui faa-e étoit toujcn-s une œuvre de ùtan , un crime . tligne du feu? Ce n cfl pas au fcul Scrvct qui! en .n coûté- la vie pour. avoir oi'é penfcr autrcmejit ou'- hv i J LE T T RE. dp TTOs Réforunteurs aur.oient ea de folide .à ré- pondre? Poiu- moi je ne le vois pas. Je penfe qu'ils auroient été réduits à fe taire ou à faire des miracles. Trifte reffcurce pour des amis de la vérité! , . r^ i : ^ Te concluds de - U qu'établir la neceffité des miracles en preuve de la miffion des Envoyés rie Dieu qui prêchent une dodrine nouvelle, c'eft renverfer la Réformation de fond-en-com- tle; c'eft faire pour me combattre ce qu'oa m'accufe fauîTement d'avoir fait. Te n'ai pas tout dit, Monfieur , fur ce cha- piu-e; mais ce qui me refte à dire ne peut fe couper, & ne fera qu'une trop longue Lettre; H tù. tems d'achever celle-ci. LETTKE TROISIEME. *' Je rcprcns, Alonfieur, cette gueftion des mîra. clés que j'ai entrepris de difcutcr avec vous, (Sj après avoir prouvé qu^établir leur nécelllté c'é- ■toit d^'truire le Proteftan.tiûne, je vais cher- çber à préfent quel eilleur.ufage pour prouver la , Révélation. Les homaies ayant des têtes û diverfement organifées ne fauroient être afFeftés tous égale- ment des mêmes argumens, furtout en matières de foi. Ce qui paroit évident à l'un ne paroit pas même probable à l'autre; l'un par fon tour d'efprit n'tll frappé que d'un genre de preu- ves , l'autre ne l'ed que d'un genre tout diffé- rent. Tous peuvent bien quelquefois convenir des mômes chofes, mais il eft très-rare qu'ils en conviennent par les mcmes raifons; ce qui, pour le dire en paffant , montre combien la difpute en elle-même eft peu CenCée: autant vaudroit vouloir forcer autrui de voir par nos yeux. Lors donc que Dieu donne aux hommes une Révélation que tous font obligés de croire, il faut qu'il l'établiffe fur des preuves bonnes pour tous, & qui par conféquent foient auflî diver- fes que les manières de voir de ceux qui doi- vent les adopter. LETTRE. 71 Sur ce raifonneTnent. qui me paroit jude & fimple, on a trouvé que Dieu avoit donné à la niilïion de fes Envoyés divers çaraftercs qui rendoient cette miffion reconnoiffable à tous les hommes, petits & grands, fages & fots , favans & ignorans. Celui d'entre eux qui a le cerveau afTez flexible pour s'affe^er a .a fuis de tous ces caraderes eft heureux fans doute: mais celui qui n'eft frappé que de quelques-uns n'eft pas à plaindre, pourvu qu'il en foit trap- pe fuffifamment pour être perfuadé. Le premier, le plus important, le plus cer- tain de ces caraaeres fe tire de la nature de la dodrine; c'cft-à-dire, de fon utilité, de fa beauté (0> ^^e fa fainteté, de fa vérité, de fa CO Te ne fais pourquoi l'on veut attribuer au pro- PveVde la philofophie la belle morale de nos Li- ? e Ce te morale , tirée de l'Evangile, étoit Chré- tienne a^nt d'ctre philorophique. Les Chrétiens le 'i'^n^t fans la pratiquer- , je l'avoue; mais que to de plu. les philofophes, fi ce n'eft de/e don- re à cux-mcmcs beaucoup de louanges, qui n étant Répétées par perfonne autre, ne prouvent pas grand ''ïî; prSSptef^ Platon font fouvent très;(ubl^ mes ma s coVien n'erre-t-il pas quelque^fois , & ?1 voù ne vont pas fes erreurs ? Quant a Ciceron , Son croire que fans Platon ce Rhéteur eut trou- i Çé fes offices? L'Evangile feul efl: quant a la mora- I le , toujours fur, toujours vrai, toujours umque, « ïO'jjours femblablc à lui- rnûne. 72 TROISIEME profondeur, & de toutes les autres qualités qui peuvent annoncer aux hommes les inflruclions ,. de^Ia fuprême fagefle, & les préceptes de la fu- '; prême bonté. Ce caractère cft, comme j'ai dit, le plus fur, le plus infaillible, il porte en lui- ■ môme une preuve qui difpenfe de toute autre; mais il eft le ir^ins facile à conftater; il exige pour être fenti, de l'étude delà réflexion de« connoilTances , des difcuffions qur-.ne convien- nent qu'aux hommes fagcs qui font inftruits & qui favent raifonner. Le fécond caradere eCc dans celui des hom- mes choifis de Dieu pour annoncer fa parole; leur fiiiDteté, leur véracité, leur judice, leurs mœurs pures & fans tache, leurs vertus, iaac- cefîibles aux paHions humaines font, avec les qualités de l'entendement, la raifon l'efprit le favoir la prudence, autant d'indices refpefta- bles, dont la réunion, quand rien ne s'y dé- ment, forme une preuve complette en leur fa- ' veur, c: dit qu'ils font plus que des hommes. Ceci cfl le figne qui frappe par préférence L>s gens bons & droits qui voyent la vérité par tout où ils voyent la judice , & n'entendent la voix de Dieu que dans la bouche de la vertu. Ce caraftere a fa certitude encore, mais il n'efl pas impoffîble qu'il trompe, & ce n'ell: pas un prodige qu'un impofteur abufe les gen5 de bien, -ni qu'un homme de bien s'abufe lui-même, eu- traîaé -L E T T R E. . 73 .traîné par l'ardeur d'un fabt zèle quil prendra ;pûur de l'infpiratîon. Le troifieme caraiftere des Envoyés de Dieu, cfl une émanation de la Puiffance divine, qui .peut interrompre & changer le cours de la na- ture à la volonté de ceux qui reçoivent cette émanation. Ce caraélere efl fans contredit le plus brillant des trois, le plus frappant, le plus prompt à fauter aux yeux , celui qui fe marquant par un effet fubit & fenfible, femble exiger le moins d'examen & de difcufïïon: par- là ce caractère cfl auflî celui qui faifît fpéciale- ment le peuple , incapable de raifonnemens fuivis , d'obfervations lentes & fûres , & en toute chofe efclave de fes fens : mais c'cfi: .ce qui rend ce môme caractère équivoque , com- me il fera prouvé ci- après; & en effet, pourvii qu'il frappe ceux auxquels il efl defliiné qu'im. porte qu'il foit apparent ou réel ? C'eft une di- ftinétion qu'ils font hors d'état de faire : ce qui montre qu'il n'y a de figne vraiment certain que celui qui fe tire de la doctrine, & qu'il n'y a par conféquent que les bons raifonneurs qui puifTent avoir une foi folide & fùre; mais ja bonté divine fe prête aux foiblefTes du vulgaire & veut bien lui donner des preuves qui falTent pour lui. Je m'arrête ici fans rechercher fî ce dénom- brement peut aller plus loin : c'efl une difculîîou D 74 TROISIEME inutile à la nôtre: car il eft clair que quand tous ces fignes fe trouvent réunis c'en eft allez pour perfuader tous les hommes , les fages les bons & le peuple. Tous , excepté les foux , in- capables de rai Ton, & les méchans qui ne veu- lent être convaincus de rien. Ces caraéleres font des preuves de l'autorité de ceux en qui ils réfident; ce font les raifons fur lefquelles on eft obligé de les croire. Quand tout cela eft fait la vérité de leur miflîon eft établie; ils peuvent alors agir avec droit & puifFance en qualité d'Envoyés de Dieu. Les preuves font les moyens , la foi due à la doctri- ne eft la fin. Pourvu qu'on admette la doftrine c'cft la chofe la plus vaine de difputer fur le nombre & le choix des preuves, & fi une feule me perfuade, vouloir m'en faire adopter d'au- tres eft un foin perdu. Il feroit du moins bien ridicule de foutenir qu'un homme ne croit pas ce qu'il dit croire, parce tju'il ne le croit pas préci Cément par les mêmes raifons que nous di- fon$ avoir de le croire auffi. Voila, ce me fcmble, des principes clairs & inconteftablée : venons, à l'application. Je me déclare Chrétien ; mes perféciitcurs difent que je ne le fuis pas. Ils prouvent que je ne fuis pas Chrétien parce que je rejette la Révélation , & ils prouvent que je rejette la Révélation par ce que je ne crois pas aux jiniacles. LETTRE. 7$ Mais pour que cette conféquence fut jufte, il faudroit de deux chofes l'une: ou que les miracles fuffent l'unique preuve de la Révéla- tion, ou que je rejettaffe également les autres preuves qui l'attellent. Or il n'eft pas vrai que les miracles foient l'unique preuve de la Révé- lation , & il n'eft pas vrai que je rejette les autres preuves; puifqa'au contraire on les trou- ve établies dans l'ouvrage même où l'on m'ac» cufe de détruire la Révélation (2). Voila précifément à quoi nous en fommes. Ces MelTieurs, déterminés à me faire malgré moi rejetter la Révélation, comptent pour rien que je l'admette fur les preuves qui me convain- quent, fi je ne l'admets encora far celles, qui ne me convainquent pas , & par ce que je ne le puis ils difent que je la rejette. Peut-on rien conce- voir de plus injiifte & de plus extravagant? Et voyez de grâce fi j'en dis trop; lorfqu'ils me font un crime de ne pas admettre une preu- ve que non feulement Jéfus n'a pas donnée , mais qu'il a refufée expreffément.; (2) Il importe de remarquer que le Vicaire pou- voit trouver l^eaucoup d'objections comme Catholi- que, qui font nulles pour un Proteftant. Ainfi le fcepticifme dans lequel il refte ne prouve en aucu- ne façon le mien , furtout après la déclaration très exprelTe que j'ai faite à la fin de ce même Ecrit. On voit clairement dans mes principes que pl.i> figurs dçs obji,'6Uoiis qu'il contient portent à laux. D z •75 T R 0 ï S I E M E Il ne s'annonça pas d'abord par des miracles •mais par la prédicatfon. A douze ans il difpa- toit déjà dans le Temple avec les Docteurs , tantôt les interrogeant & tantôt les furprenant -par la fageiïe de fes réponfes. Ce fut là le commencement de fes fondions, comme il le déclara lui • même à fa mère & à Jofeph (3). Dans le pays avant qu'il fit aucun miracle il fe BÙt à prêcher aux peuples le Royaume des Cieux (4), &. il avoit déjà raffemblc plufieur-s difciples fans s'être autorifé près d'eux d'aucun figne, puifqu'il eft dit que ce fut à Cana qu'il fit le premier (5). Quand il fit enfuite des miracles, c'étoit le plus fouvent dans des occafîons particulières dont le choix n^annonçoit pas un témoignage public, & dont le but étoit fi peu de manifefter fa puiffance, qu'on ne lui en a jamais deman- dé pour cette fin qu'il ne les ait refufés. Voyez ià-deffus toute l'hiftoirc de fa vie; écoutez furtout fa propre déclaration: elle efl fi décifi- ve que vous n'y trouverez rien à répliquer. Sa carrière étoit déjà fort avancée, quand (-0 Luc. XI. +6. 47- 49- (4) Mr.tth. IV. 17. (5) Jean II. 11. Je ne puis penfcr que perfonnc veuiiie mettre au nombre da fignes pubUcs de fa miffion la tentation du diable & le jcilnc de qu«- L E T T R E." Il' les Doaeurs, le voyant faire toi^r. deb on le- Prophète au milieu d'eux, s'avifevent de lui- domatider un figne. A cela qu'auroit d^i ré- pondre Jéfus, félon vos Meffieurs? „ Vous de- mandez • un figne , vous en- avez eu cent^. Croyez -vous que je fois venu m'annoncer à 'l vous pour le Meffie fans commencer par ren- • dre témoignage de moi, comme n j'avois voulu vous forcer à me méconnoitre & vous ',', faire errer malgré, vous ? Non , Cana, le ,'', Centenier, le Lépreux, les aveugles, les pa- ralytiques, la multiplication des pains, tou- 'l te la Galilée, toute la Judée dépofent pour^' " moi. Voila mes fignes ; pourquoi feignez- vous- „ de ne les pas voir?" Au lieu de cette réponfe. que Jéfus ne fît" point, voici, Monfieur, celle qu'il fit. L-ï Nation méchant: ^ adultère demande un' figne , ^ il ne lui en fera point donné. Ailleurs "il ajoute. Il ne lui fera point donné d'autre figne que celui de Jonas le Fropbête. Et leur tournant le dos, il s'en alla (6), - Voyez d'abord comment , blâintint cette manie des" fignes miraculeux , il. traite ceux qui le» demandent '? Et cela ne lui arrive pas une fois (6) Marc. VllI. i2. Mattb. XVI. 4- ^om abréw Ter i'ai fonda enfcmblc ces deux paflages , mais j'ai: ■ conlervé la -diftinftion efTenciclle à la queftion. D 3-: 73- TROISIEME. feulement mais p^ufieurs C7). Dans le fyftéme de vos Meffieurs cette demande étoit très légi- time: pourquoi donc infuker ceux qui la fai- foient? Voyez enfuite à qai nous devons ajouter foi par préférence ; d'eux , qui fourienncnt que c'elt rejetter la Révélation Chrétienne que de ne pas admettre les miracles de Jéfus pour le* fignes qui l'établiiTent , ou de Jéfus lui-même, qui déclare qu'il n'a point de fîgne à donner. lis demanderont ce que c'efl donc que le Cgne de Jonas le Prophète? Je leur répondrai que c'eft fa prédication aux Ninivites, précifé- mcnt le même figne qu'employoit Jéfus avec les- Juifs^ comme il l'explique lui-même (8). On- ne peut donner au fécond palTage q^u'un fens qui fe rapporte au premier , autrement Jéfus fe feroit contredit. Or dans le premier paiïage où l'on demande un miracle en figne, Jéfus dit pcK fitiveraent qu'il n'en fera donné aucun. Donc }« fens du fécond pafTage n'indique aucun figne miraculeux. Un troifieme pafTage, infilleront- il», expli* que ce fîgne par la réfurreftion de Jéfus (9). (7) Cooférezles pafTages fuivans. Matth. XII. 3ç. 41. iVlarc. VIII. 12. Luc. XI. 29. Jean 11. 18. 19.. IV. 48. V. 34. 36. 39. (8) Matth. XII. 41. Luc. XI. 30. 32.. C9) Matth. XU,. 40.. LETTRE. 79 Te le nie ; il l'explique tout au plus par fa mort. Or la mort d'un homme n'eft pas un mi- 'racle; ce n'en eft pas même un qu'après avoir r'efté' trois jours dans la terre un corps en foit retiré. Dans ce paîTage il n'eft pas dit un mot de la réfurreaion. D'ailleurs quel genre de preuve feroit-ce de s'autorifer durant fa vie fur un figne qui n'aura lieu qu'après fa moit? Ce feroit vouloir ne trouver que des incréda- les; ce feroit cacher la chsndelle fous le boif- feau : Comme cette conduite feroit injulle , cette interprétation feroit impie. De plus , l'argument invincible revient en- core. Le fens du troifieme paflage ne doit pas attaquer le premier, & le premier affirme qu'il ne fera point donné dç figne, point du tout, aucun. Enfin, quoiqu'il en puilTe être, il refte toujours prouvé par le témoignage de Jéfus même, que, s'il a fait des miracles durant fa vie, il n'en a point fait en figne de fa mifiîon.- Toutes les fois que les Juifs ont infifté fur ce genre de preuves , il les a toujours renvo- yés avec mépris, fans daigner jamais les fa- tisfaire. 11 n'approuvoit pas même qu'on prit en ce fens fes œuvre» de charité. Si vous ne voyez des prodiges fe? des miracles, vous ne croyez point; difoit-il à celui qui le prioit de guérir fon fils C»o). Parle -t- on fur ce ton -là guand^ (lo) Jean iV. 48. P A ?o TROISIEME on veut donner des prodiges en preuves? Combien n'étoit-iî pas étonnant que, s'il en eut tant donné de telles , on continuât fans cefle à lui en demander ? ^lel miracle fair- tu, lui diraient les Juifs, afin que l'ayant vu nous eroyoïis à toi P Moyfe donna la manne dans le dé- fert à nos pères; mais tui, quelle œuvre fais -tu (fl)? C'eiT: à -peu -près, dans le fens de vos Meilleurs, & laiflant à part la Majellé royale, comme fr quelqu'un venoit dire à rrederic. On te dit un gi-and Capitaine ; c?' pourquoi donc ? Qti' as-tu fait qui te montre tel? Giijîave vainquis à Leijfic à Lutzen, Charles à Fràivjlat à Narva; <^iais cil font tes mommens ? Oi'clle victoire as-- tu remportée, quelle Place as -tu prife , quelle marche as-tu faite, quelle Campagne t'a couvert ' de gloire ? de quel droit portes tu le nom ds Grand? L'imprudence d'un pareil difcours efl elle concevable, & trouveroit- on fur la terre entière un homme capable de le tenir? Cependant, fans faire honte à ceux qui lui en tenoient un fcmblable , fans leur accorder aucun miracle , fans les édifier au moins fur ceux qu'il avoit fait , Jéfus, en réponfe à leur quefticn, fe contente d'allégorifer fur le pain du Ciel: auffî, loin que fa réponfe lui don- nât de nouveaux Difciples, elle lui en ôta plu, fieura (a) Jean VI. 30. .31. & fuiv. t E T T R E; 8x-' fieiiTs de ceux qu'il avoit, & qui, ftns doute, penfoient comme vos Thôologions. La défer- - tion fut telle qu'il dit aux douze; Et vous , ne ' vmdez-vms pas avjfi vous en aller? U ne pa- roit pas qu'il eut fort à cœur de conferver- ' ceux -qu'il ne pouvoit retenir- que par dca iviiiacles. Les Juifs demandoient un figne du Ciel. Dans leur fyîlème, ils avoient raifon. Le figne qui devoit conftater la venue du Meffio ne pouvoit pour eux être trop évident, trop décifif, trop- au deiTuî de tout foupçon , ni avoir trop de té- • moins oculaires; comme le témoignage immé- ■ diat de Dieu vaut toujours mieux que celui des • hommes , il étoit plus fur d'en croire au figne. ■ même, qu'aux gens qui difoient l'avoir vu, &- pour cet effet le Ciel étoit préférable à la terre. • Les Juifs avoient donc raifon dans leur vue, • parce qu'ils vouloient un Meffie apparent & tout miraculeux. Mais Jéfus dit après le Pio- phC'tc que le Royaume des Cieux ne vient point avec apparence, que celui qui l'annonce ne dé- bat point, ne crie point, qu'on n'entend point fa voix dans les rues. Tout cela ne refpire pas l'odentation des miracles; aufll n'étoit-elle pas le but qu'il fe propofoit dans les fiens. Il n'y nicttoit ni l'appareil ni l'authenticité néceffaires pour condatcr de vrais fignes, par ce qu'il ne les donnoit point pour .tels. Au contraire il re-- D 5 32'. T R 0 I s I E M E coiTimandoit le fecret aux malades qu'il gu^riï^ foit ,. aux boiteux qu'il faifoit marcher , aux poflcdéà qu'il délivroic du Démon. ' L'on eut dit qu'il craignoit que fa vertu miraculeufe lie fut connue; on m'avouera que c'étoit une étrange maniera d'en faire la preuve de fa' mifTion.. Mais tout cela s'explique de foi-même, fîcAt que l'on conçoit que les Juifs alloient cherchant cette preuve où Jéfus ne vouloit pas qu'elle fi\U Celui qui me rejette a , difoit il , qui le jugei Ajoutoit - il , les mira. / pas Jéfus qui étoit abfent. // puait dcja2 Quen 'favez-vous ? Sa fœur le dit ; voila toute la preuve. \L'effroi le dégoCit en eut fait dire autant a toute autre femme , quand môme cela n'eut pas été vrai- 14 TROISIEME Au refte, quelque frappant que put me pa- ïoître un pareil fpeftacle , je ne voudrois pour rien au monde en être témoin : car que fais ■ je ce qu'il en pourroit arriver ? Au lieu de me ' rendre crédule , j'aurois grand peur qu'il ne me rendit que fou : mais ce n'efl: pas de moi qu'il s'agit; revenons. On vient de trouver le fecret de retTufciter des noyés ; on a déjà cherché celui de reffufci- ter les pendus ; qui fait fi dans d'autres genres de mort, on ne parviendra pas à rendre la vie à des corps qu'on en avoit cru privés. On ne ;i favoit jadis ce que c'étoit que d'abattre la cata- ' raéle ; c'eft un jeu maintenant pour nos chirur» giens. Qui fait s'il n'y a pas quelque fecret trouvable pour la faire tomber tout d'un coup ? Qui fait fi le poITeiTeur d'un pareil fecret ne peut pas faire avec fîmplicité , ce qu'un fpeifla- teur ignorant va prendre pour un miracle , & ce qu'un Auteur prévenu peut donner pour Jéfus nefaitqueVappeller, [j> il fort. Prenez garde de mal raifonner. 11 s'agiffoit de l'iinpofTibilité phy- fique; elle n'y eft plus. Jéfus faifoic bien plus de façons dans d'autres cas qui n'étoier.t pas plus diffi- ciles : voyez la note qui fuit. Pourquoi cette diffé- rence , fi tout étoit également miraculeux ? Ceci peut être une exagération , & ce n'efl: pas la plus forte que faint Jean ait faite," j'en attcfte le dernier verfet de l'on livangile. LETTRE. 95 tel C*)? Tout cda n'eft pas vraifembhble, foit : Mais nous n'avons point de preuve que cela foU impoffible, & c^eft de rimpoOibilité phyfi- que qu'il s'agit ici. Sans cela. Dieu déployant à nos yeux fa puiilance n'auroit pu nous don- ner que des fignes vraifemblables , de fimples probabilités ; &. il anivcroit de-là que l'autorité des miracles n'étant fondée que fur rignorancc de ceux pour qui ils auroient été faits, ce qui (*-) On voit quelquefois dans le détail des faits- rapportés une gradation qui ne convient pomt a Je opération furnaturelle. On prc/ente a Jéfus un aveugle., Au lieu de le guérir al'inftant, il 1 em- mené hors de la bourgade. Là il onu fes yeux de falive, il pofe fes mains fur lui ; après quoi il lui demande s'il voit quelque chofe. L'aveugle repond S '4 marcher des hommes qui lui paroiOent ïomrae des arbres: Sur quoi, jugeant que la pre- Se opération n'eft pas fuffifante, Jéfus la recom- mence, & enfin l'homme guent. Une autre fois , au lieu d'employer de la falive Tiure, il la délaye avec de la terre. ^ Or ie le demande, à quoi bon tout cela pour un miracle? La nature difpute-t-clle avec fon maître^ A t-il be foin d'effort , d'obftination , pour fe faue obéir? At-il befoin de falive, de terre, dingre- diens ? A-t-il même befoin de parler, & ne fuiht- Tl pas qu'il veuille ? Ou bien ofera-t-on dire que tt, fur de fon fait, ne laiffe pas d'ufer d'un pc- tit manège de charlatan, comme pour fe faire va- bir davantage, &amulér les fpedateurs ? Dans le fyftôme de vos Meffieurs, U faut poiutact lun ou ■p€ T R "O I S I E M È ■feroic miraculeux pour un fijcîc ou pour u» peuple ne le feroit plus pour d'autres; de ror:e -que la preuve univcrfelle étant en défaut , le fyftênie établi fur elle feroit détruit. Non , •donnez-moi des miracles qui demeurent tJls quoi qu'il arrive , dans tous les tems & dans ' tous les lieux. Si plufieurs de ceux qui font rap- ]portés dans la Bible paroilFent être dans ce cas, i 'd'autres auffi paroillent n'y pas être. Rcpond- -moi donc. Théologien, prétends -tu que je palTe le tout en bloc, ou fi tu me permets le •triage? Quand tu m'auras décidé ce point, nous ■verrons après. Remarquez bien , Ivloiifîcur , qu'en fuppo- fant tout au plus quelque amplification dans les circonftances , je n'établis aucun doute fur le fond de tous les faits. C'cft ce que j'ai déjà dit, & qu'il n'cft pas fuperflu de redire. Jéfus , éclairé de l'efprit de Dieu, avoit des lumières fi fiipérieures à celles de fes difciples, qu'il lïed pas étonnant qu'il ait opéré des multitudes de chofcs extraordinaires où Tignorance des fpeflateurs a vu le prodige qui n'y étoit pas. A quel point , en vertu de ces Kiiniercs pou- voit-il agir par des voyes naturelles, inconnues i eux & à nous (o) ? Voila ce que nous ne fa- vons (ai) Nos hommes de Dieu veulent à toute force v ^uc j'aye fait de Jéfus un Impolleur. Ils s'échaufieiit pour LETTRE. 91 vons point & ce que nous ne pouvons favoir. Les fpeaateurs des choies mei-veilleufes font naturellement portés à les décrire avec exagéra- tion. Là deffus on peut de très bonne -foi s'a- bufer foi- même en abufant les autres: pour peu qu'un fait foit au deffus de nos lumières nous le fuppofons au deflfus de la raifon , & Tcfprit voit enfin du prodige où le cœur nous fait défirer fortement d'en voir. Les miracles font, comme j'ai dit, les preu- ves des fimples , pour qui les Loix de la nature forment un cercle très étroit autour d'eux. Mais la fphere s'étend à mefure que les hom- mes s'inftruifent & qu'ils fentent combien il leur refte encore à favoir. Le grand Phyficien voit fi loin les bornes de cette fphere qu'il ne fauroit difcerner un miracle au delà. Cela nefs peut eft un mot qui fort rarement de la bouche des fagcs; ils difent plus fréquemment, je ne fais. Que devons -nous donc penfer de tant de pour répondre à cette indigne accufation , afin qu'on penfe que je l'ai faite ; ils la fuppofent avec un air do certitude; ils y infiftent, ils y reviennent atfec- tucufement. Ah fi ces doux Chrétiens pouvoient m'arrachera la fin quelque blafphème, quel triom- phe! quel contentement, quelle édification pour leurs charitables amesl Avec quelle fainte joye ils apportcroient les tifons allumé-s au feu de leur^ zè- le , pour einbrafer mon bûcher l E 55 TROISIEME miracles rapportés par des Auteurs, véridiques., le n'en doute pas , mais d'une fi crafle igno- lance, & fi pleins d'ardeur pour la gloire de leur maître? Faut -il rejetter tous ces faits? iNÎon. Faut -il tous les admettre? Je l'ignore (/)). Nous devons les refpecler fans prononcer 0) II y en a dans l'Evangile qu'il n'eft pas mô- me poflîble de prendre au pied de la Lettre fans renoncer au bon fens. Tels font, par exemple, ceux des poffédés. On rcconnoit le Diable à forî ceuvre, & les vrais poflédcs font les méchans; la xaifon n'en reconnoltra jamais d'autres. Mais paf- fons : voici plus. Jéfus demande à un grouppe de Démons com- ment il s'appelle. Quoi! Les Démons ont des noms? Les Anges ont des noms? Les purs Efprits oi]t?des noms? Sans doute pour s'entre-appeller entre eux, ou pour entendre quand Dieu les appelle ? Mais qui leur a donné ces noms? En quelle langue en font les mots? Quelles font les bouches qui pro- noncent ces mots , les oreilles que leui-s fons frap- pent? Ce nom c'eil: Légion, car ils font plufieurs , ce quapparamment Jéfus ne favoit pas. Ces Au- ges , ces Intelligences fublimcs dans le mal comme dans le bien , ces Etres Célefies qui ont pu fe ré- volter contre Dieu , qui ofent combattre fcs Dé- crets éternels , fe logent en tas dans le corps d'un homme: forcés d'abandonner ce malheureux, ils demandent de fe jetter dans un troupeau de co- chons, ils l'obtiennent; ces cochons fe précipitent dans la mer; & ce font là les augultes preuves de la milTion du Rédempteur du genre humain, les preuves qui doivent l'attefter à tous les pcuple's de tous les âges, Ne feroit-on pas tenté fur ce langage de prendre \ts fignes pour des preuves de fauiTeté? Quoi ! Dieu , maître du choix de fcs preu- ves quand il veut parler aux hommes, choine par préférence celles qui fuppofenc des con- noiflances qu'il fait qu'ils n'ont pas! Il prend pour les inflruire la môme voyc qu'il fait que prendra le Démon, pour les tromper! Cette marche ferait- elle donc celle de la divinité? Se pourroit-il que Dieu & le Dia'ole fuividert la môme route? Voila ce que je ne puis co)i. cevoir. Nos Théologiens, meilleurs raifonneurs mais de moins bonne foi que les anciens , font fort embarrallés de cette magie; ils voudroient bien pom'oir tout à fait s'en délivrer, mais ils n'o- fent; ils fentent que la nier feroit nier trop. Ces gens toujours fi décififs changent ici de langage; ils ne la nient ni de l'admettent; ils prennent le parti de tergivcrfer, de chercher des faux-fuyans, à chaque pas ils s'arrdtenr ; ils ne lavent fur quel pied danfer. Je (0 Matth. XXIV. 24. Marc. Xill. 22. L ET T K E. 105 je croi^i , Monfieur, vous avoir fait fentir où git la difficulté. Pour que rien ne manque à fa clarté, la voici mife en dilemme. Si Ton nie les preftiges , on ne peut prou- ver les miracles ; parce que les uns & les au- très font fondés fur la même autorité. Et fi l'on admet les preftiges avec les mira- cles , 011 n'a point de rcgie fùre précife & claire pour diftinguer les um des autres : aiiifl les miracles ne prouvent rien. Je fais bien que nos gens ai.ifi preflTés re- • viennent à la doarinc: mais ils oublient bon- nement que fi la doélrine eft établie, le mira- -de eft fuperlk, & que fi elle ne l'eft pas, elle ne peut rien prouver. Ne prenez pas ici le change, je vous fup- plie, & de ce. que je n'ai pas regardé les mî. racles comme elTenciels au Chriftianifme , n'al- lez pas conclure que j'ai rejette les miracles. Non, Monfieur, je ne les ai rejettes ni ne les rejette; fi j'ai dit des raifons pour en douter,, je n'ai point difilmulé les raifons d'y croire; il y a une grande différence entre nier une chofe & ne la pas aiîirmcr , entre la rejetter & ne pas l'admettre, & j'ai fi peu décidé ce point, que je défie qu'on trouve un feul endroit dans tous mes écrits où je fois affirmatif contre les miracles. Eh comment l'aurois-je été malgré mes Es 105 TROISIEME propres doutes , piiifque partout où je fuis quant à moi, le plus décidé, je n'affirme rien encore. Voyez quelles affirmations peut faire an homme qui parle ainfi dès fa Préface (s). „ A l'égard de ce qu'on appellera la partie „ fyftématique, qui n'eft autre chofe ici que ,y la marche de la nature, c'eft là ce qui dé- j, routera le plus les Icfteurs ; c'efl auffi par là a, qu'on m'attaquera fans doute, & peut-être ;,^ n'aura- t-on pas tort. On croira moins lire 5,. un Traité d'éducation que les rêveries d'un 3, vifionnaire fur l'éducation. Qu'y faire? Ce „. n'eft pas fur les idées d'autrui que j'écris , j, c'eft fur les miennes. Je ne vois point corn* :,, me les autres hommes j il y a longtems „ qu'on me l'a reproché. Mais dépend - il de „ moi de me donner d'autres yeux, & de m'af- „ fefbcr d'autres idées ? Non ; il dépend de „ moi de ne point abonder dans mon fens , de „ ne point croire être feul plus fage que tout J, le monde; il dépend do moi, non de chan- „ ger de fentiment, mais de me défier du mien; „ Voila tout ce que je puis faire, & ce que je „ fais. Que fi je prends quelquefois le ton 5, affirmatif, ce n'eft point pour en impofcr au „ lefteur; c'eft pour lui parler comme je pen- „ fe. Pourquoi propoferois • je par forme de (0 Préface d'JEmile. p. iv% L' ET T R E!' 167 ' „ -doute œ dont quant à moi je ne doute point ? Je dis exaftement ce qui fe paffe dans „ mon efprit. „ En expofant avec liberté mon fentiment, j'entends û peu qu'il faffe autorité , que j'y joins toujours mes raifons , afin qu'on les pefe & qu'on me juge. Mais quoique je ne l] veuille point m'obftiner à défendre mes '' idées, je ne me crois pas moins obligé de les propofer; car les maximes fur lefqueî- " les je fuis d'un avis contraire à celui des autres ne font point indifférentes. Ce font de celles dqnt la vérité ou la fauffeté impor- '' te à connoître, & qui font le bonheur ou le- 5, malheur du genre humain." Un Auteur qui ne fait lui-même s'il n'efi: point dans l'erreur , qui craint que tout ce qu'il dit ne foit un tiffu de rêveries , qui , ne pouvant changer de fentimens , fe défie du fîen , qui ne prend point le ton affirmatif pour le donner, mais pour parler comme il penfe, qui , ne voulant point faire autorité , dit tou- jours fes raifons afm qu'on le juge, & qui môme ne veut point s'obftiner à défendre fes idées; un Auteur qui parle ainfi à la tête de fon Livré y veut -il prononcer des oracles? veut -il donner des décifions, & par cette dé- claration préliminaire ne met -il pas au nombre des doutes fes plus fortes afTertions? io8 T R 0 I S I E LI E Et qu'on ne dife point que je manque à mes engagemens en m'obftinant à défend: e ici mes idées. Ce feroit le comble de . l'In- juftice. Ce ne font point mes idées que je dé- fends , c'eft ma peifonne. Si l'on n'eut atta- qué que m.es Livres, j'aurois condammenr gar- dé le filence; c'étoit un point réibla. D-puis ma déclaration faite en 1753, m'a- 1 on vu ré- pondre à quelqu'un, ou me tailbis-je famé d'aggreiTeurs ? Mais quand on me pourùiit, quand on me décrète, quand on me deshono- xe pour avoir dit ce que je n'ai pas dit , il faut bien pour me défendre montrer que je ne l'ai pas dit. Ce font mes ennemis qui malgré moi me remettent la plume à la main. Eh ! qu'ils me laiffcnt en repos, & j'y laiOerai le public: j'en donne de bon cœur ma parole. Ceci fert déjà de réponfe à l'objeélion ré- torfive que j'ai prévenue , de vouloir faire moi-même le réformateur en bravant les opi- nions de tout mon ficelé; car rien n'a moins l'air de bravade qu'un pareil langage , & ce Jï'eû pas aflurément prendre un ton de Pro- phête que de parler avec tant de circonfpec- tion. J'ai regardé comme un devoir de dire mon fentiment en chofes importantes & uti- les; mais ai- je dit un mot, ai -je fait un pas pour le faire adopter à d'autres; quelqu'un a- t-il vu dans ma conduite l'air d'un homme qui cherchoit à fe faire des fcdateurs? LETTRE, I&9 En tranfcrivanc l'Ecrit particulier qui fait tant d'imprévus zclateurs de la foi, j'averci's encore le leftcur qu'il doit fe défier de mes jugemens, que c'eft à lai de voir s'il peut ti- rer de ctt Ecrit quelques réflexions utiles, que je ne lui propofe ni le fentiment d'autrut ni le mien pour règle, que je le lui prcfente à exa- miner {t). Et lorfque je reprends la parole voici ce que j'ajoute encore à la lin. J'ai tranfcrit cet ]::crit , non comme une rcgie des fentimens qu'on doit fuivre en ma- tière de Religion , mais comme un exemple de la manière dont on peut raifonner avec „ fon élevé pour ne point s'écarter de la mé- „ tlîodc que jai tâché d'établir. Tant qu'on ne donne rien à l'autorité des hommes ni „ aux préjugés des pays où l'on eft né , les „ feules lumières de la raifon ne peuvent dans „ rinftitution de la Nature nous mener plus „ loin que la Religion naturelle, & c'efi: à quoi „ je me borne avec mon Emile. S'il en doit „ avoir une autre, je n'ai plus en cela le droit „ d'être fon guide ; cd\ à lui feul de la choi- Quel efl: après cela l'homme alTez impudent (0 Emile. T. IL p. 360. (v) Ibid. T. Jll. p. 204. E 7 îio TROISIEME pour m'oCer taxer d'avoir nié les miracles qui ne font pas même niés dans cet Ecrit? Je n'en ai pas parlé ailleurs (.r). Quoi ! parce que l'Auteur d'un Ecrit publié par un autre y introduit un raifonneur qu'il défaprouve (y), & qui dans une difpute rejette les miracles, il s'enfiiit delà que non feulement l'Auteur de cet Ecrit mais l'Editeur rejette auflî les miracles ? Quel tilTu de témérités ! Qu'on fe permette de telles préfomptions dans la cha- leur d'une querelle littéraire, cela eft très blâ- mable & trop commun ; mais les prendre pour des preuves dans les Tribunaux! Voila une ju- Tifprudence à faire trembler l'homme le plus jufte & le plus ferme qui a le malheur de vivre fous de pareils magifirats. L'Auteur dé la profeffion de foi fait des ob- jeftions tant fur l'utilité que fur la réalité des miracles, mais ces objcclions ne font point des négations. Voici là deffus ce qu'il dit de plus fort. „ C'efl l'ordre inaltérable de la nature qui „. montre le mieux l'Etre fuprême. S'il arrivoit „ beaucoup d'exceptions , je ne faurois plus (x) J'en ai pnrlc depuis dans ma lettre à M de Beaumont : mais outre qu'on n'a rien dit fur cette lettre , ce n'eft pas fur ce qu'elle contient qu'on peut fonder les procédures faites avajit qu'elle aie paru. . (:y)EmUe, T.IU. 0,151, LETTRE. îJî ,, .qu'en penfcr , & pour moi je crois trop en ', Dieu pour croire à tant de miracles fi ptu „ clignes de lui." Or je vous prie, qu'eft-ce que cela dit? Qu'une trop grande multitude de miracles les rendoit fufpeas à l'Auteur. Qu'il n'admet ponit indiftinaement toute forte de miracles , & que fa foi en Dieu lui fait rejettcr tous ceux qume font pas dignes de Dieu. Quoi donc? Celui nui n'admet pas tous les miracles rejette -t- il tous les miracles, & faut -il croire à tous ceux de la Légende pour croire l'afccnfion de Chnft? Pour comble. Loin que les doutes contenus dans cette féconde partie de la profemon defoi puiffent être pris pour des négations , les ne- gâtions, au contraire, qu'elle peut contenir, ne doivent être prifes que pour des doutes. C'efl: la déclaration de l'Auteur, en la com- mençant, fur les fentimens qu'il va combattre. J^Je donnez, dit- il, à mes difcours qui l'autorité de la ratfon. J'ignore fi je fuis dans Veneur. Il ejl difficile , quand on difcute de ne pas prendre quelquefois le ton affirmaîif; mais fouvenez- vous qu'ici t'jutes mes affirmations ne font que des rai- fons de douter (s). Peut- on parler plus pofiti- vement? Quant à moi , je vois des faits atteftés dans (x) Emilfl T. m. p. 131- IÎ2 TROISIEME les faintes Ecritures; cela fuiîlc pour arrêter far ce point mon jugement. S'ils ctoicnt ail- leurs, je rejetterois ces faits ou je leur ôteroiîK 1^ nom de miracles; mais parce qu'ils font dans l'Ecriture je ne les rejette point. Je ne les ad- mets pas, non plus, parce que ma rai ("on s'y rtfufe, & que ma décillon fur cot article n'iii- tôreffe point mon falut. Nul Chrétien judicieux îie peut croire que tout foit infpiré dans la Bible, jufqu'aux mots & aux erreurs. Ce qu'on doit croire infpiré tfl; tout ce qui tient à nos d-'voirs,* car pourquoi Dieu auroit-il infjiiré le ri-fle? Or la doclrine des miracles n'y tient niillcmcnt; c'eft ce que je viens de prouver. Aiiifi le fentiment qu'on peut avoir en cela n'a nul trait au refpefl qu'on doit aux Livres la- cris. D'ailleurs, il eft impofîîble aux hommes de s'a;Turer que quelque fait que ce puiffe être e(l un miracle (aa); c'eft encore ce que j'ai prou- vé. Donc en admettant tous les faits contenus (aa) Si ces Meîîîeursdifcnt que cela elldécidi dans l'Ecriture, & que je dois rcconnriLre pour miracle ce qu'elle me donne pour tel; je réponds que c'ell ce qui eft en qucllion , & j'ajoute que ce raifonne- mcpt de leur p:irt eft un cercle vicieux. Car piiif- qu'ils veulent que le miiaele ferve de preuve à ja Révélation , ils ne doivjnt pas cir,ployer l'autorité de la Révélation pour conllater le miracle. LETTRE. îT^ dans la Bible , on peut rejeiter les miracles fans impiété, & même fans inconféquence. je n^ai pas été jafqucs là. _ Voila comment vos Meffieurs tirent des mi. racles, qui ne font pa-s certains . qui ne lor.t pas nécelTaives , qui ne prouvent rien , c\ qu- je n'ai pas rejettes, la preuve évidente que je lenverfc les fondemens du ChriftianLfme , 6c que je ne fuis pas Chrétien. L'ennui vous empôeheroit de me fuivre U ^ j'entrois dans le même détail fur les autres ac cufatio^s qu'ils eatairent , pour tâcher de coa. vrir par le nombre l'injuftice de chacune en puticuliur. Ils in'accafent par exemple de re- jctter ia piicre. Voyez le Livre, & vous trou^ verez une prière dans l'endroit même dont il s'.'.git. L'homme pieux qui parle (W) ne cro-S : pas ileilvrai, qu'il foitabfoktmentnécefïïurs ■ de demander à Dieu telle ou telle chofe en (hh) UnMinii^re de Genève, dixTîcne afrurément en Chrifri.nifme dans les i"g^!^l'^^l%?^.;V ^Vue mien , ailirmo guo j'ai dit, moi J. J. ^^«.(Veau que e ne Driois pas' Dieu: 11 l'alïure en tout autar.t uG icrmef cinVou fix fois de ^^^^^^^^^ mo nommant. Je veux porter^ ''ff ^]/J..f|rù mais ofcrois-je lui demander ou ] ai ^'^ ^^la . ir eit permis à tout birbouillcur de papiei àt/^^^^^ ibnner & bavarder tant qu'il veut ; m-';: ' ^^^^i; pas permis à un bon Chiéùcn dctre un calomnia.- teur public. 114' TROISIEME particulier (ce). Il ne défaprouve point qu'ott^ le fafTc;. quant à moi, dit-il, je ne le faij pas,, perfuadé que Dieu eft un bon père qui fait mieux que fes enfans ce qui leur convient. Mais ne peut -on lui rendre aucun autre culte auffî digne de lui ? Les hommages d'un cœur plein de zèle, les adorations, les louanges, la contemplation de fa grandeur , l'aveu de notre néant, la réfignation à fa volonté, la foumiflion à fes loix , une vie pure & fainte, tout cela ne vaut-il pas bien des vœux intércffés & mer- cenaires ? Près d'un Dieu jufte la meilleure manière de. demander, eft de mériter d'obtenir. Les Anges qui le louent autour de fon Trône (^0 Qjicnd vous prierez , dit Jéfus , prie2 aînfi Quand on prie avec des paroles , c'eft bien fait de préférer celles-là; mais je ne vois point ici l'ordre de prier avec des paroles. Une autre prière eft pré- férable; c'eft d'être difpofé à tout ce que Dieu veut. Me voici. Seigneur, jour faire ta volonté. De toutes les formules, l'Orraifon dominicale eft, fans contre- dit , la plus parfaite ; mais ce qui eft plus parfait encore eft l'entière ré^nation aux volontés de Dieu. Non Joint ce qve je veux , mais ce que tu veux. Que dis- je V C'eft l'Oraifon dominicale elle même. Elie eft toute entière dans ces paroles ; One ta velouté Joitjaite. Toute autre prière eft fupcrilTie & ne fait que contrarier celle-là. Que celui qui y>enk ainfi fe trompe , cela peut être. Mais celui qui publioue- ment l'accule à caufe de cela de détruire la morale Chrétienne & de n'être pas Chrétien, eft-il uu fort bon Chrétien luimcrne.?. LETTRE. ^^' lé prient-ils ? Qu'auroient-ils à lui ^^^mander ?' Ce mot de prière eft fouvent employé dans, l'Ecriture pour i&mmage , adoration, & qui tait le plus eft quitte du moins. Pour moi, je ne xejette aucune des manières dhonorer Dieu,- j'ai toujours approuvé qu'on fe joignit a l^. gUfeq-^ 'ne prie; je le fais; le Prêtre bavoyard fe failit lui-même W- L'Ecrit fi violemment attaqué eft plein de tout cela. N'importe: jc vejette, dit-on , la prière ^ je fuis un impie « brûler. Me voila jugé. Ils dirent encore que j'accufe la^moiale Chrétienne de rendre tous nos devoirs imprati- cables en les outrant. La morale Chrétienne eft celle de l'Evangile; je n'en reconnois point .Vautre, & c'eft en ce feus au Hl que 1 entend »non accufateur, puifque c'eft des imputations oU celle-là fe trouve comprife qu'il conclud , quelques lignes après , que c'eft par d.rifion que j'appelle l'Evangile divin {ce). Or voyez fi l'on peut avancer une fauff té plus noire & montrer une mauvaife foi pu s marquée, puifque dans le paffage de mon Li- vre oîi ceci fe rapporte, il n'eft pas même pof. fible que j'aye voulu parler de l'Evangile. Voici, Monfieur, ccpafTage: il eft dans le (dd) Emile T. m. p. 185. (^cej Lettres écrites de la Campagne p. iï» ^"ï,.sils font peu- tcntis d'aubraOer un état Û „ deplaifant. A force d'outrer tous les devoirs, M le Chrifîianifme les rend impraticables & y, vains; à force d'interdire aux femraes le j. chant la danfe & tous les amufemens du ,r monde , il les rend maulTades, grondeufes, >y inTupportables dans leurs maifons." Mais où cil -ce que l'Evangile interdit aux femmes le chant & la danfe ? où eft-ce qu'il les aflervit à de trilles devoirs ? Tout au coiv traire il y eft parlé des devoirs des maris, mais ^Uiy eii pas dit un mot de ceux des femmes. Donc on a tort de me faire, dire de l'Evanqile ce que je n'ai dit que des Janfeniftes, des Mé- thoJiftes, & d'autres dévots d'aujourd'hui, qui font du Chrillianifme une Religion aulTi terri- ble & déphifantc (ff), qu'elle eft agréable & douce fous la véritable lai de Jéfus-Chrift. Œ) Les premiers Réformés donnèrent- d'abord pocrtc , & les premiers Janfcnillcs ne manquèrent &'' ;n!'ni"« " '", '';''''• ^''' Pr^'^li^teur de Genè- VI-., appelle Hemi de la Marre, foutenoit en cbuirs- L E T T R E. 117 'Je ne voudrois pas prendre le ton du Père Bervuyer , que je n'aime guère, & que je trouve même de très mauvais goût; mais je ne puis m'empecher de dire qu'une des chofes qui me charment dans le caradere de Jéfus, n'eft pas feulement la douceur des mœurs, la fimplicité , mais la facilité la grâce & même l'élégance. Il ue fayoit ni les plaifirs ni les fêtes, il alloic atix noces, il voyoit les femmes, il jouoit avec les enfans , il aimoit les parfums, il mangeoit chez les fmanciers. Ses difciples ne jeunoient point ; fon auftérité n'étoit point facheufe. Il étoit à la fois indulgent & jufte, doux aux foi- blés & terrible aux méchans. Sa morale avoit quelque chofe d'attrayant , de careffant , de tendre; il avoit le cœur fénfible, il étoit hom- me de bonne foçiété. Quand il n'eut pas été le plus fage des mortels , il en eut été le plus ai. mable. Certains paflages de Saint Paul outrés ou mal entendus ont fait bien des fanatiques , & que c'étoit pécher que d'aller à la noce plus joyeu- fement que Jéfus -Chrift n'étoit allé à la mort. Un Curé Janfenifte foutenoit de même que les feftuis des noces étoient une invention du Diable. Quel- qu'un lui obieaa là-deiïus que Jéfus-Chrift y avoit pourtant affifté , & qu'il avoit même daigné y faire fon premier miracle pour prolonger la gai té du fcrtin. Le Curé, un peu embarralle, répondit en grondant : Ce n'eji pas ce qu'il fit de mieux. LiiS T R O I S I E Kî E ces fanatiques ont fouvent défiguré & desha- Eoré le Chriftianifme. Si l'on s'en fut tenu i l'cfpiit du Maître , cela ne feroit pas arrivé. Qu'on m'accufe de n'être' pas toujours de l'avis de Saint Paul , on peut me réduire à prouver que j'ai quelquefois raifcn de n'en pas être. Mais il ne s'enfuivra jamais de -là que ce foit par dérifion que je trouve l'Evangile divin. Voila pourtant comment raifonnent mes per- fécuteurs. Pardon, Monfieur; je vous excède avec ce» longs détails; je le fens & je les termine; je n'en ai déjà que trop dit pour ma défcnfe, & je m'ennuye moi-même de répondre toujours par des raifons à des accufations fans raiCon. LETTRE, rif QUATRIEME LETTRE. il f E VOUS ai fait voir , Monfieur , que les im- ■putations tirées de mes Livres en preuve que j'attaquois la Religion établie par les loix é- toient faulTes. Ceft , cependant, fur ces im- putations que j'ai été jugé coupable, & traite xomme tel. Suppofons maintenant que je le rfuffe en effet, & voyons en cet état la puni- ition qui m'étoit due. Ainfi que la vertu le vke a fes degrés» Pour être coupable d'im crime on ne l'ed pas de tous. La juftice confifte à mefurer ex- aaement la peine à la faute, & l'extrême judi- .ce elle-même eft une injure, lorfqu'elle n'a nul égard aux confidérations raifonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi. Le délit fuppofé réel, il nous rcfte à cher- ,cher quelle eil fa nature & quelle procédure efl prefcritte en pareil cas par vos loix. Si j'ai violé mon ferment de Bourgeois . ,cotnme on m'en accufe , j'ai commis un crime .d'Etat, & la connoim^nce de ce crime appar- tient diiefteiiicnt au Confeil; cela eft incont*. ftable. 1-20 QUATRIEME .Mais fi tout mon crime confifte en erreur fur la doflrine , cette erreur fut -elle même une impiété ; c'eft autre chofe. Selon vos Edits il appartient à un autre Tribunal d'en connoître en premier refibrt. Et quand même mon crime feroit un crime d'Etat, fi pour le déclarer tel il faut préalable- ment une décifion fur la doflrine, ce n'eft pas au Ccnfeil de la donner. C'efl: bien à lui de punir le crime, mais non pas de le conftater. Cela eft formel par vos Edits , comme nous verrons ci- après. Il s'agit d'abord de favoir fi j'ai violé mon ■ ferment de Bourgeois , c'eft-à-dire , le ferment qu'ont prêté mes ancêtres, quand ils ont été admis à la Eourgeoifie; car pour moi , n'aj'ant pas habité la Ville & n'ayant fait aucune fonc- tion de Citoyen, je n'en ai point prêté le fer- ment : mais paiïbns. Dans la formule de ce ferment , il n'y a que deux articles qui puiflent regarder inon délit. On promet par le premier , de vivre félon la Réformation du St. Evangile; & par le dernier, de ne faire ne foiiffrir aucunes pratiques marbina- tiotis ou entreprifes contre la Reformation du St. Evangile. Or loin d'enfreindre le premier article , je m'y fuis conformé avec une fidélité & même une hardiefTe qui ont peu d'exemples, profef- faiit LETTRE. ï^£ fknt hautement ma Religion chez les Catholi- ques , quoique j'euffe autrefois vécu dans la leur; & l'on ne peut alléguer cet écart de mon «nfance comme une infraftion au ferment, fur- tout depuis ma réunion aathentique à votre Eglife en 1754.. & mon rétablilTement dans mes droits de Bourgeoifie , notoire à tout Genève, à. dont j'ai d'ailleurs des preuves poatives. . Gn ne fauroit dire, non plus, que j'aye en- freint ce premier article par les Livres condan- nés ; pulCque je n'ai point celTé de m'y décla- rer Protellant. D'ailleurs , autre chofe eft la conduite , autre chofe font les Ecrits. Vivre félon la Réformation c'eft profeffer la Réfor» ■ mation , quoiqu'on fe puilTe écarter par erreur ■de fa doftrine dans de blâmables Ecrits, ou commettre d'autres péchés qui offenfent Dieu, mais qui par le feul fait ne retranchent pas le délinquant de l'Eglife. Cette diftinaion, quand on pourroit la difputer en général, eft ici dans le ferment même; puifqu'on y fépare en deux articles ce qui n'en pourroit faire qa'un, fi la |)rofeiTion de la Religion étoit incompatible avec toute entreprifc contre la Religion. On y jute par le premier de vivre félon la Réforma- tion , & l'on y jure par le dernier de ne rien . entreprendre contre la Réformation. Ces deux articles font très diftinds & même féparés par ^jcaucoup d'autres. Dans le fens' dw Légiflatew f 122 QUATRIEME ces deux chofes font donc réparables. Donc quand j'aurois violé ce dernier article , il ne s'enfuit pas que j'aye violé le premier. Mais ai-je violé ce dernier article ? Voici comment l'Auteur des Lettres écri- tes de la Campagne établit Taffirmative , pa- ge 30. „ Le ferment des Bourgeois leur impofe l'o- „ bligation de ne faire ne feuffrir être faites au- „ cunes pratiques machinations ou entre^rifes contre „ la Sainte Réformation EvaJigélique. Il femble „ que c'eft un peu {a) pratiquer & machiner „ contre elle que de chercher à prouver dans „ deux Livres fi féduifans que le pur Evangile „ efl: abfurde en lui-même & pernicieux à" la „ fociété. Le confeil étoit donc obligé de jet- ,, ter un regard fur celui que tant de préfomp- „ tions fi véhémentes accufoient de cette entrc- „ prife." Voyez d'abord que ces Meflîeurs font agréa- bles l H leur femble entrevoir de loin un peu de pratique & de machination. Sur ce petit femblant éloigné d'une petite manœuvre , ils jettent un regard fur celui qu'ils en préfumenc (a) Cet un peu , fi plaifant & fi difFérent du ton grave & décent du refle des Lettres, ayant été re- tranché dans la féconde édition , je m'abftiens d'al- ler en quête de la griffe à qui ce petit bout, non d'oreille, mais d'ongle appartient. I LETTRE. laj l'Auteur; & ce regard eft un décret de prifc lie corps. Il eft vrai que le même Auteur s'égaye à prouver enfuite que c'cft par pure bonté pour iBoi qu'ils m*ont décrété. Le Con/e//, dit- il, poîiV'ît ajourner perfonnellement M. RouJJea'i, il pouvJÎt VaJ]i^\'er pour être ouï, il pouvait le di- : créter De ces trois pxrtis le dernier était in- comparablement le plus doux ce n'était au. fond quim avertijjement de ne pas revenir , s'il ne voulait pas s'exlojer à une procédure, ou s'il von- kit s'y expojer de bien préparer fes défenfes (6). Ainfi plaifantoit, dit Brantôme , l'exécuteur de l'infortuné Dom Carlos Infant d'Efpagne. Comme le Prince crioit & vouloit fe débattre, Paix, Monjeigneur, lui difoit-il en l'étranglant, tout ce qu'on en fait n'efl que pour votre bien. Mais quelles font donc ces pratiques & ma- ''chînations dont on m'accufe? Pratiquer, fi fea- tends ma langue, c'eft fe ménager des intelli- gences fecrcttes ; machiner ^ c'eft faire de fourdes menées , c'eft faire ce que certaines gens font contre le Chriftianifrae & contre moi. Mais je ne conçois rien de moins fecret , rien de moins caché dans le monde , que de publier ua Livre & d'y mettre fon nom. Quand j'ai dit mon fentiment fur quelque matière que ce Çb) Fa^Q 31. F 2 JU QUATRIEME fut, je l'ai dit hautement, à la face du public, je me fuis nommé , & puis Je fuis demeuré tranquille dans ma retraite: on me perfuadera difficilement que cela reffcmblc à des pratiques & machinations. Pour bien entendre refprit du ferment & le fens des termes , il faut fe tranfporter au tems où la formule en fut drcfTée & où il s'agiffoit effenciellement pour l'Etat de ne pas retomber fous le double joug qu'on venoit de fccouer. Tous les jours on découvroit quelque nouvelle trame en faveur de la mnifon de Savoye ou des Evêques, fous prétexte de Reh'gion. Voi- la fur quoi tombent clairement les mots de pratiques & de machînatiens , qui, depuis que la langue Françoife exille n'ont fûrement jamais été employés pour les fentimens généraux qu'un homme publie dans un Livre où il fe nomme', Uns projet fans objet fans vue particulière, & fans trait à aucun Gouvernement. Cette accu- fation paroit fi peu férieufe à l'Auteur même qui l'ofe faire, qu'il me reconnoic fidelle aux devoirs du Citoyen {c). Or comment pourrois-je l'être, fi j'avois enfreittt mon ferment de Bour- geois? 11 n'eft donc pas vrai que j'aye enfreint ce ferment. J'ajoute que quand cela feroit vrai, (0 Page 2f I LETTRE, n5 rien ne feroit plus inouï dans Genève en cho- fes de cette efpece, que la procédure faite con- tremoi., 11 n'y a peut-être pas de Bourgeois nui n'enfreigne ce ferment en quelque article là) , fans qu'on s'avlfe pour cela de lui chercher querelle, & bien moios de le décréter. On ne peut pas dire, non plus, que j atïa- oue la morale dans un Livre où j'établis^ de tout mon pouvoir la préférence du bien gène- tal fur le bien particulier & où je rapporte noî devoirs envers les hommes à nos devoirs en- " vers Dieu; feul principe fur lequel la morale puilTe être fondée . pour être réelle & palier l'apparence. On ne peut pas dire que ce Livre tende en aucune forte à troubler le culte éta- bli ni l'ordre public, puifqu'au contraire jy infifte fur le refpeét qu'on doit aux formes éta- blies fur l'obéiffance aux lois en toute cho- .' fe même en matière de Religion, & puifquc c'eft de cette obéiffancc prefcritte qu'un Prêtre de Genève m'a le plus aigrement repris. Ce délit fi terrible & dont on fait tant de bruit fe réduit donc , en l'admettant pour réel, •■ à quelque erreur fur la foi qui. fi elle n'eft *vantageufe à la fociété, lui eft du moins tr.s (d) Par exemple, de ne point fortir de la Ville, pour aller habiter ailleurs fans permiflion. Qai ell- œ qui demande cette permiiïïoni ï" 3 i2« QUATRIEME j indifFérente; le plus grand mal qui en réful. te étant la tolérance pour les fentimens d'au- triii, par conféquent la paix dans l'Etat & dans le monde fur les matières de Religion. Mais je vous demande, à vous, Monfieur, qui connoiffez votre Gouvernement & vos loix, à qui il appartient de juger, & furtout en pre* niiere inftancc, des erreurs fur la foi que peut commettre un particulier? Eft-ce au Confeil, cft ce au Confifloire ? Voila le nœud de la qndlion. Il falloit d'abord réduire le délit à fon efpe- ce. A préfcnt qu'elle eft connue, il faut com. parer la procédure à la Loi. Vos Edits ne fixent pas la peine due à celui qui erre en matière de foi & qui publie fon erreur. Mais par l'Article 88 de l'Ordonnance eccléfiaflique , au Chapitre du Confiftoire, ils règlent l'Ordre de la procédure contre celui qui dogmatife. Cet Article eft couché en ces termes. S'il y a quelqu'un qui dogmatife contre la Me- trine reçue , qu'il feit appelle pour conférer avec lui: s'il fe range , qu'on le fnpporte fans fcandale ni diffame : s'il ejl opiniâtre , qu'on Vadmonefle par quelques fois pour efjfayer à le rcduire. Si on voit enfin qu'il foit befoin de {lus grande févéïi- té , qu'on lui intetdife la Sainte Ct?ie , ^ qu'on er% évmifje le Magijîrat afin d'y pcwvair. L E T T H E. 'i^l On voit par là. , . r jo. Que la première inqUifition de eette cf. «ece de délit appartient au Confiftoire.^ 2° Que le Légiflateur n'entend point quun tel délit foit irrémiffible, fi celui qui l'a com- mis fe repent & fe range. , . . • 3° Qu'il prefcrit les voyes qu'on doit fuivre pour 'ramener le coupable à fon devoir. ^ % Que ces voyes font pleines de douceur d'égards de commifération ; telles qu'il coti- vient à des Chrétiens d'en ufer , à l'e.emple de leur maître, dans les fautes qui ne trou- tient point la fociété civile & n'intereffent que la Religion. co Qu'enfin la dernière & plus grande peine «u'il prefcrit eft tirée de la nature du délit, comme cela devroit toujours être, en privant le coupable de la Sainte Cène & de la commu- nion de l'Eglife, qu'il a ofFenfée,& qu'il veut continuer d'ofFenfer. Après tout cela le Confiftoire le dénonce au Magiftrat qui doit alors y pourvoir; parce que la Loi ne foufFrant dans l'Etat qu'une feule Keligion , celui qui s'obftine à vouloir en profelTer & enfeigner une autre, doit être re- tranché de l'Etat. _ On voit l'application de toutes les parties dt cette Loi dans la forme de procédure fuivie en 1563 contre Jean Morelli. F 4 ^ - 'ïa8 QUATRIEME Jean Morelli habitnnt de Genève avoit fait & publié un Livre dans lequel il attaquoit ia difcipline eccléfiaftique & qui fut cenfuré au Synode d'Orléans. L'Auteur, fe plaignant beau- coup de cette cenfure & ayant été, pour ce même Livre appelle au Conûftoire de Gène*- ve, n'y voulut point comparoitre & s'enfuit; puis étant revenu avec la permifTîon du Ma. giflrat pour fe réconcilier avec les Miniftres il ne tint compte de leur pader ni de fe ren- dre au Confifloire, jufqu'à ce qu'y étant cité de nouveau il comparut enfin, & après de lonr ^ues difputcs , ayant refufé. toute efpece de fi- tisfaftion, il fut déféré & cité au Confeil, où, au lieu de comparoitre, il fit préfenter par fa «cffiuic v,rj£ excufs par écrit, & ç'enfujc dere. chef de la Ville. II fut donc enfin procédé contre lui , c'efl-i-» dire, contre fon Livre, à. comme la fentence rendue en cette occafion eft importante, même <]uant aux termes, & peu connue, je vais vous Ja tranfcrire ici toute entière; elle peut avoir fon utilité. „ (e) Nous Sindlques Juges des caufes cri- „ minellcs (0 Extrait des procédures faites & tenues cou. tre Jean Morelli. Imprimé à Genève chez Frajiçoîs.- Perrin. 1563 page 10. * L E T T R E. ;, minelles de ceLte Cité , ayans entendu le ], rapport da vénérable Confilloire de cette Eglife , des procédures tenues envers Jean ** Morelli habitant de cette Cité: d'autant que ", maintenant pour la féconde fois il a aban- „ donné cette Cité , & au lieu de comparoitre- " devant nous & nAtrc Confeil , quand il y étoit renvoyé, s'eft montré défobéilTanl : a^ [[ ces caufes & autres jùftes à ce nous mo.i- [\ vantes, feans pour Tribunal au lieu de nc&^ Ancêtres , félon nos anciennes coutumes , '' après bonne participation de Confeil avec; ,',' nos Citoyens , ayans Dieu & fes Saintes E- critures devant nos yeux & invoqué foa Saint nom pour faire droit jugement ; di- [' fans. Au nom du Pcre du Fils & du Saint *' Efprit , Amen. Par cette nôtre défEnitivc fcntence , laquelle donnons ici par écrit,,, *', avons avifé par meure délibération de pro- céder plus outre, comme en cas de contu- mace dudit MorcUi : fuitout afin d'avertir [[ tous ceux qu'il appartiendra , de fe donner *' garde du Livre, afin de n'y être point abu- fés. Eflant donc duement informez des ref- vcries & erreurs lefquels y font contenus , & [] fartout que le dit Livre tend à faire fchif- mcs & troubles dans l'Eglife d'une façon fé- ditieufe : l'avons condanné & condannons comme un Livre nuifible & pernicieux, & F 5 13® QUATRIEME ,, pour donner exemple , ordonné & ordon- ,, nons que l'un d"iceux foit préfentement brus- „ lé. Défendans à tous Libraires d'en tenir „ ni expofer en vente: & à tous Citoyens „ Bourgeois & Habitans de cette Ville de quel- ,, que qualité qu'ils foient, d'en acheter ni a- „ voir pour y lire: commandans à tous ceux „ qui en auroient de nous les apporter , & „ ceux qui fauroient où il y en a, de le nous j, révéler dans vingt quatre heures, fous peine „ d'être rigoureufenient punis. „ Et à vous noftre Lieutenant commandons que „ faciez mettre noftre préfente fentence à due & „ entière exécution." Prononcée ^ exécutée le Jeudi fùzieme jour de Seltembre mil cinq cens foixante trois. " Ainfi figné P. Chenelat. " Vous trouverez, Monfieur, des obfervations ^e plus d'un genre à faire en tcras & lieu fur cette pièce. Quant à préfent ne perdons pas notre objet de vue. Voila comment il fut pro- cédé au jugement de Morelli, dont le Livre ne fut brûlé qu'à la fin du procès , fans qu'il fut parlé de Bourreau ni de flétrilTure, & dont la perfonne ne fut jamais décrétée, quoiqu'il fut opiniâtre & contumax. Au lieu de cela, chacun fait comment le Confeil a procédé contre moi dans i'inftant qu.« LETTRE. 131 ï'Oiivrage a paru, & fans qu'il ait même été fait mention du Confiftoire. Recevoir le Livre par la pofte. le lire, l'examiner, le déférer, le brûler, me décréter , tout cela fut l'affaire de huit ou dix jours: on ne fauroit imaginer une procédure plus expéditive. i i • Te me fuppofe ici dans le cas de la loi, dans le feul cas où je puiffe être puniffable. Car autrement de quel droit puniroit - on des fautes qui n'attaquent perfonne & fur lefquellc» les Loix n'ont rien prononcé? L'Edit a-t-il donc été obfervé dans cette at- faire? Vous autres Gens de bon fens vous ima- gineriez en l'examinant qu'il a été violé com- me à plaifir dans toutes fes parties. „ Le Sr. Rouffeau ", difent les Répréfentans , „ n'a " point été appelle au Confiftoire. mais le ma- '', gnifiquc Confeil a d'abord procédé contre " lui; il devoit être Jupperté fans f caudale , mai» ',', fes Ecrits ont été traités par un jugement ',' public, comme téméraires , impies , Scandaleux i [[ il devoit être fupporté fans diffame; mais il a été flétri'de la manière la plus diffamante, ", fes deux Livres ayant été lacérés & brûlés ^ par la main du Bourreau. „ L'Edit n'a dont pas été obfervé *' contî- «ucnt-ils,„ tant à l'égard de la juriCdiffion qiu ^, appartient au Confiftoire, que relativement 1 au Sr. Rouffeau , qui devoit être sppcU^, J32- QUATRIEME- 5, fupporté fans fcàndale ni difFame, admoneH^é ,, par quelques fois , & qui ne pouvoit C-tre „ jugé qu'en cas d'opiniâtreté obftinée. " Voila , fans doute, qui vous paroic plus clair que le jour, & à moi aufE. Hébien non: vous allez voir comment ces gens qui favent montrer le Soleil à minuit favent le cacher à midi. L'adrefle ordinaire aux fophiftes eft d'entaf- fer force argumens pour en couvrir la foiblcffc.. ?our éviter des répétitions & gagner du tems , divifons ceux des Lettres écrites de la Campa- gne; bornons nous aux plus eflenciels , lailTons ceux que j'ai ci - devant réfutés , & pour ne point altérer les autres rapportons les dans les. tenr.es de l'Auteur. Ctji d'après nos Loîx , dit- il', que je dois ex!f- mîiur ce qui s'eji fait à l'égard de Aï. Roujfean^ î'ort bien ; voyons. Le premier article du ferment des Bourgeois les kbltge à vivre félon la Réformation du Saint £« vangile. Or, je le demande, efi-ce vivre félon. ïlEvangile , que d'écrire contre V Evangile? Premier fophifme. Pour voir clairement fî c'eft là mon cas, remettez dnns la mineure de cet argument ^e mot Réformation que l'Auteur- en ôtc, & qui eft néceffaire pour que fon rai.- fonncment Toit concluant. Second fophifme.. 11 ne s'agît pas drrns cet wUtk du: ferment d'écrirr felon^ la Siéfoxmx^ L Ê T T K E;. tz% tîon , mais de vivre félon la Réformation. Ces deux chofes. comme on l'a vu ci - devant font dminguées dans le ferment môme; & l'on a vu encore s'il eft vrai que j'aye écrit ni contre la Réformation ni contre l'Evangile. Le frmîer devoir des Syndics ^ Conjeil ejî de- maintenir la pure Religion. Troifieme fophifme. Leur devoir eft bien- de maintenir la pure Religion , mais non pas de prononcer fur ce qui n'eft ou n'eil pas la pure Religion. Le Souverain* les a bien chargés de main^tenir la pure Religion, mais il ne les a- pas faits pour cela juges de la doûrine. C'eft- un autre corps qu'il a chargé de ce foin & c'eft ce corps qu'ils doivent confulter fur tou- tes les matin-es de Religion , comme ils ont. ■ toujours fait depuis que votre Gouvernement exifte En cas de délit en ces matières , deux. Tribunaux font établis, l'un pour le conllater, & l'autre pour le punir; cela eft évident par les termes de l'Ordonnance : nous y reviendrons- ei-après. . Suivent les imputations ci-devant examinées, & que par cette raifon je ne répéterai pas ;- B^ais je ne puis m'abftenir de tranfcrire ici l'ai> ticlc qui les termine : il eft curieux. . Il eft vrai que M. Roujfeau ^ Jes partifam- pitendtnf que ces doutes rCattaquent point réelle- mtnt le Cbriftianijme , qu'à cela près il contmu^^ f 7 134 QUATRIEME i'appeller divin. Mais fi un Livre cara&erifé ; comme l'Evangile l'ejî dans les ouvrages de M. Roujfeau, peut encore être appelle divin, qu'on me dife quel ejl donc le nouveau fens attaché à ce ter- me ? En vérité fi c'ejl une contradiction , elle eji choquante; fi c'efi une plaijanterie , convenez qu'el- le eft bien déplacée dans un pareil Juj et (f)7 J'entends. Le culte fpiiituel, la pureté du cœur, les œuvres de miféricorde, la confiance, l'humilité, la réfignation, la tolérance, l'ou- bli des injures, le pardon des ennemis, l'a- mour du prochain , la fraternité univerfelle & l'union du genre humain par la charité, font autant d'inventions du diable. Seroit-cc là le fentimcnt de l'Auteur & de fes amis"? On le diroit à leurs raifonnemens & furtout à leurs œuvres. En vérité, Ji c'efi une contradi&Ion ,- elle efl cho- quante. Si c'efi une plaijanterie , convenez quellf tfi bien déplacée dans un pareil fujet. Ajoutez que la plaifanteric fur un pareil fu- jet eft fi fort du goût de ces Meffieurs, que, felan leurs propres maximes , elle eut dû , fi je Pavois faite, me faire trouver giace devant eux C^). Après l'expofition de mes crimes , écoutez les raifons pour lefquelles od a fi cruellement (/) Page II. (^) Page 2^^ LETTRE. i3'5 renchéri fur h ligueur de la Loi dans la pour- fuite du criminel. Ces deux Livres pamjjent fous le nom à'tm Ci- toyen de Genève. V Europe en témoigne fon fcan* àale. Le premier Parlement d'un Royaume voifm pourfuit Emile ^ /on Juteur. Qiie fera le Gou- vernement de Genève ? Arrêtons un moment. Je crois appercevoîr ici quelque menfonge. Selon notre Auteur le fcandate de l'Europe força le Confeil de Genève de févir contre le Livre & l'Auteur d^Emile , à l'exemple du Par- lement de Paris : mais au contraire, ce furent les décrets de ces deux Tribunaux qui caufe- Tcnt le fcandale de l'Europe. H y avoit peu de jours que le Livre étoit public à Paris lorfque le Parlement le condanna (è); il ne paroifToit encore en nul autre Pays , pas même en Hol- lande , où il étoit imprimé ; & il n'y eut entre le décret du Parlement de Paris & celui du Con- feil de Genève que neuf jours d'intervalle (j); le tems à peu près qu'il falloit pour avoir avis de ce qui fe pafToit à Paris. Le vacarme affreux qui fut fait en SuifTe fur cette affaire, mon ex- pulfion de chez mon ami, les tentatives faites Qj) C'étoit un arrangement pris avant que le Li- ^'^(ij^Le "décret du Parlement fut donné le 9 ]^^^ à celui du Coiifeil le 19. r3-5 QUATRIEME à Neufchâtel & même à la Cour pour m'éter mon dernier azile, tout cela vint de Genève & des environs, après le décret. On fait quels furent les inftigateurs , on fait quels furent les- émifTaircs, leur aftivité fut fans exemple; il ne tint pas à eux qu'on ne ra'otât le feu & l'eau dans l'Europe entière, qu'il ne me refiât pas une terre pour lit, pas une pierre pour chevet.. Ne tranfpofons donc point ainfi les chofes, &. ne donnons point pour motif du décret de Ge- j]ève le fcandale qui^en fut l'effet. Le premier Parlement dun Royaume voiftw. If pourfuk Emile ^ fon Jmeur. Que fera le Gou^ vernement de Genève'^ La réponfc eft fimplc: Il ne fera rien, il ne doit rien faire, ou plutôt, il doit ne rien faire. U renverfcroit tout ordre judiciaire , il brave- 3-oit le Parlement de Paris, il lui difputeroit la compétence en l'imitant. C'étoit précifément parce que j'étois décrété à Paris que je ne pou- vois l'être à Genève. Le délit d'un criminel a certainement un lieu & un lieu unique; il ne peut pas plus être coupable à la fois du même délit en deux Et^ts , qu'il ne peut être en deux lieux dans le môme tems, & s'il veut purger les deux décrets, comment voulez -vous qu'il fe partage? En effet, avez-vous jamais ouï d'iK qu'on ait décrété le même homme en deux pays^ à la fois pour le uiûjiie fait? C'en eft ici le LETTRE. r?7 pTemier exemple, â probablement ce fera le dernier l'nuvai dans mes malheurs le tnuC honneur aêtve à tous égards un e^iempie unt- ^"tes crimes les plus atroces , les affaffinat. ,nême ne font pas & ne doivent pas être pour- fuivis par devant d'autres Tribu_naux que c^^ des lieux où ils ont été commis. Si un Gej nevois tuoit un homme, même un autre Gene- vois en pays étranger, le Confeil de Genève pe pourroit s'attribuer b connoillance de ce crime: il pourroit livrer le coupable s il étoit réclamé, il pourroit en foUiciter le châtiment, mais à moins qu'on ne lui remit volontaire- ment le jugement avec les pièces de la proce- dure, il nelejugcroit pas, parce qu il ne lui appartient pas de connokre d:un. délit commis chez un autre Souverain. & qu'il ne peut pas- „,ôme ordonner les informations necelTaires pour le contoter. Voila la règle & voila la réponfe à la queftion; que fera le Gouvememe^U^ d: Genève? Ce font ici les plus Cmples notions du Droit public qu'il feroit honteux au dernier Magifti-at d'ignorer.. Faudra- 1 -il toujours que j'cnfeigne à mes dépends les élemens de la ju- i-ifprudence à mes Juges? Il devoit Suivais les Auteurs des R.prejenU^ tàmje borner à défendre p-ovlfmneUemem le ié- 138 QUATRIEME Ut dans la Fille (k). C'eft , en effet , tout ce qu'il pouvoit légitimement faire pour conten- ter ton animofité ; c'eft ce qu'il a voit déjà fait pour la nouvelle Héloïfe, mais voyant que le Parlement de Paris ne difoit lien, & qu'on ne faifoit nulle part une femblable défenfe, il en eut honte & la retira tout doucement (/). Mais une improèatim fi foible n aurait - elle fas été taxée de fecreîte connivence? Mais il y a longtems que , pour d'autres Ecrits beaucoup moins to- lérabîes, on taxe le Confeil de Genève d'une connivence aflez peu fecrette , fans qu'il fc mette fort en peine de ce jugement. Terjoii' fie , dit-on , nàuroît pu Je fcandalifer de h mo- dtraîien dont on aurait ufé. Le cri public vous apprend combien on cft fcandalifé du contrai- re. De bonne foi , s'il s*étoit agi d'un homme avjfi défagréabls au public que M. RouJJeau lui et oit cher , ce qu'on appelle modération nauroit-il pas été taxé d'indifférence , de tiédeur impardojma- hle? Ce n'auroit pas été un fi grand mal que cela, & l'on ne donne pas des noms fi hon- nêtes à la dureté qu'on exerce envers moi pour (k) Page 12. (i) Il fout convenir que fi l'Emile doit être dé- fendu, rHclojfe doit être tout au moins brûlée. Les notes ftirtout en font d'une hardielTe dont la profelEon de foi du Vicaire n'approche aÎTm-émenc pas. LETTRE. 159 mes Ecrits, ni au fu-pport que l'on prête à ceux d'un autre. En continuant de me fuppofer coupable, fup- pofons . de plus , que le Confeil de Genève .voit droit de me punir, que la procédure eut été conforme à la Loi, & que cependant, fans vouloir même cenfarer mes Livres, il m'eut reçu paifiblement arrivant de Paris ; qu'au- Toient dit les honnêtes gens? Le voici. „ Ils ont fermé les yeux , ils le dévoient. „ Que pouvoient- ils faire? Ufer de rigueur en „ cette occafion eut été barbarie, ingratitude, !', injuilice même, puifque la véritable juftice ., compcnfe le mal par le bien. Le coupable „ a tendrement aimé fa Patrie , il en a bien mérité; il l'a honorée dans l'Europe, & tan- ,'i dis que fes compatriotes avoient honte du y, nom Genevois , il en a fait gloire , il l'a „ réhabilité chez l'étranger. 11 a donné ci-de- „ vant des confeils utiles , il vouloit le bien [] ptiblic, il s'eft trompé, mais il étoit pardon- " nable, Il a fait les plus grand éloges des l Magiftrats, il chercboit à leur rendre la con. „ fiance de la Bourgeoifie ; il a défendu la Rc- ',', ligion des Minières , il méritoit quelque re- [[ tour de la part de tous. Et de quel front ',' euffent-ils ofé févir pour quelques erreurs ", contre le défenfeur de la divinité , contre " l'apologille de la Religion fi généralement 240 Q X> A T R I E M E^^ „ attaquée , tandis qu'ils tol^-roient qu'ils per- ,, metcoient même les Ecrits les plus odieux „ les plus indécens, les plus infultans auChrif- „ tianifme, aux bonnes mœurs, les plus def- „ truftifs de, toute vertu, de toute morale, ceux „ mômes que Rouffeau a cru devoir réfuter? „ On eut cherché les motifs fecrets d'une par- „ tialité fi choquante; on les eut trouvés dans- ,, le zek de l'accufé pour la liberté & dans les „ projets des Juges pour la détruire. RouiTeau „ eut pafTé pour le martir des loix de fa patrie. „ Ses perfécuteurs en prenant en cette feule „ occafion le mafque de l'hypocrifie euffent „ été taxés de fe jouer de h Religion, d'en ,-, faire l'aririe de leur vengeance & l'inftrument „ de leur haine. Enfin par cet empreffement „ de punir un homme dont l'amour pour fa „ patrie eft le plus grand crime , ils n'euffent „ fait que fc rendre odieux aux gens de bien, „ fufpefts à la bourgcoifie & méprifables aux- „ étrangers." Voila, Monfieur, ce qu'on au- Toit pu dire; voila tout le rifquequ'auroit couru Je Confeil dans le cas fuppofé du délit, en s'ab-, ftenant d'en connoître. Qiielqu'un a eu raifen de dire qu'il fallAt brûler l'Evangile ou les Livres de M. RouJJeau. La commode méthode que fuivent toujours ces Meflîeurs contre moi ! s'il leur faut des- preuves , ils multiplient les alTertions & s'il. . X^ î? T T R E. Hî leur faut des témoignages , Us font parler des ^ La fentence de celui-ci n'a qu un fens qui nefoitpasextravasanc. & ce fens eft un bUf- ^^' cTr* quel blafphêmc n'eft-ce pas àe fuppofer l'Evangile & le recueil de mes Livres H lem- niables dans leurs maximes qu'.Isfe fuppîeent n^utuellement , & qu'on en puUTe mdifferem- ,:,ent brûler un comme fuperflu , pourvu que l'on conferve l'autre? Sans doute , fai fuivi du plus près que j'ai pu U doftnne de iwan- gUe . je rai aimée , je l'ai adoptée étendue ex- pliquée , fans m'arrêtsr aux obfcurités, aux difficultés, aux myfteres, fans me détourner de l'elïenciel: je m'y fuis attaché avec tout le zèle de mon cœur; je me fuis indigné récrie de voir cette Sainte do^rine ainfi profanée avilie par nos prétendus Chrétiens , & furtout par ceux qui font profeffion de nous en inftruire. rofe même croire, & je Bi'en vante, qu'aucuii d'eux ne parla plus dignement que moi du vrai Chviftianifme & de fon Auteur. J'ai la-deffus le témoignage l'applaudiffement même de mesad- verfaires; non de ceux de Genève a la vente . p,ais de ceux dont la haine n'eft point une ra- ge & à qui la paffion n'a point ôté tout fenti- i nient d'équité. Voila ce qui eft vrai , voiU ce "' que prouvent , & ma réponfe au Roi de Po-. Ua QUATRIEME logne, & ma Lettre à M. d'.\îembert, & TH.^. loïfe, & l'Emile, & tous mes Ecrits ,' qui réf. pirent le même amour pour l'Evangile , la mê- me vénération pour Jéfus-Chrift. Mais qu'il s'enfuive de-lâ qu'en rien Je puiffe approcher de mon Maître & que mes Livres puiiFent fup- pléer à fes leçons , c'eft ce qui eft faux, ab- furde, abominable; je détefte ce blafphâ.ne & défavoue cette témérité. Rien ne peuf fc com. • parera l'Evangile. Mais fa fublime nmplicité n'eft pas également à la portée de tout le mon- de. Il faut quelquefois pour l'y mettre l'cxpo- fer fous bien des jours. II faut conferver ce Livre facré comme la règle du Maître, & les miens comme les commentaires de l'Ecolier J'ai traité Jufqu'ici la queflion d'une manière un peu générale ; rapprochons-la maintenant des faits , par le paralelie dos procédures de 1563 & de 1762 , & des raifons qu'on donne de leurs différences. Comme c'eft ici le point déafif par rapport à moi , je ne puis, fans négliger ma caufe, vous épargner ces détails peut-être ingrats en eux-mêmes, mais mtéref- fans , à bien des égards, pour vous & pour vos Concitoyens. C'eft une autre difculîîon qui ne peut être interrompue & qui tiendra feule une longue Lettre. Mais, Monfieur, encore un peu de courage; ce fera la dernière de cette efpece dans laquelle je vous entretiendrai de moi. LETTRE. i+S CINQUIEME LETTRE. Apres avoir ét.bli , comme vous avez vu; fntoffité de Kvir contre n,oi rA^uc- de retires prouve , comme vous allez vo.r , que Up /dure faite contre J-" MoreU> ,uo. qu'exaaement conforme à ''O^'lo"-" « ■ * dans un cas femblable au mren " ^'° P°'" un exemple à fuivre à mon égard; attendu p e^iérement . que le Confeil étant au de^u i l'Ordonnance n'eft point obligé de s y con former • que d'ailleurs mon cnme étant plus «rave que le délit de Morelli devoit t-tre trarté ^iTs Cévérement. A ces preuves rMteur a . e, qu'il n'eft pas vrai qu'on m a.t jugé fans m-èntendre, quilqu'il fufBfoit d'entendre le U- "même k que la flétri.ure du ^vre ne tom be en aucune façon fur l'Auteur ; quenhn les ouvrages qu'on reproche au Conteil d'avotr to- iTrlstont iunocens & tolérables en comparât- Ton des miens. Quantau premier Article, vous aurez peut- être peine à'croire qu'on ait ofé mettre fa f çon le petit Confeil au de-lTus des Loix. Je ne connois rien de plus fur pour vous en con- vaincre que de vous tranfcrire le paffage ou ce Î44 CINQUIEME principe efl: établi & de peur de changer îe fens de ce paffage en le tronquant, je le tranfr crirai tout entier. ■ „ (^a) L'Ordonnance a-t-c!le voulu lier les „ mains à la p^iilTance civile & Tobliger à ne „ réprimer aucun délit contre la Religion qu'a- „ près que le Confiftoire en auroit connu ? Si ,, cela étcit il en réfulteroit qu'on pourroit „ impunément écrire contre h Religion , que „ le Gouvernement feroit dans l'impuiflance de „ réprimer cette licence , & de flétrir aucun „ Livre de cette efpece ; car fi l'Ordonnance „ veut que le délinquant paroifle d'abord au „ Confiftoire , l'Ordonnance ne prefcrit pas „ moins que s'il Je range on le Jup^erte fans „ diffame. Ainfi quel qu'ait été fon délit con- „ trc la Religion, l'accufé en faifant femblant „ de ce ranger pourra toujours échapper ; & „ celui qui auroit diffamé la Religion par toute , la terre au moyen d'un repentir fim.ulé de- , vroit être fupporté fa?is diffame. Ceux qui , connoifTent l'efprit de févérité, pour ne rien , dire de plus, qui régnoit, lorfquc l'Ordon- , nance fut compilée, pourront-ils croire que , ce foit-la le fcns de l'Article 88. de l'Or- , donnance? M Si a) Page 14, L Ê ~T T R E. ï+S .„ Si le Confiftoîre n'agit pas , fon inaffion enchaînera t-elle le Conleil? Ou du moins fera- 1- il réduit à la fonftion de délateur au- près du Ctuififtoire? Ce n'eft pas là ce qu'a entendu l'Ordonnance , lorfqu'après avoir traité de l'étabUireinent du devoir & du pou- voir du Conriftoire, elle conclud que la puif- „ fance civile rede en fon entier, en forte „ qu'il BC foit en rien dérogé à fon autorité-, ni au cours de la juftice ordinaire par aucu- ^, nés remontrances eccléfiaftiques. Cette Or- „ donnance ne fuppofe donc point, comme on „ le fait dans les Répréfentations , que dans „ cette matière les Miniftres de l'Evangile .„ foient des juges plus naturels que les Con- feils. Tout ce qui eft du reilort de l'autorité „ en matière de Religion eft du reiïbrt du „ Gouvernement. C'eft le principe des Protcf- „nans, & c'eft finguliérement le principe' de notre Conftitution qui en cas de difpute ac* „ tribue aux Confeils le droit de décider fur le .„ dogme." Vous voyez , Monfieur , dans ces dernières lignes le principe fur lequel eft fondé ce qui les précède. Ainfi pour procéder dans cet ex- amen avec ordre, il convient de commencer par la fin. Tout ce qui ejl du rejfort de VAutorîté en ma» Uere 4^ Religion efl du rejjon du Gouyerncmenh G 346 CINQUIEME Il y a ici dans le mot Gouvernement une équivoque qu'il importe beaucoup d'éclaircir, & je vous confeille, fi vous aimez la conflicu- tion de votre patrie, d'être attentif à la diftinc- tion que je vais faire ; vous en fentirez bientôt l'utilité. Le mot de Gouvernement n'a pas le même fens dans tous les pays, parce que la conftitu» tion des Etats n'eft pas par tout la mêm*. Dans les Monarchies oii la puifTance executi- ve efi: jointe à l'exercice de la fouveraineté , le Gouvernement n'eft autre chofe que le Souve- rain lui-même, agiflànt par fes JNliniftres, par fon Confeil, ou par des Corps qui dépendent abfolument de fa volonté. Dans les Républi- ques, furtout dans les Démocraties , où le Sou* verain n'agit jamais immédiatement par lui mê- me , c'cft autre chofe. Le Gouvernement n'eft alors que la puifTance executive, & il eft abfo- lument diftinâ: de la fouveraineté. Cette diftinftion eft très importante en ces matières. Pour l'avoir bien préfente à i'efprit on doit lire avec quelque foin dans le ContraSt Social les deux premiers Chapitres du Livre troifieme, ou j'ai tâché de fixer par un fens précis des expreffions qu'on lailToit avec art incertaines, pour leur donner au befoin telle acception qu'on vouloit. En génÇral, les Chefs des Républiques aiment extrêmement employer L E T T R E. 147 ïc langage des Monarchies. A la faveur de termes qui femblcnt confacrés, ils favent ame- ner peu -à- peu les choies que cês mots ligni- fient. C eft ce que fait ici très-habilement l'Au- teur des Lettres, en prenant le mot de Gouver- iwnent, qui n'a rien d'effrayant- en lui-même, pour l'exercice de la fouveraineté, qui feroit révoltant , attribué fans détour au petit Con- feil. C'efl ce qu'il fait encore plus ouvertement dans un autre palïïige (b) où, après avoir dit que le Petit Confeil eft le Gouvernement même , ce qui eft vrai en prenant ce mot de Gouver- nement dans un fens fubordonné , il ofe ajouter qu'à ce titre il exerce toute l'autorité qui n'cft pas attribuée aux autres Corps de l'Etat; pre. nant ainfi le mot 'de Gouvernement dans le fens de la fouveraineté , comme fi tous les Corps de l'Etat, & le Confeil général lui-mê- me , étoient inftitués par le petit Confeil : car ce n'cft qu'à la faveur de cette fuppofitioa qu'il peut s'attribuer à lui feul tous les pou- voirs que la Loi ne donne expreffément à per- fonne. ]e reprendrai ci-après cette queftion. Cette équivoque éclaircie , on voit à décoa- vert le fophifrae de l'Auteur. En effet , dire que tout ce qui eft du reffort de l'autorité en (b) Page 6(5. G a 14? CINQUIEME matière de Religion efl: du reffort du Gouver- nement, eft une propofition véritable, fi par ee mot de Gouvernement on entend Ja paif- fance légillative ou le Souverain ; mais elle eft très fauffe fi Ton entend la puilfance executive ou le Magiftrat; & l'on ne trouvera jamais dans votre République que le Confeil général ait at- tribué au petit Confeil le droit de régler en dernier reflbrt tout ce qui concerne la Religion. Une féconde équivoque plus fubtilc encore vient à l'appui de la première dans ce qui fuit. Cejl k principe des Protejîans, ^ ceftfngulié' cernent Cejprit de notre conftitiition qui, dans le sas de diJ-Aite attribue aux Conjeili le droit de décider fur le dogme. Ce droit, foit qu'il y ait difpute ou qu'il n'y en ait pas , appartient fans contredit aux Conjeils mais non pas au Confeil, Voyez comment avec une lettre de plus ou de moins on pourroit changer la conftitution d'un Etat! Dans les Principes des Proteflans, il n'y a point d'autre Eglife que l'Etat & point d'autre Légiflateur eccléfiaftique que le Souverain. C'eft ce qui eft manifefte , furtout à Genève , où i'Ordonnance eccléfiaftique a reçu du Souverain xJans le Confeil général la même fanftion que içs Edits civil-s. Le Souverain ayant donc prefcrit fous le nom 4,e Réformation la docliine qui devois L E' T T R E: 14^ être enfeignée à Genève & la forme de culte qu'on y de voit fuivrc , a partagé entre deux corps le foin de maintenir cette doftrine ôc ce culte tels qu'ils font fixés par la Loi. A- l'un elle a remis la matière des enfeigeraens publics , la décifion de ce qui eft conforme oi^ contraire à la Religion de l'Etat , les avertiffe- , mens & admonitions convenables, & même les punitions fpirituelles, telles que l'excommuni- cation. Elle a chargé l'autre de pourvoir d-- l'exécution des Loix fur ce point comme fa» tout autre , & de punir civilement les prévari- cateurs obUinés. Ainfi toute procédure régulière fur cette mai' tiere doit commencer par l'examen du fait; fa- voir, s'il eft vrai que l'acçufé foit coupable d'un délit contre la Religion, & par la Loi cet examen appartient au feul Confiftoire. Quand le délit eft conftaté & qu'il eft de nature à mériter une punition civile, c'eft alors au Magiftrat feul de faire droit & de décerner cette punition. Le Tribunal ecdéfiaftique dé. nonce le coupable au Tribunal civil , & voila comment s'établit fur cette matière la compé- tence du ConfeiL- MvÀs lorfque le Confeil veut prononcer ew Théologien fur ce qui eft ou n'eft pas du dog- me, lorfque le Conflftoire veut ufurpcr la ju- rifdiction civile, chacun de ces corps fof- de'-' G 3 1 ï5o C I N Q U I E M E fa compétence ; il défobéit à la Loi & au So*** verain qui l'a portée, lequel n'eft pas moins. Légiflateur en matière eccléfiaftique qu'en ma- tière civile , & doit être reconnu tel des deux côtés. Le Magiftrat efl toujours juge des Miniftres. en tout ce qui regarde le civil , jamais en ce qui regarde le dogme; c'ell le Confiftoire. Si le Confeil prononçoit les jugemens de l'Eglife il auroit le droit d'excommunication , & au contraire fes membres y font foumis eux- mê- mes. Une contradiftion bien phifante dans cette affaire ell que je fuis décrété pour mes erreurs & que je ne fuis pas excommunié; le Gonfeil me pourfuit comme apoftat & le Con- fiftoire me laifle au rang des tidelles ! Cela n'cft». il pas fingulier? Il efl bien vrai que s'il arrive des dincntions; entre les Miniftres fur la do^rine, & que par- l'obflinatlon d'une des parties ils ne puilîent- s'accorder ni entre eux ni par l'cntremife des ; Anciens, il eft dit par l'Article i8 que la cau- fe doit être portée au Magiftrat pour y mettre - ordre. Mais mettre ordre à la querelle n'eft pas dé- cider du dogme. L'Ordonnance explique elle- même le motif du recours au Magiftrat; c'eft: l'obftination d'une des Parties. Or la police • dans tout l'Etat, l'infpedioii fur les querelles,. LETTRE. î5t l£ maintien de la paix & de toutes Içs fonc- tions publiques, la réduction des obftinés, font incontcitablement du relTort du Magiftrat. Il ne jugera pas pour cela de la do6lrine, mais il ré- tablira dans raOemblée l'ordre convenable pour qu'elle puifle en juger. Et quand le Confeil feroit juge de la doftri- ne en dernier reffort , toujours ne lui feroic-il pas permis d'intervertir l'ordre établi par la Loi, qui attribue au Confiftoire la première connoilTancc en ces matières ; tout de mêine qu'il ne lui eft pas permis , bien que juge fu- prcme, d'évoquer à foi les caufes civiles, avant qu'elles aient palTé aux premières appellations. L'article i8 dit bien qu'en cas que les Mi- niftres ne puilTent s'accorder , la caufe doit être portée au Magiftrat pour y mettre ordre; mais il ne dit point que la première connoif- fance de la doftrine pourra être ôtée au Con- fiftoire par le Magiftrat, & il n'y a pas un feul exemple de pareille ufurpation depuis que la République exifte (c). C'efl; dequoi l'Auteur (c) Il y eut dans le feizieme fiécle beaucoup de^ difputes fur la prédeftination , dont on auroit dû faire ramufement des écoliers, & dont on ne man- qua pas , félon l'ufage , de faire une grande affaire " d'Etat. Cependant ce furent les Miniftres qui U décidèrent, & même contre l'intérêt public. Jamais, que je fâche , depuis les Edits , le petit Confeil ne s'eft avifé de prononcer fur le dogme fans leur a 4 T<% C I N Q. U I E Aï. E des Lettres paroit convenir lui-même en difahi- qu'en cas de djfpute les Confcils ont le droit de. décider. fur le dogme; car c'eft dire qu'ils n'ont ce droit qu'après l'examen du Conllftoire , &, qu'ils ne l'ont point quand le, Confiltoire eit. vj d'accord. Ces concours. Je ne connois qu'un jugement de cette efpece, & il fut rendu par le Deux -Cent. Ce fut dans la grande querelle de 1669 fur la grâce par- ticulière. Après de longs & vains débats dans la Co'.npagnie & dans le.Confilloire , les ProfeiTem-s , ne pouvant s'accorder , portèrent l'affaire au p.tit Confeil, qui ne la jugea pas. Le Deux- Cent l'd- voqua & la jugea. L'importante queilion dont il s'agilToit écoit de favoir li Jéfus ctoit mort feule- ment pour le falut des élus, ou s'il étoit mort auifî pour le falut des dannés. Après bien des féances & de meures délibérations, le Magnifique Confeil des Deux- Cents prononça que Jéfuî n'étoit mort que pour le falut des élus. On conçoit bien que ce ju- gement fut une affaire de faveur, & que Jéfus fe- roit mort pour les dannés , û le ProfelTeur Tron- chin avoit eu plus de crédit que fon adverfaire. Tout cela fans doute ell: fort ridicule: on peut dire toutefois qu'il ne s'agiffoic pas ici d'un dogme de foi, mais de l'uniformité de l'inllruclion publi- que dont l'infpedlion appartient fans contredit au Gouvernement. On peut ajouter que cette belle difpute avoit tellement excité l'attention que tos- te la Ville étoit en rumeur. Mais n'importe; les Confeils dévoient appaifer la querelle fans pronon- cer fur la doctrine. La décifion de toutes les quef- tions qui n'intérelFent pcrfonne & où qui que ce. foit ne comprend rien doit toujours être laillée au>v Xhéologiens. L^ E T T R E; 153' Ces difttnftions du refîbrt civil & du reflbrt • eccléfiaftique font claires, & fondées, non feu- ■ lement fur la Loi , mais fur la raifon, qui ne •' veut pas que les Juges, de qui dépend le fort • des particuliers en puiiTent décider autrement • que fur des faits conftans , fur des corps de dé- ■ lit pofitifs , bien avérés, & non fur des impu* • tations auffi vagues aufïï arbitraires que celles = des erreurs fur la Religion; & de quelle fureté - jôuiroient les Citoyens, û, dans tantdedog^, mes obfcurs, fufceptibles de diverfes interpré- ■ tations, le Juge pouvoit choifîr au gré de fa ■ paffion - celui qui chargeroit ou difculperoit - i'Accufé , pour le condanner ou l'abfoudre? ' La preuve de ces ditlinctions efl: dans l'in^ llitutlon même, qui n'auroit pas établi un Tri- bunal inutile; puifquc fi le Confeil pouvoit ju- ger, furtout en premier relTorc, des matières eecléfiailiques , - l'infhicution du Confifloire ne ferviroit- de rien. ■ Elle eft encore en mille endroits de l'Ordoni nance, où le Légiflateur diftingue avec tant de foin l'autorité des deux Ordres; diftinflion bien vaine , fi dans l'exercice de fes fondions l'un ctoit en tout fournis à l'autre. Voyez dans les Articles XXIII & XXIV. la fpécification des cri- mes punilTables par les Loix, & de ceux dont la preniiern inquijitîon appartient au Confijîoîre. Voycii laiia du même Article XXIV, qui G s ^54 CI N Q U I E M E' veut qu'en ce dernier cas , après la convicticn du coupable le Confiiloire en fafTe rapport au Confeil, en y ajoutant fon avis. Jfin, dit l'Or- donnance, que le jugement concernant h punitkn : joit toujjurs rejervii à la Seigneurie. Termes d'où l'on doit inférer que le jugement concernant la ■ doctrine appartient au Confiftoire. Voyez le ferment des Miniftres, qui jurent de fc rendre pour leur part fujcts & obéifTans aux Loix ; & au Magiflrat entant que leur Mi- niflere le porte: c'eft - à - dire fans préjudicier à:ia liberté qu'ils doivent avoir d'cnfeigner fé- lon que Dieu le leur commande. Mais où fe- roit cette liberté s'ils étoient par les loix fujets pour cette doflrine aux décifions d'un autre corps que le leur? Voyez l'Article 80, où non feulement TEdit prefcrit au Confifloire de veiller & pourvoir aux défordres généraux & particuliers de l'E- glife, mais où il l'inflitue à cet effet. Cet arti- cle a-t-il un fens ou n'en a-t-il point.? eft-il abfolu, n'eft-il que conditionnel; 6c le Confi- ftoire établi par la Loi n'aur oit-il qu'une exif- tence précaire, & dépendante du bon plaifîr du Confeil? Voyez l'Article 97 de la même Ordonnance, . où dans les cas qui exigent punition civile, il cfl: dit que le Confiftoire ayant ouï les Parties &.fait.,ka remomrances & cenfures eccléiîaftiv LETTRE. 155 ' ques doit rapporter le tout au Confeil, lequel fur fon rappert, remarquez bien U répétion de ce mot , avifera d'ordonner (jf faire jugement , fé- lon l'exigence du cas. Voyez , enfin , ce qui fuit dans le même Article, & n'oubliez pas que c'eft le Souverain qui parle. Car combien que ce folent chofes conjointes ^ înféparables que la Seigneurie çj* fupériorité que Dieu nous a donnés ^ ^ le Gouvernement fpîriîuel qu'il a établi dans fon Eglife , elles ne doivent nullement être confu- fes ; puifque celui qui a tout empire de comman- der ^ auquel nous voulons rendre toute fujétîon comme nous devons , veut être tellement recomiu Auteur du Gouvernement politique ^ eccléfiajli- que , que cependant il a expreffément difcemé tant les vocations que l'adminiflration de l'un ^ de l'autre. Mais comment ces adminiflrations peuvent- elles être diftinguées fous l'autorité commune du Légiflateur, fi l'une peut empiéter à fôn gré fur celle de l'autre? vS'il n'y a pas là de la con= tradiction, je n'en faurois voir nulle part. A l'Article 88, qui prefcrit expreffément l'or- dre de procédure qu'on doit obferver contre ceux qui dograatifent, J'en joins un autre qui n'eft pas moins important; c'efl: l'article 53 au titre du Catéchifme , où il cft ordonné que ceux qui contreviendront au bon ordre, après avoir été remontrés fuffifamment , s'ils perfillent , 155 CINQUIEME foient appelles au Confiftoire, ^ fi lors ils- ne veulent obtempérer aux remontrances qui leur fe- ront faites, qu'il en f oit fait rapport à la. Sei- gneurie. De quel bon ordre eil-il parlé là? Le Titre le dit ; c'efl du bon ordre en matière de doflri- ne, puifqu'il ne s'agit que du Catéchifme qui en eft le fommaire. D'ailleurs le maintien du bon ordre en général paroit bien plus apparte- nir, au Mngiflrat qu'au Tribunal eccléfiafrique. Cependant voyez quelle gradation ! Première- ment f/ /cîvt remonîffr ,• {\ le coupable perfîfte, il faut l'appeller au Cmfifloire ^ enfin s'il ne veut obtempérer, il faut faire rapport à la Seigneurie» En toute matière de foi, le dernier rellort eft toujours attribué aux Confeils; telle eft la Loi, telles font toutes vos Loix, J'attends de voir quelque article, quelque pafTage dans vosEdits, en vertu duquel le petit Confeil s'attribue aiiffî le, premier rcllort , & puiiTe faire tout d'un coup d'nn pareil délit le fujet d'une procé.dure criminelle. Celte marche n'cft pas feulement contr.ifre à ]a Loi . elle eft contraire à l'équité , au bon fcns , à l'ufage univerfcl. Dans tous les pays du monde la règle veut qu'en ce qui coiîcerne une fcienc€ ou un art, on prenne^ avant que de prononcer, le. jugement des ProfciTeurâ daas cette fcieuce ou des Hl^'percs en cet art; pourr LETTRE? 157' quoi, dans la plus obfcure dans la plus diiïïcile ' de toutes les fciences , pourquoi, lorfcu'il s'a. git de riVonneur & de la iibeicé d'un homme, . d'un Citoyen, les- Magiftrats négligeroient-ils les précautions qu'ils prennent' dans l'art le plus mécani-que au fujet du plus vil intérêt? Encore une fois, à tant d'autorités à tant de railons qui prouvent ri!légalité & l'irrégula- rité d'une telle procédure, quelle Loi, quel E- dit oppofe-t-on pour la juftifier ? Le feul paffa- ge qu'ait pu citer l'Auteur des Lettres eft celui- • ci, dont encore il tranfpofe les termes pour en altérer refprii;, Que toutes les remontrances eccUfiaftïques Je ■ fafj'm en telle forte que par le Confiftohe ne fùït eii^-ien dérogé à l Mitoriîé de la Seigneurie ni de la jujtice ordinaire; mais que la puijjance civile à&- meure en fou entier (d\ . Or voici la conféquence qu'il en tire. „ Cet- te Ordonnance ne fuppofe donc point, corn- me on le fait dans les Répré Tentations que les Miniftres de l'Evangile foient dans ces matières des Juges plus naturels que les Con- '',, fcils. •' Commençons d'abord par remettre le mot Confeil au fingulier, & pour caufe. Mais où eft -ce que les Répréfentans- ont fuppofé que les Minières de l'Evangile fudeni: (d) Ordonnances eccléfiaftiques Art. XCYH.-- G. 7. rs8 CI'N Q r î E M E dans ces matières des Juges plus naturels que 1$ Confeil (e). Selon l'Edit le Confiftoirc & le Confci! font Juges naturels chacun dans fa partie, l'un de la doctrine, & l'autre du délit. Ainfi la puifTance civile & l'eccléfiaftique refient chacune en fon entier fous l'autorité commune du Souverain; & que fignilieroit ici ce mot même de Puiffance civile, s'il n'y avoit une autre PinJJance fous- entendue? Pour moi je ne vois rien dans ce palTage qui change le fcns naturel de ceux que j'ai cités. Et bien loin de -là; les lignes qui fuivent les confirment, en déterminant l'état où le Confîfloire doit avoir mis la procédure ■ avant qu'elle foit portée au Confeil. C'efl pré- ' cifément la conclufion contraire à celle que l'Auteur en voudroit tirer. (e) L'examen ^ la dijcvjfion de cette matière , di- ' fcnt-ils page 42 , appartiennent mieux aux Minières '' de l'Evangile qu'an Magnifique Confeil. Quelle eft la matière dont il s'agit dans ce pafTage? Ceft la quellion fi fous l'apparence des doutes j'ai ralTem- blé dans mon Livre tout ce qui peut tendre à fap- ' per ébranler & détruire les principaux fondemens de la Religion Chrétienne. L'Auteur des Lettres part de-Ià pour faire dire aux Répréfcn tans que dans ces matières les Minières font des Juges plus natu- rels que les Confeils. Jls font fins contredit des ^' Juges plus naturels de la qiieftion de Théologie , ■ mais non pas de la peine due au délit , & c'eft ' iuiffi ce que \qs Répréfejitans n'ont ni dit ni fait cntcndi-e. • L! E' T T R E. " 159 Maïs voyez comment, n'ofant attaquer l'Or- donnance par les termes , il l'attaque par les ■ conféquences. L'Ordonnance a-t-ellè voulu lier les mains „ à la puilTance civile, & l'obliger à ne répri- „. mer aucun délit contre la Religion qu'après que le Confilioire en auroit connu? Si cela : „ étoit ainfi il en réfulteroit qu'on pourroit „. impunément écrire contre la Religion ; car ■■ " en faifant femblant de fe ranger l'accufé „ pourroit toujours échapper, & celui qui au- roit diffamé la Religion par toute la terre „ devroit être fupporté fans difFame au moyen „ d'un repentir fimulé (/) " C'ea donc pour éviter ce malheur affreux, cette impunité fcandaleufe , que l'Auteur ne veut pas qu'on fuive la Loi à la Lettre. Tou- tefois feize pages après, le même Auteur vous parle ainfi. La politique & la philofophie pourront „. foutcnir cette liberté de tout écrire , mais „ nos Loix l'ont réprouvée : or il s'agit de fa- '„ voir fi le jugement du Confeil contre les Ou- vrages de M. Rouffeau & le décret contre fa „. perfonne font contraires à nos Loix, & non „ de favoir s'ils font conformes à la philofophie „ & à la politique (^)." (/) Page 14. fe) Page 30. Ho-' C I N; Q7U I E- M: E Ailleurs siicore cet , Auteur ,• convenant que laflétriiïare d'un Livre n'en détruit pas les ar- gumens & peut même leur donner une publicité plus -grande., ajouts : „ A cet égard, je re- „ trouve aTez mes maximes dans celles des Ré. „ préfentations. Mais ces maximes ne font pas „ celles de nos Loix (i)* '* EnreiTerrant & liant tous ces pa(rages,.je leur trouve à-peu-iKes le fens qui fuit. ^ioîqiie la Pbilofo:-bie la Pblhiqiie cjf la raifnn puiJJ'ent foiitenir. la liberté de tmi écrire , on doit dans ti.tre Esgt punir cette liberté , parce que nos Loix la réjir auvent. Mais il ne faut pourtant pas fiiivre nos Loi.c à la LeUre ^ parce qu'alors on ne. punirait pas cette liberté. A parler- vrai, j'entrevois la' je ne fais qtiel ' galimathias qui me choque ; & pourtant lAu- teur me paroit homme d'efprit : ainfi dans ca réfumé je penche à croire que je me trompe j - fans qu'il me foit polîîble de voir en quoi. Com- parez donc vous-même les pages 14, 22, 30;: & vous verrez fi j'ai tort ou raifon. Quoi qu'il en foit, en attendant que l'Auteur nous montre ces autres Loix où les préceptes de la Philofophie & delà Politique font réprou- vés, reprenons l'examen de fes objections con- ^tre celle-ci. (h) Page 22. L E T T R S. itSï Premièrement, loin que , de peur de lai (Te? un délit impuni, il foit permis dans une Repu- blique au Magiftrat d'aggraver la Loi, il ne lui- eft pas même permis de l'étendre aux délits fur lefquels elle n'eH pas formelle , & l'on fait combien de coupables échappent en Angleterre à la faveur de la moindre diftindion fubtile dans les termes de la Loi. Qtiîconque cjl plu^ féver^ que les Loix, dit Vauvenargue , efl un Tyran {t^- Mais voyons fi la conféquence de l'impunité, dans refpeco dont il s'agit, eil.fi terrible que l'a fait l'Auteur des Lettres. Il faut, pour bien juger de l'efprit de la Loi , fe rappeller ce grand principe , que les meilleures Loix criminelles font toujours celles^ qui tirent de la nature des crimes les chatimens. qui leur font impofés. Ainfi les alTaffins doivent t.ïQ punis de mort , les voleurs , de la perte de (î) Comme il n'y a point à Genève de Loix pé- nale proprement dires, le Magiftrat ^^fj^^ trairenient la peine des crimes ; ceqm eft affuit- ment un grand défaut dans la Légination & un abu5 Sorme Ins un Etat libre. Mais ^tts automc du Magiftrat ne s'étend qu'aux crimes contie la loi na turelle & reconmis tels dans wute fociete, ou aux chofes fpécialement défendues par la loi po^'^^f ? elle ne va pas jufquà forger un délit imagmane ou îl n'y ena point, ni, fur quelque délit que ce pu f- ie arc, jufqu'à renverfer, de peur qu'un coup bie u'^échape , l'ordre delà procédure fixe-par la Loi. J'Si C I N Q U I E M S leur bien, ou, s'ils n'en ont pas, de celle de' leur liberté, qui eft alors le feul bien qui leur refte. De même, dans les délits qui font uni- quement contre la Religion , les peines doivent être tirées uniquement de la Religion; tel eft, par exemple, la privation de la preuve par fer- ment en chofes qui l'exigent; telle eft encore l'excommunication, prefcritte ici comme lapei- ne la plus grande de quiconque a dogmatifé contre la Religion. Sauf, enfuite, le renvoi au INIagiftrat, pour la peine civile due au délit civil, s'il y en a. Or il faut fe reObuvenir que l'Ordonnance, l'Auteur des Lettres, & moi, ne parlons ici qu2 d'un délit fimple contre la Religion. Si le dé- lit étoit complexe , comme fi, par exemple, i"avois imprimé mon Livre dans l'Etat fans per- Dîiflîon, il eft inconteftable que pour erre ab. fous devant le Confiftôire, Je ne le fcrois pas devant le Magiftrat. Cette diftinchion faite, je reviens & je dis : - il y a cette différence entre les délits contre la Religion & les délits civils , que les derniers font aux hommes ou aux Loix un tort un mal ' réel pour lequel la fureté publique cy.ige nécef. Virement réparation à punition; mais les autres- font feulement des ofFenfes contre la divinité, - à qui nul ne peut nuire & qui pardonne au re- pentir. Qyaud la divinité eft appaifée , il n'y. I LETTRE. îSS ^plàs de délit à punir, fauf le fcandale, & le fcandale fe répave en donnant au repentir la t me publicité qu'a eu la faute. La cl^r.é Chrétienne imite alors la clémence divine, & ce feroit une inconféquence abfurde de venger la Religion par une rigueur que la Religion ré- profile! La Uice humaine n-a& ne doit avo,r- nul égard au repentir, je l'avoue; ™^^^/°;! - pvécifément pourquoi, dans une cfpece de délit 'ue le repentir peut réparer, l'Ordonnance a pris des mefures pour que le Tribunal civil n en niit pas d'abord connoilTance. ^ L inconvénient terrible que l'Auteur trouve à' l.iffer impunis civilement les délits contre laRe- igion n'a donc pas la réalité qu'il lui donne. & la conféquence qu'il en tire pour prouver que : tel n'eft pas l'efprit de la Loi. n'eft point jufte,. contre les termes formels de la Loi. _ JinR r^d ;«,..& il y a des règles aum certaine. du'in en puiffeavoi. en tout autre cas pour dif= tinguer ici la réalité de la fauffe apparence, fur. tout quant aux effets extérieurs, feuls compris fous cemot, j'î//) ? '• C'eft-à-dire en d'autres termes ; „ doit-on procéder contre „ un homme qui n'attaque point les Loix, & „ qui vit hors de leur jurifdiciniion, avec au- „ tant de douceur que contre lin homme qui „ rit fous leur jurifdiélion & qui les attaque?'*- Il ne fembleroit pas , en effet , que cela dut faire une queflion. Voici, j'en fuis fur , la première fois qu'il a pafle par l'efprit humain «l'aggraver la peine d'un coupable, uniquement parce que le crime n'a pas été commis dans i'Etat. „ A là vérité," continue-t-il , „ on remar-- ,, que dans les Rcpréfentations à l'avantage de „ M. RoufTeau que Morelli avoit écrit contre „ un point de difcipline, au lieu que les Li- „ vres de M. Rouffeau , au fentiment de fes „ Juges , attaquent proprement la Religion. „ Mais cette remarque pourroit bieu n'être pas „ généralement adoptée , & ceux qui regardent (P) Page 17. k LETTRE. 175 r la Religion comme l'Ouvrage de Dieu & l'ap- *' pui de la conftitution pourront pcnfer qu'il ". eft moins permis de l'attaquer que des points *', de difcipline , qui , n'étant que l'Ouvrage " des hommes peuvent être fufpeas d'erreur , & " du moins fufceptibles d'une infinité de for- mes & de combinaifons difFérentes (2)?" Ce difcours, je vous l'avoue, me paroîtroit tout au plus paffable dans la bouche d'un Capa. cin, mais il me choqueroit fort fous la plume d'un Magiftrat. Qu'importe que la remarque des Répréfentans ne foit pas généralement adop- tée , fi ceux qui la rejettent ne le font que par- ce qu'ils raifonnent mal? Attaquer la Religion eft fans contredit un plus grand péché devant Dieu que d'attaquer la difcipline. H n'en eft pas de même devant les- Tribunaux humains qui font établis pour punir les crimes , non les péchés, & qui ne font pas les vengeurs de Dieu mais des Loix. La Religion ne peut jamais faire partie de la Légiflation qu'en ce qui concerne les aftions de» hommes. La Loi ordonne de faire ou de s'ab- ftcnir, mais elle ne peut ordonner de croire. Ainfi quiconque n'attaque point la pratique de la Religion n'attaque point la Loi. Mais la difcipline établie par la Loi fait ef- (jî) Page 18. H 4 176 CINQUIEME feociellement partie de la Légiflation , el!e de- vient Loi elle-même. Quiconque l'attaque at* taque la Loi & ne tend pas à moins qu'à trou- bler la conftitution de l'Etat. Que cette con- ftitution fut, avant d'être établie, fufceptibje de plufieurs formes & combinaifons difFérentes, en ell-elle moins refpedable & facrée fous une de ces formes, quand: elle en efl une fois. revê- tue à l'exclufion de toutes les autres; 6: dès lors la Loi politique n'eft-elle pas confiante & lise ainfi que la Loi divine? Ceux donc qui n'adopteroient pas en cetti; alFaire la remarque des Répréfcntans auroient d'autant plus de tort que cette remarque fut faite par le ConfciT même dans la fentence con- tre le Livre de JMorelli, qu'elle accufe fuitout de tendre à faire fcbifvie ^ troûlle jàans VEtat (Tune manière fédiîieufe ; imputation donc il fe- loit difficile de charger le mien. Ce que les Tribunaux civils ont à défendre n'eft pas l'Ouvrage de Dieu, c'eft l'Ouvrage des hommes ; ce n'eft pas des âmes qu'ils font ch.argés , c'elt des corps; c'eft de l'Etat. & non de l'Eglife qu'ils font. les vrais gardiens, & lorf- qu'ils fe mêlent des. matières de Religion, ce n'eft qu'autant qu'elles font du reffort des Loix, autant que ces matières importent au bon ordre & à la fureté publique. Voila les faines maxi- mes de la Magiftrature. Ce n'eft pas , ft l'on veut. LETTRE. ï77 veut, la doflrine de la puilumcc abfolue, mais c'eft 'celle de la jnftice & de la raifon. Jamais on ne s'en écartera dans les Tribunaux civils ■fans donner dans les plus funeftes abus, fans mettre l'Etat en combuftion , fans faire des Loix & de leur autorité le plus odieux brigandage. Je fuis fâché pour le peuple de Genève que le Confeil le méprife alTcz pour Tofer leurer pai' de tels difcours, dont les plus bornés & Its plus fuperfcitieux de l'Europe ne font plus les dupes. Sur cet Article vc. Répréfentans rai- fonnent en hommes dEiat , & vos Magiftracs raifonlient en Moines. Pour prouver que l'exemple de Moreîîi ne fait pas règle, l'Auteur des Lettres oppofe à la procédure faite contre lui celle qu'on fit en 1632 contre Nicolas Antoine , un pauvre fou qu'à \% ■foUicitation des Miniltres le Confeil lit brûler pour le bien de fon ame. Ces Auto-da-fès n'é- toient pas rares jadis à Genève, & il paroit par ce qui me regarde que ces Mefîicurs ne man» quent pas de goilt pour les renouveller. Commençons toujours par tranfcrire fidelle- ment les pafTagcs , pour ne pas imiter la mé- thode de mes perfécuteurs. Qu'on voye le procès de Nicolas Antoine, L'Ordonnance eccléfiallique exiftoit , & on étoit aifcz près du tems où elle avoit été ré- digée pour en connoître l'efprit ; Antaine JI 5 Ï78 CINQUIEME „ fut-il cité au Confiftoire ? Cependant parmi-: „ tant de voix qui s'élevèrent contre cet Arrêf „ fanguinaire , & au milieu des efforts que fi- „ rent pour le fauver les gens humains & mo- „ dérés, y eut-il quelqu'un qui réclamât contre „ l'irrégularité de la procédure? Morelli fut ci- „ té au Confiftoire, Antoine ne le fut pas; la- „ citation au Confifloire n'eft donc pas nécef- „ faire dans tous les cas (f).'« m Vous croirez là-deflus que le Confeil procé- tia d'emblée contre Nicolas Antoine comme il a fait contre moi , & qu'il ne fut pas feulement «îueftion du Confifloire ni des Miniflres ; Vous allez voir. Nicolas Antoine ayant été; dans un de fe$ ac<:ès de fureur, fur le point de fe précipiter ^ans le Rhône, le Magiftrat fe détermina à le tirer du logis public où il étoit, pour le met- tre à l'Hôpital , où les Médecins le traitèrent. Il y rcfta quelque tems proférant divers bhf- phêmes contre la Religion Chrétienne. „ Les „ Miniflres le voyoient tous les Jours , & tâ- „ choient, lorfque fa fureur paroilToit un peu „ calmée, de le faire revenir de fe* erreurs, „ ce qui n'aboutit à rien, Antoine ayant dît „ qu'il perfifleroit dans fes fentimens jufqu'â la ,, mort qu'il étoit prêt de foufFrir pour la gloi- (O Page 17. LE T T R Ê. 179 ,;. TC du grand Dieu à'Ifraël. N'ayant pu rien '] gagner fur lui, ils en informèrent le Con- feil , où ils le répréfenterent pire que Ser- '', vet,' Gentilis & tous les autres Antitrinitai- [, res, concluant à ce qu'il fut mis en chambre „ claufe; ce qui fut exécuté." (s). Vous voyez là d'abord pourquoi il ne fut pas ^ cité au Confiftoire ; c'eft qu'étant grièvement malade & entre les mains des Médecins , il lui étoit impoffible d'y comparoitre. Mais s'il n'ai- loit pas au Confirtoire, le Confiftoire ou fes membres alloient vers lui. Les Miniftres le royoient tous les jours , l'exhortoient tous les jours. Enfin n'ayant pu rien gagner fur lui, ils ie dénoncent au Confeil , le répréfentent pire que d'autres qu'on avoit punis de mort, re- quièrent qu'il foit mis en prifon, & fur leur' lequifïtion cela eft exécuté. En prifon même les Miniftres firent de leur- mieux pour le ramener, entrèrent avec lui dans la difcuffion de divers paffages de l'ancien Tef. tament, & le conjurèrent par tout ce qu'ils pu» rent imaginer de plus touchant de renoncer à fes erreurs (t) , mais il y demeura ferme. Il le (s) Hiftoire de Genève, in- 11. T. 2. page 550 & fuiv. à la note. (r) S'il y eut renoncé, eut-il également été brû- lé? Selon la maxicK de l'Autew des Letue.il au- H 6 i8o C .1 N Q U I E ME fut auffî devant le Magiftrat , qui lui fit fubif les interrogatoires ordinaires. Lorfqu'il fut queftion de juger cette affaire , le Magiftrat confulta encore les Minift:res, qui comparurent en Confeil au nombre de quinze, tant Tafteurs que ProfeiTeurs. Leurs opinions furent parta- gées , mais l'avis du plus grand nombre fut fuivi & Nicolas exécuté. De Jorte que le procès fut tout eccléfiaftique, & que- Nicolas fut, pour ainfi dire, brûlé par la main des Miniftre?. Tel fut, Monfieur, Tordre de la procédure - dans laquelle l'Auteur des Lettres nous affure qu'Antoine ne fut pas cité au Confiftoire. D'où il conclud que. cette citation n'eft donc pas toujours nécefTaire. L'exemple vous paroit-il bien choilj? Suppofons qu'il le foit , que s'enfuivra-t-i! ? Les Répréfentans concluoient d'un fait en con- firmation d'une Loi. L'Auteur des Lettres con- clud d'un fait contre cette même Loi. Si l'au- torité de chacun de ces deux faits détruit celle de l'autre , rcfte la Loi dans fon entier. Cette Loi , quoiqu'une fois enfreinte , en cft-ellc roît dû l'être. Cependant il paroit qu'il ne l'auroit pas été ; piHfque , malgré fon obilination , le Ma- giftrat ne lailfa pas de confuiter les Miniibcs. Il Je regardoit, en quelque forte, somwe étant eftcorî Icnis ieui jurifdkUoii. L E' T T R E. ■• iSf moins exprefTc , & 'ruffivoit-il de l'avoir vio- lée une fois pour avoir droit de la' violer tou- jours? Concluons à notre tour. Si j'ai dogmatifé, iefuis certainement' dans le cas de la Loi; fi je n'ai pas dogmatifé, qu'a- 1 -on à me dire? au- cune Loi n'a parlé de moi (ji). Donc on a tranTgrefle la Loi qui exifte ,- ou fuppofé celle qui n'exifte pas. • "Il eft vrai qu'en jugeant l'Ouvrage on n'a pas jugé définitivement l'Auteur. On n'a fait enco- re que le décréter , & l'on compte cela pour rien. Cela me paroit dur, cependant; mais ne foyons jamais injufles , même envers ceux qui le font envers nous, & ne cherchons point l'ini- quité où elle peut ne pas être. Je ne fais point \m crime au Confeil , ni même à l'Auteur des Let- tres de la diftinftion qu'ils mettent entre l'hom- me & le Livre, pour fe difculper de m'avoir jugé fans m'entendre. Les Juges ont pu voir la chofe comme .ils la montrent, ainfi je ne les accufe en cela ni de fupercherie ni de raauvai» fc foi. Je les accufe feulement de s'être trom- pés à mes dépends en un point très grave; & (u) Rien de ce qui ne blefTe aucune Loi natu- relle ne devient criminel, que lorfqu"il eft défendu p::r quelque Loi pofitive. Cette remarque a pour !)ut de faire fentir aux raifonneurs fuperticiels que iiiou dilciiunc eft exact. H 7 i82 CI N Q'U r E M E fe tromper pour abfoiidre eft pardonnable, maîa^ fe tromper pour punir ell une erreur bien ^ cruelle. Le Confeil avançoit dans fes réponfes que,, malgré la flétrilTure de mon Livre, je reftois,. quant à ma perfonne, dans toutes mes excep- tions & défenfes. Les Auteurs des Répréfentations répliquent qu'on ne comprend pas quelles exceptions & défenfes il refte â un homme déclaré impie , té- méraire, fcandaleux, & flétri même par la main du Bourreau dans des ouvrages qui portent fon nom. „ Vous fuppofez ce qui n'cll: point, *' dit à cela l'Auteur des Lettres; „ favoir, que le ,, jugement porte fur celui- dont l'Ouvrage „ porte le nom: mais ce jugement ne l'a pas „ encore effleuré, fes exceptions & défenfes „ lui reftent donc entières. " (x). Vous vous trompez vous-même, dirois-jc à cet écrivain. 11 cft vrai que le jugement qui qualifie & flétrit le Livre n'a pas encore atta- qué la vie de l'Auteur, mais il a déjà tué fon honneur; fes exceptions & défenfes lui refient encore entières pour ce qui regarde la peine afflidive , mais il a déjà reçu la peine infaman- te: Il eft déjà f]étri & deïhonnoré, autant qu'il («) Page 21, LETTRE. m dépend de fes juges : La feule chofe qni leur refte à décider , c'efl: s'il fera brûlé ou non. La diftinclion fur ce point entre le Livre & l'Auteur eft inepte, puifqu'un Livre n'eft pas punilTable. Un Livre n'eft en lui -même ni im- pie ni téméraire ; ces épithetes ne peuvent tomber que far la doélrine qu'il contient, c'eflr- à-dire fur l'Auteur de cette doclrine. Quand on brûle un Livre, que fait là le Bourreau? Deshonore-t-il les feuillets du Livre? qui ja- mais ouït dire qu'un Livre eut de l'honneur? "Voila l'erreur; en voici la fource : un ufage mal entendu. On écrit beaucoup de Livres ; on en écrit peu avec un defir (incere d'aller au bien. De cent Ouvrages qui paroifTent , foixante au moins ont pour objet des motifs d'intérêt & d'ambition. Trente autres, diftés par l'efprit de parti, par la haine , vont, à la faveur de l'a- nonyme porter dans le public le poifon de la calomnie & de la fatyre. Dix, peut-être, & c'eft beaucoup, font écrits dans de bonnes vues: on y dit la vérité qu'on fait, on y cherche le bien qu'on aime. Oui; mais où eft l'homme à qui l'on pardonne la vérité ? Il faut donc fe cacher pour la dire. Pour être utile impuné- ment, on lâche fon Livre dans le public, & l'on fait le plongeon. De CCS divers Livres, quelques uns des mau- !S4 C I N Q U I E M E vais & à peu -près tous les bons font dénoncés 6c profcrits dans les Tribunaux: la raifon de cela fe voit fans que je la dife. Ce n'cfl, au furplus, qu'une fiinple formalité, pour ne pas paroître approuver tacitement ces Livres. Du refte, pourvu que les noms des Auteurs n'y foient pas, ces Auteur;, quoique tout !e mon* .de les connpiire f: les nomme , ne font pas tonnus du Magillrat. Plufieurs même font dans l'ufage d'avouer ces Livres pour s'en faire hon- neur, & de les renier pour fe mettre à cou- vert,' le mime homme fera l'Auteur ou ne le fera pas, devant le même homme, félon qu'ils feront à l'audience ou dans un foupé. C'eft al- ternativement oui & non, fans difficulté, fans fcrupule. De cette façon la ftlreté ne coûte rien à ia vanité. C'eft là la prudence & l'habi- leté que l'Auteur des Lettres me reproche de n'avoir pas eue, & qui pourtant n'exige pas, ce me femblc , que pour l'avoir on fe mette- en grands fraix d'efprit. Cette manière de procéder contre des Livres anonymes dont on ne rcut pas connoître les Auteurs eft devenue un ufage judiciaire. Quand on veut févir contre le Livre on le brûle, par- ce qu'il n'7 a perfonne à entendre, & qu'on voit bien que l'Auteur qui fe cache n'eft pas d'humeur à l'avouer ; fauf à rive le foir avei lui-même des informations qu'on vient d'or4on- lettre; iS5 ner le matin contre lui. Tel efl: Tarage. ;, Mais ^orfqit'un Auteur mal - adroit, c'cft- à« dire, ^ un Auteur qui connok fon devoir, qui le veut remplir, fe croit obligé de ne rien di- ïe "au public qu'il ne l'avoue, qu'il ne fe nom- me ,. qu'il ne fe montre pour en répondre, ;alors réquité, qui ne doit pas punir comma nn crime la mal-adreffe d'un homme d'iion- ■neur , veut qu.'on procède .avec lui d'une autre manière; elle veut qu'on ne fépare point la iCaufe du Livré de celle de l'homme, p.uiTqu'il déclare en mettant fon nom ne les vouloir point Réparer; elle veut qu'on ne juge l'ouvrage qui jîe peut répondre, qu'après avoir ouîl' Auteur qui répond pour lui. Ainfi, bien que condanner .-un Livre anonyme foit en. effet ne condanner que le Livre, condanner un Livre qui porte le nom de l'Auteur, c'ell condanner l'Auteur mê- me, & quand on ne Ta point mis à portée de :répondre, c'eft le juger fans l'avoir entendu. L'aflîgnation préliminaire , même , Ci l'on veut, le décret de prife de corps eil donc in. difpen fable en pareil cas avant de procéder au jugement -du Livre;, & vainement diroit-on avec l'Auteur des Lettres que le délit eil évi- •dent, qu'il eft dans le Livre môme; cela ne difpenfe point de fuivre la forme judiciaire ' qu'on fuit dans les plus grands crimes , dans les plus avérés, dans les mieux prouves; car quand 1 jm C I N Q' U" I E M E toute la Ville auroit vu un homme en aflaflîner un autre, encore ne jugeroit-on point raiTaflIn fans l'entendre, on fans l'avoir mis à portée d'être entendu. Et pourquoi cette franchife d'un Auteur quît; fe nomme tourneroit - elle ainfi contre lui? Ne-', doit -elle pas, au contraire, lui mériter des* égards? Ne doit-elle pas impofer aux Juges plus^" de circonfpedion que s'il ne fe fut pas nom- mé ? Pourquoi , quand il traite des qucûions» hardies- s'expoferoit- il ainfi, s'il ne fe fentoic raffuré contre les dangers, par des raifons qu'il*- peut alléguer en fa faveur & qu'on peut pré- fumer fur fa conduite même valoir la peines d'être entendues ? L'Auteur des Lettres aura« beau qualifier cette conduite d'imprudence di- de mal-adrclTe; elle n'en efl pas moins celle- d'un homme d'honneur, qui voit fon devoir où^ d'autres voyent cette imprudence, qui fent n'a- voir rien à craindre, de quiconque voudra pro- céder avec lui juftement, & qui regarde comme.- une lâcheté puniiïable de publier des chofes- qu'on ne veut pas avouer. S'il n'eft queftion que de la réputation d'Au- teur, a-t-on befoin de mettre fon nom à fori' Livre? Qui ne fait comment on s'y prend pour" en avoir tout l'honneur fans rien rifquer, pour s'en glorifier fans en répondre, pour prendre un air humble .i force, de vanité? De quels Auy LETTRE. 1^7 teitrs d'une certaine volée ce petit tour d'adref- fe eft-il ignoré? Qu^ d'entre eux ne fait qu'il Eft même au deffous de la dignité de fe nom- mer , comme fi chacun ne devoit pas en lifant [•Ouvrage deviner le Grand homme qui l'a corn- pofé? Mais ces Mcffieurs n'ont vu que l'ufage or- dinaire, & loin de voir l'exception qui faifoit en ma faveur, ils l'ont fait fervir contre moi. Ils dévoient brûler le Livre fans faire mention de l'Auteur, ou s'ils en vouloient à l'Auteur, attendre qu'il fut préfent ou contumax pour brûler le Livre. Mais point; ils brûlent le Livre comme H l'Auteur n'étoit pas connu, & décrètent l'Auteur comme fi le Livre n'étoit pas brûlé. Me décréter après m'avoir diffamé 1 que me vouloientils donc encore? Que me ré- fervoient-ils de pis dans la fuite? Ignoroient-ils que l'honneur d'un honnête homme lui eft plus cher que la vie? Quel mal refte-t-il à lui fai- re quand on a commencé par lé fléïrir? Que me fert de me préfenter innocent devant les- Juges , quand le traitement qu'ils me font avant: de m'entcndre eft la plus cruelle peine^ qu'ils pourroient mMmpofer fi j'étois jugé criminel? On commence par me traiter à tous égards comme un malfaiteur qui n'a plus d'honneur à perdre & qu'on ne peut punir déformais que dans fon corps, & puis on dit tranquillement rS3 C I N Q U I É M' E que je reflc dans toutes mes exceptions & dé^ fenfes! Mais comment ces exceptions & défen^ fes cfFaceront- elles l'ignominie & le mal qu'or m'aura fhit fouffrir d'avance & dans mon Livre & dans ma perfonne , quand j'aurai été promè| né dans les rues par des archers, quand auï Inaux qui m'accablent on aura pris foin d'à- jouter les rigueurs de la prifon? Quoi donc.r ' pourctre jufte doit -on confondre dans la mê- me clafle & dans le même traftement toutes les-_,L fautes & tous les hommes? pour un ade dev franchife appelle mal-adreffe, faut -il débuter ^ par traîner un Citoyen fans reproche dans les prifons comme un fcélérat ? Et quel avantage-' aura donc devant les juges l'eflime publique & l'intégrité de la vie entière, fi cinquante ans d'honneur vis à vis du moindre indice (y) ne fauvent un homme d'aucun affront ? (y) Il y auroit, à l'examen, beaucoup à rabattre des préfomptions que l'Auteur des Lettres afFccle, d'accumuler contre moi. II dit , par exeuiplc , que les Li\-rcs déférés paroiiroient fous le même format que mes autres ouvrages^ Il efl: vrai qu'ils étoient in douze & in oclavo; fous quel format foîu donc ceux. de» autres Auteurs? 11 ajoute qu'ils étoient im- primés par le même Libraire; voila ce qui n'elF . pas. L'Emile fut imprimé pur des Libi aires différcns du mien, & avec des caractères qui n'avoicnt feivl à nul aud-c de m. s Ecrits. Ajnfi l'indice qui réful- toit de C'jtte confrontation n'étoit point. contre moi , il ctoit à ma décharge. L E T T R E. ïSl> .„ La comparaifon d'Emile & du Contraft So' „ cial avec d'autres Ouvrages qui ont été to'.é- „ rés, & la partialité qu'on en prend occafioii de reprocher au Confeil ne nie femblent pas „ fondées. Ce ne feroit pas bien raifonner que „ de prétendre qu'un Gouvernement parce y, qu'il auroit une fois diffimulé feroit obligé „ de diffimuler toujours: fi c'eft une négligen- „ ce on peut la redreOer; fi c'efl: un filcnce forcé par les circonftances ou par la politi- „ que, il y auroit peu de juftice à en faire la j^j matière d'un reproche. Je ne prétends point „ juftiner les ouvrages défignés dans les Répré- „ fentations ; mais en confcience y a-t-il parité entre des Livres ou l'on trouve des traits „ épars & indifcrets contre la Religion , & des Livres où fans détour fans ménagement on _ „ l'attaque dans fes dogmes dans fa. morale , dans fon influence fur la Société civile? Fai- fons impartialement la comparaifon de ces Ouvitiges , jugeons en par l'iinpreffion qu'ils ont faite dans le monde; les uns s'impriment „ & fe débitent par tout ; on fait comment y y, ont été reçus les autres (2). " ]'ai cru devoir tranfcrire d'abord ce paragra- phe en entier. Je le reprendrai maintenant par fragmens. Il mérite un peu d'analyfe. (s) Page 23 & 24, q$o CINQUIEME Que n'imprime- 1- on pas à Genève; que n'y tolere-t-on pasV Des Ouvrages qu'on a peine i lire fans indignation s'y débit-ent publiquement; tout le monde les lit, tout le monde les aime, les Magiftrats fe taifent, les Miniftres fourient, l'air auftere n'eft plus du bon air. Moi feul 6c mes Livres avons mérité l'animadverfion da Gonfeil, & quelle animadvcrfion? L'on ne peut même l'imaginer plus violente ni plus terrible. Mon Dieu ! Je n'aurois jamais cru d'âtre un li grand fcélérat. La comparnifon d'Emile ^ du ContraSt SkïiU avec d'autres Ouvrages tolérés ne me femble pat fondée. Ah je l'efperel Ce ne feroii pas bien raifonner de prétendre qu'un Gouvernement , parce qu'il auroit une fois dij/lmulé ,Jerûit obligé de dijfimuler toujours. Soit; mais voyez les tems les lieux les perfonnes; voyez les écrits fur lefquels on dilîimule, & ceux qu'on choifit pour ne plus difllmuler ; voyez les Auteurs qu'on fcte à Genève, dt voyez ceux qu'on y pour fuit. Si ceft une négligence on peut la redrejfer, Onlcpouvoit, on l'auroit dû, l'a- 1- on fait? Mes écrits & leur Auteur ont été flétris fans avoir mérité de l'être; & ceux qui l'ont mérité ne font pas moins tolérés qu'auparavant. L'ex- ception n'eft que pour moi feul. Si c'ejî un filence forci par les circtnjlances ^ LETTRE. ipî ,ar la Politique , il y auroit peu de jujîice à en ^aire la matière dun reproche. Si l'on vous for- ^e à tolérer des Ecrits puniffables , tolérés donc auffi ceux qui ne le font pas. La décence au moins exige qu'on cache au peuple ces cho- quantes acceptions de perfonnes, qui puniffent le foible innocent des fautes du puiffant coupa- ble Quoi' ces diftindions fcandaleufes font- elles donc des raifons, & feront -elles toujours des dupes? Ne diroit-on pas que le fort de quelques fatyres obfcenes intéreffe beaucoup les Potentats, & que votre Ville va être écrafee fi l'on n'y tolère, fi l'on n'y imprime, fi l'on -n'y vend publiquement ces mêmes Ouvrages qu'on profait dans le pays des Auteurs? Peu- ples combien on vous en fait accroire en fai- fant'fi fouvcnt intervenir les Puiflances pour autorifer le mal qu'elles ignorent & qu'on veut faire en leur nom ! Lorfque j'arrivai dans ce pays on eut dit que tout le Royaume de France étoit à mes trouffes. On brûle mes Livres à Genève ;c'eft pour com- plaire à la France. On m'y décrète; la France le veut ainfi. L'on me fait chafTer du Canton de Berne; c'eft la France qui l'a demandé. L'on me pourfuit jufques dans ces Montagnes; fi l'on m'en eut pu chaffer, c'eut encore été la France. Forcé par mille outrages j'écris une let- tre apologétique. Pour le coup tout étoit perdu. Î92 CINQUIEME J'étois entouré, furveilié; la France envovoît tles efpions pour me gnctter, des foldiits pour m'enlever, des brignnds pour in'aTafllner ; il étoit même imprudent de fortir de ma raaifon. Tons les dangers me venoi-nt toujours de la France, du Parlement, du Clergé, de la Cour même; on ne vit de la vie un pauvre bar- bouilleur de papier devenir pour fon malheur un homme aiiffî important. Ennuyé de tant de bêtifes, Je vais en France; je connoilTois les s François , & j'ctois malheureux. On m'accueil- le, on me carefTe, je reçois mille honnête-» tés & il ne tient qu'à moi d'en recevoir da- vantnge. Je retourne tranquillement chez moi. L'on tombe des nues; on n'en revient pas; on blâme fortement mon étourderie, mais on cefTe de me menacer de la France; on a mi- fon. Si jamais des afTaflins daignent terminer mes foufFrances, ce n'efl; furement pas de ce pays-ià qu'ils viendront. Je ne confonds point les diverfes caufcs de mes difgraces; je fais bien difccrner celles qui font l'effet des circpnftances , l'ouvrage de la trilte néceilîté, de celles qui me viennent uni- quement de la haine de mes ennemis. Eh! plut- à -Dieu que je n'en eufTe pas plus à Ge- nève qu'en France , & qu'ils n'y fudcnt pas plus implacables! Chacun fait aujourd'hui doù fcnt partis les coups qu'on m'a portés & qui m"ont i I LETTRE. 193 ■m'ont été les plus fenfibles. Vos gens me re- prochent mes malheurs comme s'ils n'étoient pas leur ouvrage. Quelle noirceur plus cruel- le que de me faire un crime à Genève des perfécutîons qu'on me fufcitoit dans la Suiffe, & de m'accufer de n'être admis nulle part, en me failant chafTer de par to.it! faut -il que je reproche à l'amitié qui ra'appella dans-ces con- trées le voifinage de mon pays? J'ofe en at- teler tous les Teuples de l'Europe ; y en a t-il un feul, excepté la SuiiTe, où je n'euffe pas été reçu, même avec honneur? Toutefois dois- je me plaindre du choix de ma retraite ? Non , malgré tant d'acharnement & d'outrages , j'ai plus gagné que perdu; j'ai trouvé un homme. y\me noble & grande! ô George Keith! mon proteâeur, mon ami, mon père! où que vous foyez , où que j'achève mes trifles jours , & du(ré-je ne vous revoir de ma vie; non, je ne reprocherai point au Ciel mes miferes ; je leur dois votre amitié. E;i confcience , y- a- t-il parité entre des Li- vres où. l'on trouve quelques traits é,->ars ^ in- difcrets contre la Religion, ^ des Livres où fanr détour fans ménagement on l'att.ique dans fes dogmes , dans fa morale , dans fon influence ftr h fociété ? En confcience! Il ne fiéroit pas à u» impie tel que moi d'ofer parler de confcience.., I î .19+ CINQUIEME ■ .... fur tout vis-à-vis de ces bons Chrétiens...' ainfî je me tais C'efl pourtant une fingu- . liere confcience que celle qui fait dire à à&i, Magiftrats ; nous fouffrons volontiers qu'on | ,blafphême, mais nous ne fouffrons pas qu'on ^' raifonnc! Otons, Monfieur, la difparité des '■[ fujets; c'efl avec ces mômes façons de penfer que les Athéniens applaudiffoient aux impiétés d'Ariftophane & firent mourir Socrate. Une des chofes qui me donnent le plus de confiance dans mes principes efl: de trouver leur application toujours juile dans les cas que j'a- vois le moins prévus ; tel efl: celui qui fe pré- fente ici. Une des maximes qui découlent de l'analyfe que j'ai faite de la Religion & de ce qui lui efl cfTencicl efl que les hommes ne doi- vent fe mêler de celle d'autrui qu'en ce qui les intérefTe ; d'où il fuit qu'ils ne doivent ja- mais punir des ofFenfes {aa) faites uniquement (aa) Notez que je me fers de ce mot offenfcr Dieu félon l'ufage , quoique je fois très éloigné de l'admettre dansVoa fens propre , & que je le trou- ve très mal appliqué; comme fi quelque être qus ce foit , un homme , un Ange , le Diable même pouvoit jamais offenfer Dieu. Le mot que nous rendons par offenfes efl traduit comme prefque tout le refle du texte facrc; c'efl tout dire. Des honi- mes enfarinés de leur théologie ont rendu & déti' guré ce Livre admirable félon leurs petites idées, & voila dequoi l'on entretient la folie & le fan»' L E T T R S. I§5 a Dieu , qui l'aura bien les punir lui-même. Il faut bomnr la divinité ^ ne la venger jamais , difent après Montefquieu les Répréfentans; ils ont vailbn. Cependant les ridicules outrageans, les impiétés grofiîeres, les blafphêmes contre la Religion font puniflfables , jamais les raifonne- mens. Pourquoi cela? Parce que dans ce pre- mier cas on n'attaque pas feulement la Reli- gion, mais ceux qui la profelTent, on les inful- te , on les outrage dans leur culte , on marqua un mépris révoltant pour ce qu'ils refpeftenc & par conféquent pour eux. De tels outrage» doivent être punis par les loix, parce qu'ils retombent fur les hommes, & que les hommes ont droit de s'en reflentir. Mais où eft le mor- tel fur la terre qu'un raifonnement doive of- fenfer? Où efl: celui qui peut fe fâcher de ce qu'on le traite en homme & qu'on le fuppofc ttlmc du peuple. Je trouve très fage la circonfpec' tion de l'Eglife Romaine fur les traduflions de l'E- criture en langue vulgaire , & comme il n'ell: pas néceiraire de propofer toujours au peuple les mé- ditations voluptueufes du Cantique des Cantiques , r.\ les malédictions continuelles de David contre fe-: ennemis , ni les fubtilités de St. Paul fur la grâce , il eft dangereux de lui propofer la fublimc morale de l'Evangile dans des termes qui ne ren- dent pas exaélement le fens de l'Auteur; car pour peu qu'on s'en écarte , en prenant une autre routo «n vji très loiii. I i ir,5 CINQUIEME raifonnable? û le raifonneur fe trompe ou nous trompe, & que vous vous in.téreflîez à lui ou à nous, montrez lui fou tort, déiabufez-nous , battez -le de fes propres armes. Si vous n'en voulez pas prendre la peine , ne dites rien, ne récoutezpas, laitlez-le raifonncr ou déraifon- ner, & tout eft fini fans bruit, fans querelle, fans infulte quelconque pour qui que ce foit. Mais fur quoi peut- on fonder la maxime con- traire de tolérer la raillerie le mépris l'outra- ge, & de punir la raifon V La mienne s'y perd. Ces Meffieurs voyent fi fouvent M. de Vol- taire. Comment ne leur a t-il point infpiré cet efprit de tolérance qu'il prêche fans cefTc, & dont il a quelquefois befoin? S'ils l'eulTent un peu confulté dans cette affaire, il me paroit qu'il eut pu leur parler à peu près ainfi. „ Meffieurs, ce ne fjnt point les raifon- „ neurs qui font du mal , ce font les cafFards. '' La Philofophie peut aller fon train fans rif- que ; ie peuple ne l'entend pas ou la laifTe dire, & lui rend tout le dédain qu'elle a pour lui.. Raifonner eft de toutes les folies des ]] hommes celle qui nuit le moins au genre hii- main, & l'on voit même des gens fages entL- ',', chés par fois de cette folie-là. Je ne raifon- " ne pas , moi. cela eft vrai , mais d'autres ,', raifonnent,' quel mal en arrivet-il? Voyez, „ tel, tel, & tel ouvrage; n'y a- t-il que d^s LETTRE. Tçr y, plaîfanteries dans ces Livres-là? Moi-même j enfin, fi je ne raifonne pas, je fais mieux; y, je fais raifonner mes lefteurs. Voyez mo:i ,i chapitre des Juifs; voyez le même chapitre plus développé dans le Sermon des cinquan- te. Il y a là du raifonnement ou l'équiva* lent, je penfe. Vous conviendrez aulïï qu'il ,, y a peu de détour, & quelque chofe de plus „ que des traits êpars ^ indifcre^s. „ Nous avons arrangé que mon grand cré- „ dit à la Cour & ma toute puiiïance prétei> due vous ferviroient de prétexte pour lailTer courir en paix les jeux badins de mes vieux ans: cela eft bon, mais ne brûlez pas pour cela des écrits plus graves; car alors cela fe- „ roit trop choquant. ,, J'ai tant prêché la tolérance ! Il ne faut „ pas toujours l'exiger des autres & n'en ja- mais ufer avec eux. Ce pauvre homme croit „ en Dieu? paŒbns-lui cela, il ne fera pas y, fe6Ve. Il efl ennuyeux? Tous les raifonneurs „ le font. Nous ne mettrons pas celui-ci de ,, nisrs foupés; du refle,' que nous importe? Si ,, l'on brùloit tous les Livres ennuyeux', que „' deviendroient les Bibliothèques ? & fi l'on „ brùloic tous les gens ennuyeux-;, il faudroit ,y faire un bûcher du pays. Croyez-moi, laif- „ ions raifonner ceux qui nous laiiTent plaifan- „■. t&r ; ne brûlons ni gens ni Livras , & reliions 1-3^ î98 CINQUIEME ,, enpnix; c'eft mon avis. •' Voila, félon moi, ce qu'eut pu dire d'un meilleur ton M. de Vol- taire, & ce n'eut pas été là , ce me femble, le plus mauvais confeil qu'il auroit donné. Faifons impartialement la comparai/m de ces oti; vrages ; jugeons en par Vitnprejfi'jn quils sut fai- te dans le vunde. J'y confens de tout mon cœur. Les uns ïivipriinent ^ Je débitent partout. Qjk fait comvient y ont été reçus les autres. Ces mots les uns & les autres fout équivo- <}ues. Je ne dirai pas fous lefqiiels l'Auteur, en- tend mes écrits; mais ce que je puis dire, c'eft ^u'on les- imprime dans tous les pays, qu'on les traduit dans toutes les langues, qu'on a même fait à la fois deux traduflions de TEmile à Lon- dres , honneur que n'eut jamais aucun autre Livre excepté l'Héloïfe, au moins, que je fâ- che. Je dirai, de plus, qu'en France, en An- gleterre, en Allemagne, même en Italie on me plaint on m'aime on voudioit m'accueillir , & qu'il n"y a par tout qu'un cri d'indignation coti- tre le Confeil de Genève. Voila ce que je fais du fort de mes Ecrits; j'ignore celui des autres. Il efl: tems de finir. Vous voyez, Monfieur, que dans cette Lettre & dans la précédente je me fuis fuppofé coupable; mais dans les trois premières j'ai montré que je ne l'étois pas. Or jugez de ce qu'une procédure injufte contre un coupable doit être contre un innocenc ! L E T T R' E, iW Cependant ces Mefïïeurs, bien déterminés à- laifTcr Gabrifter cette proccdure, ont hautement- déclaré que le bien de la Religion ne leur par-- niittoit pas de reconnoiLi-e leur tort, ni Thon- neur du Gouvernement de réparer leur injufti- ce. Il fimdiOit un ouvrage entier pour montrer les conféquencés de cette maxime qui confacre' & change en arrêt du deftin toutes les iniquités des Miniilres des Loix. Ce n"eil pas de cela qu'il s'agit encore, & je ne me fuis propoTé jufqu'ici que d'examiner fi l'injuftice avoit été commife, & non fi elle devoit être réparée. Dans le cas de l'affirmative, nous verrons ci- après quelle relTource vos Loix fe font ménagée pour remé- dier à leur violation. En attendant, que faut-il penfer de ces juges inflexibles, qui procèdent dans leurs jugemens auflî légèrement que s'ils ne tiroient point à conféquence , & qui les main- tiennent avec autant d'obrtination que s'ils y' avoient apporté le plus mur examen? Quelques longues qu'aient été ces difcufllons, j'ai cru que leur objtt vous donneroit la patien- ce de les fuivre; j'ofe même dire que vous le- deviez, puifqu'elles font autant l'apologie de vos loix que la mienne. Dans un pays libre & dans une Religion raifonnable, la Loi qui ren- droit criminel un Livre pareil au mien feroit une Loi funefte, qu'il faudroit fe hâter d'abro-- gcr pour l'honneur & le bien de l'Etat, Mais X 4. ■200 C I N Q U I E M E grâce au Ciel il n'exifte rien de tel parmi vous , comme je viens de le prouver, & il vauL" jiiieux que rinjuftice dont Je fuis la viclime foit l'ouvrage du Magiftrat que des Loix; car les erreurs des hommes font paffageres , mais celles des Loix durent autant qu'elles. Loin que l'o- flracifme qui m'exile à jamais de mon pays foie l'ouvrage de mes fautes, Je n'ai Jamais mieux rempli mon devoir de Citoyen qu'au moment que je cefle de l'être, & J'en aurois mérité le ti- tre par l'ade qui m'y fait renoncer. Rappellez-vous ce qui vcnoit de fe'pafler il y avoit peu d'années au fujet de l'Article Genè- ve de M. d'Alembcrt. Loin de calmer les mur- mures excités par cet Article l'Ecrit publié par les Palleurs l'avoient augmenté, & il n'y a per- fonne qui ne fâche que mon ouvrage leur fit plus de bien que le leur. Le parti Proteftant » mécontent d'eux, n'éclatoit pas, mais il pou» voit éclater d'un moment à l'autre, & malhcur reufement les Gouvernemens s'allarmcnt de (i peu de chofe en ces matières , que les querelles des Théologiens, faites pour tomber dans l'ou- bli d'elles-mêmes prennent toujours de l'impor- tance par celle qu'on leur veut donner. Pour moi Je regardois comme la gloire & le bonheur de la Patrie d'avoir un Clergé animé d'un efprit fi rare dans fon ordre, & qui,, fans s'attacher à la do(^rine purement fpéculati- ve. t E T T R E. 2<^ï Ye, rapportoit tout à la morale & aux devoirs de 'l'homme & du Citoyen. Je penfois que, fans faire direftement fon apologie, juftifier les maxi'mes que je lui fuppofois & prévenir les cenfures qu'on en pourroit faire étoit un fer- vice à rendre à l'Etat. En montrant que ce qu'il ncgligeoit n'étoit ni certain ni utile, j'efpérois contenir ceux qui voudroient lui en faire un crime: fans le nommer, fans le défigner , fans- compromettre fon orthodoxie, c'étoit le don- ner en exemple aux autres Théologiens. L'entrepiife étoit hardie, mais elle n'étoif pas téméraire, & fans des circonftances qu'il- étoit difficile de prévoir, elle devoit naturells- Hient réuffir. Je n'étois pas- feul de ce fenti- ment; des gens très éclairés d'ilkOlres Magiftrats même penfoient comme moi. Confidérez l'état religieux de l'Europe au moment où je publiai mon Livre, & vous verrez qu'il étoit plus que probable qu'il feroit par tout accueilli. La Re- ligion décréditée en tout lieu par la p^hilafophie avoit perdu fon afcendant jufques fur le peu- ple. Les Gens d'Eglife, obftinés à l'érayer par fon côté foible , avoient laiffé miner tout le ïcftc, & rédifice entier portant à faux étoit prêt à s'écrouler. Les controverfes avoient cefle par- ce qu'elles n'intéreffoient plus perfonne, & la paix rcgnoit entre les différens partis , pcirce que nul ne fe foucioit plus du fien. Pour ôcer 1 5 202 CINQUIEME les mauvaifes branches on avoit abattu l'arbre^ pour le replanter il falloit n'y lailTcr que le tronc. Quel moment plus heureux pour établir fon- dement la paix univerfelle, que celui où l'ani- mofité des partis fufpendue laifToit tout le mon- de en état d'écouter la raifon? A qui pouvoic déplaire un ouvrage où fans blâmer, du moins fans exclurre perfonne, on faifoit voir qu'au fond tous étoient d'accord ; que tant de diflen- tions ne s'étoient élevées , que tant de fang n'avoit été verfé que pour des malentendus ; que chacun devoit refter en repos dans fon culte. Tans troubler celui des autres; que partout on devoit fervir Dieu, aimer fon prochain, obéir aux Loix, & qu'en cela feul confiftoit l'eflence de toute bonne Religion? C'étoit établir à la fois la liberté philofophique & la piété reli' gieufe; c'étoit concilier l'amour de l'ordre & les égards pour les préjugés d'autrui; c'étoit fans détruire les divers partis les ramener tous au terme coBamun de l'humanité & de la raifon; loin d'exciter des querelles, c'étoit couper la jacine à celles qui germent encore, & qui re- naîtront infailliblement d'un jour à l'autre, îorf- quc le zèle du fanatifme qui n'eft qu'aflbupi fe jéveillera: c'étoit, en un mot, dans ce fiécle paciiique par indifférence , donner à chacun des raifons très fortes , d'être toujours ce qu'il eft maintenant fans fav^oir pourquoi. 'h E T T R Ef io5: "" Que de maux tout prêts à renaître n'étoient . point prévenus fi l'on m'eut écouté ! Quels in- convenions étaient attachés à cet avantage ? Pas un , non , pas un. Je défie qu'on m'en montre un feul probable & même poffible , fi ce n'eft Timpunité des erreurs innocentes & l'impuiffan- ce des perfécuteurs. Eh comment fe peut- il qu'après tant de triftes expériences & dans un fiécle fi éclairé, les Gouvernemens n'aient pas encore appris à jetter & brifer cette arme ter- rible , qu'on ne peut manier avec tant d'adreffe qu'elle ne coupe la main qui s'en veut fcrvir ? L'A'obé de Saint Pierre vouloit qu'on ôtât les écoles de théologie & qu'on foutint la Religion. Quel parti prendre pour parvenir fans bruit à ce double objet, qui, bien vu, fe confond en un? Le parti que j'avois pris. Une circonftance malheureufe en arrêtant l'effet de mes bons deff'eins a raffemblé fur ma tête tous les maux dont je voulois délivrer le genre humain. Renaîtra- 1- il jamais un autre ami de la vérité que mon fort n'effraye pas? je l'ignore. Qu'il foit plus fage, s'il a le même zèle en fera-t-il plus heureux ? J'en doute. Le moment que j'avois faifi, puifqu'il eft manqué, ne reviendra plus. Je fouhaite de tout mon cœur que le Parlement de Paris ne fe repente pas un jour lui-même d'avoir remis dans la main de la fuperflition le poignard que j'en faifois tom- ber. I «5 294 C I N (J- U I E M E Mais lailTons les lieux & les teras éloignés, &' retournons à Genève. C'eft là que je veux vous ramener par une dernière obfervation que vous êtes bien à portée défaire, & qui doit certaine» ment vous frapper. Jettez les yeux fur ce qui fe paflfe autour de vous. Quels font ceux qui me pourfuivent , quels font ceux qui me défen- dent? Voyez parmi les Répréfentans l'élite de vos Citoyens, Genève en a-t-elle de phis efti- mables ? Je ne veux point parler de mes perfé^ tuteurs; à Dieu ne plaife que je fouille jamais ma plume & ma caufe des traits de la- Satyre; je laiiTe fans regret cette arme à mes ennemis : Mais comparez & jugez vous-même. De quel côté font les mœurs , les vertus , la folide pié- té., le plus vrai patriotifme? Quoi! j'ofFenfe les loix , & leurs plus zélés défenfeurs font les miens! J'attaque le Gouvernement, & les meil- leurs Citoyens m'approuvent! J'attaque la Re* ligion, & j'ai pour moi ceux qui ont le plus de Religion! Cette feule obfervation dit tout; elle feule montre mon vrai crime & le vrai fu>- jet de mes difgraces. Ceux qui me haïlftnt & m'outragent font mon éloge en dépit d'eux. Leur haine s'explique d'elle-même. Un Gènes vois peut -il s'y tromper? LETTRE. 205 S I X 1 E M E L E T T R E. Encore une Lettre, Monfieiir, & vous êtes délivré de moi. Mais je me trouve en In corn* mençant dans une fituation bien bizarre; obli- gé d^^crire, & ne fâchant as quoi la remplir. Concevez- vous qu'on ait à fe juftifier d'un cri- me qu'on ignore, & qu'il faille fe défendre fans favoir de quoi l'on eft accufé ? C'eft pour- tant ce que j'ai à faire au fujet des Gouverne* mens. Je fuis , non pa^s acciifé , mais jugé, mais flétri pour avoir publié deux Ouvrages té- méraires fcandalsux impies, tendans à détruire la Religion Chrétienne ^ tous les Gouvernemens. Quant à la Religion, nous avons eu du moins quelque prife pour trouver ce qu'on a voulu- dire , & nous l'avons examiné. Mais quant aux Gouvernemens, rien ne peut noirs fournir le moindre indice. On a toujours évité toute efpece d'explication fur ce point : on n'a jamais voulu dire en quel lieu j'entreprcnois ainfi de les détruire, ni comment, ni pourquoi, ni rien de ce qui peut conftater que le délit n'eft pas imaginaire. C'eft comme fi l'on jugeoit quel< «ju'im pour avoir tué un homme fana dire ni 2-5 SIXIEME où, ni qui, ni quand; pour un n;eurtre aE- ftiTiic. A rinqaifiuon l'on force bien l'iiccufé de deviner de quoi on i'accufe, mais on ne le juge pas fans dire fur quoi. L'Auteur des Lettres écrites de la Campagne évite avec le même foin de s'expliquer fur ce- pt étendu délit; il joint^ égalemen&^a Religion & les Go.uvernemens dans la même accufation générale: puis, entrant en matière fur la Reli- gion, il déclare vouloir s'y borner, & il tienf parole. Comment parviendrons-nous à vérifier l'accufation qui regarde les Gouverncmens , fi ceux qui l'intentent refuftnt de dire fur quoi eJle porte?. Remarquez même comment d'un trait de plu- me cet Auteur change l'état de la queftion. Le Confeil prononce que mes Livres tendent à dé- truire tous les Gouvernemens. L'Auteur des Lettres dit feulement que les Gouvernemens y font livrés à la plus audacieufe critique. Cela eft fort différent. Une critique, quelque auda-- cieufe qu'elle puiffe être n'cft point une confpi- ration. Critiquer ou blâmer quelques Loix n'clt fzs renvcrfer toutes les Loix. Autant vaudroit accufer quelqu'un d'aflaffiner les malades lorf« qu'il montre les fautes des Médecins. Encore une fois, que répondre à des raifons qu'on ne veut pas dire? Comment fe juftifier contre un jugement porté fans motifs ? Que , . LETTRE. 207 ms preuve de part ni d'autre, ces MefTieurs rifent que je veux renverfer tous les Gouverne- mens , & que je dife, moi , que je ne veux pas renverfer tous les Gouvermens , il y a dans ces affertions parité exafle, excepté que le préju- gé eft pour moi; car il eft à préfunier que je fais mieux que perfonne ce que je veux faire. . Mais où la parité manque, c'eft dans l'effet de ralTertion. Sur la leur mon Livre eil brûlé , ma perfonne eft décrétée ; & ce que j'affirme ne rétablit rien. Seulement, û je prouve que l'accufation eit fauiTe & le jugement inique, l'affront qu'ils m'ont fait retourne à eux-mêmes: Le décret , le Bourreau tout y devroit retour- -îier; puifque nul ne détruit fi radicalement le Gouvernement, que celui qui en tire un ufage. direaement contraire à la fin pour laquelle iTi , eft inftitué. Il ne fuffit pas que l'affirme, il faut que je. prouve; & c'eft ici qu'on voit combien eft dé- plorable le fort d'un particulier fournis à d'in.- juftes Magiftrats , quand ils n'ont rien à' erain- dre du Souverain, & qu'ils fe mettent au def-' fus des loix. D'une affirmation fans preuve,. ils font une démonftration ; voila l'innocent- puni. Bien plus, de fa défenfe même ils lui. font un nouveau crime , & il ne tiendroit pas- à eux de le punir encore d'avoir prouvé qu'il : étoit innocent. Î208 S- I X I E M E Comment m'y prendre pour montrer qu'ift' n'ont pas dit vrai; pour prouver que je ne dé- truispoint les Gonvernemens ? Quelque endroifc de mes Ecrits que je défende , ils diront qu« ce n'eft pas celui-là qu'ils ont condanné; quoN qu'ils ayent condanné tout, le bon comme le mauvais, fans nulle diftinélion. Pour ne leur laifler aucune défaite, il faudroit donc tout re- prendre, tout fuivre d'un bout à l'autre, Li^ vre à Xivre, page à page, ligne à ligne, & prefque enfin, niot à mot. Il faudroit de plus, ex^min^r tous les Gouvernemens. d«- monde» puifqu'ils difent que je les détruis tous. Quel- le entreprife! que d'années y faudroit -il em- ployer? Que d"/?i -/o/îw faudroit-il écrire ; & a- près cela, qui les liroit? Exigez de moi ce 'qui eft faifable. Tout: homme fenfé doit fe contenter de ce que j'ai à vous dircT vous ne voulez furemeut lun de plus. De mes deux Livres brûlés à la fois f^us dei imputations communes , il n'y en a qu'un qui traite du droit politique & des matières de Gou- vernement. Si l'autre en traite, ce n'efl: que dans un extrait du premier, Ainfi je fuppofe que c'efl: fur celui-ci feulement que tombe l'ac- cu fation. Si cette accufation portoit fur quel»- que paflagç particulier , on l'auroit cité, fans- doute;, on en auroit du moins extrait quelquç- f^ E T T R E. 23^ BayJrae, fidelle ou infidelle , comme on a fait ur les points corrcernans la Religion. C'eft donc le ayflême établi dans le corps de ;ouvrage qui détruit les Gouvernemens ; il ne î^agic donc que .d'expoCer ce Syftême ou de fai- re une analyfe du Livre; & fi nous n'y voyons évidemment . les principes deftruaifs dont il E'agit nous fourons du moins où les chercher dans rouvrage, en fuivant la méthode de l'Au- teur. , . Mais, Monfieur, fi durant cette analyfe, qui fera courte, vous trouvez quelque confé- nuence à Lir«^, de grâce ne vous preffez pa«. Attendez que nous en raifonnions enfemble. Après cela vous y reviendrez fi vous voulez, Qu'cft-ce qui fait que l'Etat eft un? Ccft l'union de fes membres. Et d'où nait l'union de fes membres ? De l'obligatio-n qui les lie. Tout eft d'accord jufqu'ici. Mais quel eft le fondement de cette ooliga- tion? Voila oîi les Auteurs fe dtvifent. Selon les une c'eft la force ; félon d'autres , l'auto- xité paternelle ; félon d'autres , la volonté de Dieu Chacun établit fon principe & attaque celui des autres: je n'ai pas moi-même fait au- .trement , & , fuivant la plus faine partie de ceux qui ont difcuté ces matières , j'ai pofe pour fondement du corps politique la conven- tion de fes membres, j'ai réfuté les principes d.ifFércns du mien. f^ sio s I X I E M E Indépendamment de la vérité de ce principe il l'emporte fur tous les autres par la foliditè du fondement qu'il établit; car quel fondement plus fur peut avoir l'obligation parmi les hom- mes que le libre engagement de celui qui s'o* blige ? On peut difputer tout autre princi« pe (a); on ne fauroit difputer celui-là. Mais par cette condition de la liberté, qu-Jj en renferme d'autres , toutes fortes d'enpagei mens ne font pas valides , même devant les Tri^ banaux humains. Ainfi pour déterminer celui-, ci l'on doit en expliquer la nature, on doit efl ! trouver l'a fage &jafin, on doit prouver qu'il efl convenable à des hommes , & qu'il n'a rie» de contraire aux Loix naturelles : car il n'eft pas plus permis d'enfreindre les Loix naturelles par le Contraft Social, qu'il n'eft permis d'en, freindre les Loix pofitives par les Contrafls des particuliers, & ce n'eft que par ces Loix- mô- mes qu'exifte la liberté qui donne force à l'en- gagement. J'ai pour réfultat de cet examen que l'éta- bliflement du Contrat Social eft un pafte d'une (a) Même celui de la volonté de Dieu, du moins quant à l'application. Car bien qu'il foit clair que ce que Dieu veut l'homme doit le vouloir , il n'eft pas clair que Dieu veuille qu'on préfère tel Gol^ verncment à tel autre , ni qu'on obéilTe à Jaques plutôt qu'à Guillaume. Or voila dequoi il s'agit. L E T T R E. su fcrpece particulière , par lequel chacun s'engage 'envers tous, d'où s-enfuit l'engn?,ement récipro-. que de tous envers chacuH, qui eft l'objet im- .médiat de l'miion. ]e dis que cet engagement eil d'une efpece ■particulière, en ce qu'étant abfolu, fans con- dition, fans réferve, il ne peut toutefois être injufte ni fufceotible dabus ; puifqu'il n'eft pas poffible que le corps fa veuille nuire à lui -me- ■me, tant que le tout ne veut que pour tous. Il eft encore d'une efpece particulière en ce qu'il lie les contraftans fans les aiTujétir à per- fonne, & qu'en leur donnant leur feule volon- , té pour règle il les laiflfe auffi libres qu'aupara- vant. La volonté de tous eft donc l'ordre la règle fuprême, & cette règle générale 6: perfoaiiiée eft ce que j'appelle le Souverain. Il fuit dc-là que la Souveraineté eft indivift. ble, inaliénable, & qu'elle réfide efTcnciello- ment dans tous les membres du corps. Mais comment agit cet être abftrait & col- ledif? 11 agit par des Loix , & il ne faurort agir autrement. Et qu'eft- ce qu'une Loi? C'eft une déclara- tion publique & folemnelle de la volonté géné- rale, fur un objet d'intérêt commun. Je dis, fur un objet d'intérêt commun; par- ce que 1» Loi perdroit fa force & cciTeroit d'à- *i2 SIXIEME tre légitime, fi l'objet n'en importoit à tous La Loi ne peut par fa nature avoir un objet particulier & individuel: mais l'application de la Loi tombe fur des objets particuliers & indi- SyViduels. Le pouvoir Légiflatif qui efl le Souverain a donc b.^foia d'un autre pouvoir qui exécute c'eft-à-dire, qui réduife la Loi ^n aftes particu* hers. Ce fécond pouvoir doit être établi de manière qu'il exécate toujours la Loi, à qu'il n'exécute jamais que la Loi. Ici vient l'infti- tution du Gouvernement. Qu'efl-ce que le Gouvernement ? Cefl un '' corps intermédiaire établi entre les fujets & le Souverain pour leur mutuelle correfpondance chargé de l'exécution des Loix & du maintien de la Liberté tant civile que politique. Le Gouvernement comme partie intégrante du corps politique participe à la volonté géné- rale qui le conûitue; comme corps lui même il a fa volonté propre. Ces deux volontés quel- ques fois s'accordent & quelques fois fe com- battent. C'efi: de l'effet combiné de ce con- cours & de ce conflit que réfulte le jeu de tou- te la machine. Le principe qui conftitue les diverfes formes du Gouvernement confiée dans le nombre des - membres qui le compofent. Plus ce nombre eft petit, plu5 le Gouvernement a de force; plus le LETTRE. 213 le nombre efl: gi'and, plus le Gouvernement efi: foible ; & comme la fouveraineté tend toujours au relâchement, le Gouvernement tend toujours à fe renforcer. Ainfi le Corps exécutif doit l'emporter à ja'longue fur le corps légiflatif, & quand la Loi eft enfin foumife aux hommes , il ne refte que des efclaves & des maîtres ; l'Etat ed détruit. Avant cette deflirudtion , fe Gouvernement doit par fon proi^rès naturel changer de forme & paŒer par dt.gi'és du grand nombre au moin- dre. Les diverfes formes dont le Gouvernement efl fufccptible fe réduifent à trois principales. Après les avoir comparées par leurs avsmtages & par leurs inconvéniens , je donne la préfé- rence à celle qui efl: intermédiaire entre les deux extrêmes, & qui porte le nom d'Ariflio- cratle. On doit fe fouvenlr ici que la conftitu- tion de l'Etat & celle du Gouvernement font deux chofes très difl:in£tes , & que je ne les ai pas confondues. Le meilleur des Gouverne- mens efl: rarifl:ocratique; la pire des fouverai- nctés eft l'ariftocratique. Ces difcuffions en amènent d'autres fur la maniera dont le Gouvernement dégénère , & fur les moyens de retarder la deftru6tton da corps politique. Knllu dans le dernier Livre j'examine par 2T4 S I X 1 E M K voye de comparaifon avec le meilleur Gouver- nement qui ait exifté, favoir celui de Rome, la police la plus favorable à la bonne con(T:itution ce l'Etat; puis je termine ce Liv^e & tout TOu- vrage par des recherches fur la manière dont la Religion peut & doit entrer comme partie con- flitutive dans la compofition du corps politi- que. Que pcnfiez-voiis , Monfirur, en li Tant cette analyfe courte & fidelle de mon Livre? Je le devine. Vous difiez en vous-même; voila l'hif- toire du Gouvernement de Genève. C'eft ce , qu'ont dit à la lecture du même Ouvrage tous ceux qui connoiffent votre Conftitution. . Et en effet, ce Contraft primitif, cette cf- fence de la Souveraineté, cet empire des Loix, cette inftitution du Gouvernement , cette ma- nière de le refferrer à divers degrés pour com- penfer lautorité par la force, cette tendance à l'ufurpation, ces affemblécs périodiques, cette adrefle aies ôter, cette deftruaion prochaine, enfin , qui vous menace & que je voulois pré- venir; n'ell-ce pas trait pour trait l'image de votre République, depuis fa naiiTance jufqu'à ce jour? _ , J'ai donc pris votre ConHitution , que je trouvois belle , pour modèle des inflitutions politiques , & vous propofant en exemple à l'Europe, loin de chcrclier à vous détruire j'cx- L È T T R E. 215 pofois les moyens de vous conferver. Cette Conftitution , toute bonne qu'elle efc, n'eft pas fans défaut; on pouvoit prévenir les altérations f]u"clle a fouffertes, la garantir du danger qu'el- le court aujourd'hui. J'ai prévu ce danger , je l'ai fait entendre, j'indiquois des préfervatifs ; ctoit-ce la vouloir détruire que de montrer ce qu'il faIJoit faire pour la maintenir ? C'étoit par mon attachement pour elle que j'aurois vou- lu que rien ne put l'altérer. Voila tout mon crime; j'avois tort, peut-être; mais fi l'amour de la patrie m'aveugla fur cet article, étoit-ce à elle de m'en punir "? Comment pouvois-je tendre à renverfer tous les Gouvernemens, en poCiint en principes tous ceux du vôtre? Le fait fcul détruit l'accufation. Fuifqu'il y avoit un Gouvernement exiflant fuf mon modèle, je ne tendois donc pas à détruire tous ceux qui cxiftoient. Eh! Monfieur ; fi je n'avois fait qu'un Syfiiême, vous êtes bien fur qu'on n'auroit rien dit. On fe fut contenté de reléguer le Contracl Social avec la République de Platon l'Utopie & les Sévarambes dans le pays des chimères. Mais je peignois un objet exidant, & l'on vouloit que cet objet changeât dj face. Mon Livre portoit témoignage contre l'attentat qu'on alloit faire. Voila ce qu'on ne m'a pas pardonné. Mais voici qui j^mdus paroitra bizarre. Mo» K 2 il 6 SIXIEME Livre attaque tous les Gouvernemens , & il n'efl: profcrit dans aucun! 11 en établit un feul, il le propofe en exemple, & c'eft dans celui-là qu'il eft brûlé! N'eft-il pas fmgulier que les Gouvcrnemens attaqués fe taifent , & que le Gouvernement refpeaé féviiTe? Quoi! Le Ma- giftrat de Genève fe fait le piotefteur des autres Gouvcrnemens contre le fien même ! Il punit fon propre Citoyen d'avoir préféré les Loix de fon pays à toutes les autres ! Cela eft-il conce- vable , & le croiriez -vous fi vous ne reufllez vu ? Dans tout le refte de l'Europe quelqu'un s'eft-il avifé de flétrir l'ouvrage? Non ; pas mô- me l'Etat où il a été imprimé (b). Pas môme la France où les Magiftrats font là-deffus fi fé- veres. Y a-t-on défendu le Livre ? Rien de fcmblable ; on n'a pas lailTé d'abord entrer l'é- dition de Hollande, mais on l'a contrefaite en France , & l'ouvrage y court fans difficulté. C'étoit donc une affaire de commerce à non de police: on préféroit le profit du Libraire de France au profit du Libraire étranger. Voila tout. Le Contrad Social n'a été brûlé nulle part (i) Dans le fort des premières clameurs caufées par les procédures de Paris & de Genève , le Magi- ftrat furpris défendit les deux Livres : mnis wv ^on propre examen ce fage Magiftrat a bien changé de ientimeat , furtout quant au Conuact Social. LETTRE. 217 qu'a Genève où il n'a pas été imprimé; le feul Magilbat de Genève y a trouvé des principes deftruaifs de tous les Goavernemens. A la vé- rité , ce Magiftrat n'a point dit quels étoient ces principes; en cela- je crois qu'il a fort pru. demment fait. L'efFet des défenfes indifcretes eff de n'ôtne point obTervées & d'énerver la force de l'auto- rité. Mon Livre eft dans les mains de tout le monde àGenève, & que n'eft-il également dans tous les cœurs! Lifez-le, Monfieur, ce Livre fi d^rié, mais fi néceffiiire; vous y verrez par- tout la Loi mife au deflus des hommes ; vous y verrez par tout la liberté réclamée, mais tou^ jours fous- l'autorité desloix, fans lefquelles la liberté ne peut exifter, & fous lefquelles on eft toujours libre , de quelque façon qu'on foit gouverné. Par là je ne. fais pas, dit-on\ ma Gournux puiffmces ; tant pis pour elles; car je fais leurs vrais intérêts , fi elles favoient les voir & les fuivre. Mais les pafllons aveuglent les hommes fur leur propre bien. Ceux qui- foumettent les Loix aux paflîons humaines font les vrais defLruaeurs des Gouvernemens : voila les gens qu'il faudroit punir. Les fondemens de l'Etat font les mêmes dans tous les Gouvernemens , & ces fondemens font mieux pofés dans mon Livre que dans aucun autre. Qiund il s'agit enfuite de comparer lee K 3 •ai8 SIXIEME diverfes formes de Gouvernement^ on ne peut éviter de pefer féparément les avantages & les inconvéniens de chacun : c'eil: ce que Je crois avoir fait avec impartialité. Tout balancé, j"ai (lonné la préférence au Gouvernement de mon pays. Cela étoit naturel & raifonnable ; on Bi'aiiroit blâmé fi Je ne l'euffe pas fait. Mais je n'ai point donné d'exclufion aux autres Gouver- nemens ; au contraire: j'ai montré que chacun avoit fa raifon qui pouvoit le rendre préférable à tout autre, félon les hommes les tems & les lieux. Ainfi loin de détruire tous les Gcu;\er- nemens, je les ai tous établis. En parlant du Gouvernement Monarchique en particulier, j'en ai bien fait valoir l'avanta- ge, & je n'en ai pas non plus déguifé les dé- fauts. Cela eîl, je penfe, du, droit d'un hom- me qui raifonne j & quand Je lui aurois donné Texclufion , ce qu'aHurément je n'ai pas fait» s'enfuivroit-il qu'on dut m'en punir à Genève.? Hobbes a-t-il été décrété dans quelque iMonar- chie parce que fcs principes font deftruftifs de tout Gouvernement républicain, & fait - on le procès chez les Rois aux Auteurs qui rejettent & dépriment les Républiques? Le droit n'ell:-il pas réciproque, & les Républicains ne font -ils pas Souverains dans leur pays comme les Rois le font dans le leur. Pour moi, je n'a- reietté aucun Gouverneaient, Je n'en aiméprifé aucun. LETTRE. 219 En les examinant, en les comparant j'ai tenu la balance & j'ai calculé les poids ; je n'ai rien fait de plus. On ne doit punir la raifon nulle part, ni même le raifonnement; cette punition prouve- roit trop contre ceux qui rimpoferoient. Les Répréfentans ont tïès bien établi que mon Li- vre, où je ne fors pas de la théfe générale, n'attaquant point le Gouvernement de Genève & imprimé hors du territoire, ne peut être con- iiàhé que dans le nombre de ceux qui traitent du droit naturel & politique, fur lefquels les Loix ne donnent au Confeil aucun pouvoir, & qui fe font toujours vendus publiquement dans la Ville, quelque principe q^a'on y avance & quelque fentiment qu'on y foutienne. Je ne fuis pas le feul qui difcutan; par abftraaion des qucftions de politique ait pu les traiter avec quelque hardielTe ; chacun ne le fait pas, mais tout homme a droit de le faire; plufieurs ufent de ce droit , & je fuis le feul qu'on puniOTe pour en avoir u(é. L'infortuné Sydnei pcnfoit comme moi , mais il agilToit ; c'eft pour fon fait & non pour fon Livre qu'il eut l'honneur de vcrfer fon fang. AUhufius en Allemagne s'attira des ennemis, mais on ne s'avifa pas de le pouvfuivre criminellement. Locke , Mon- tefquieu, l'Abbé de Saint Pierre ont traité les niOmcs maiicres, & fouvci-it avec la môme li- K 4 210 SIXIEME LETTRE, berté tout au moins. Locke en particulier hs a traitées exaclement dans les mômes principes que moi. Tous trois font nés fous des Ruis, ont vécu tranquilles c^ font morts honorés dans leurs pays. Vous favcz comment j'ai été traité dans le mien. Aufil foyez fur que loin de lougir de ces fiécriiuires je m'en glorifie, puifqir.îie.-; ne fer- vent qu'à mettre en évidence le motif qui me les attire , & que ce motif n'cft que davoir bien mérité démon pays. La conduite du Con- feil envers moi m'afflige, fans doute, en rom- pant des nœuds qui m'étoient fi chers; mais peut-elle m'avilir? Non, elle m'élève, elle me met au rang de ceux qui ont fouffert pour la liberté. Mes Livres, quoi qu'on fafTe, porte- ront toujours témoignage d'eux-mêmes, & îc traitement qu'ils ont reçu ne fera que fauver de l'opprobre ceux qui auront l'honneur d'être brûlés après eux. Fin de la première Partie, LET- LETTRES ECRITES DE LA MONTAGNE. SECONDE PARTIE. SEPTIEME LETTRE, V ous m'aurez trouvé diffus-, Monfieur; maïs il falloit. l'être, & les fujets que j'avois à trai- ter ne fe difcutent pas par des épigrammes. D'ailleurs ces fujets m'éloignoient moins qu'il ne (emble de celui qui vous intéreffe. En par- lant de moi je penfois à vous,* & votre' quef- tion tenoit fi bien à la mienne, que l'une e(t déjà réfolue avec l'autre, il ne me refte que la conféquence à tirer. Par tout où l'innocence n'eft pas en fureté, rien n'y peut être : par tout où les Loix font violées impunément,. il n'y a plus de liberté. Cependant comme on peut féparer l'intérêt: d'un particulier de celui du public, vos idées- fijr ce point font encore incertaines j vous pçr*- i22 SEPTIEME ilil:ez à vouloir qr.e je vous aide à les fixer. \'ous demandez quel eft l'état préfent de votre République , & ce que doivent faire fes Ci- toyens V Il ell pins aifé do répondre à la pre- mière queftion qu'à l'autre. Cette première queftion vous embamlTe fiV rement moins par elle-même que par les folu- tions conÇradi(5toires qu'on lui donne autour de vous. Des Gens de très bon fcns vous difent; nous fommes le plus libre de tous les peuples, & d'autres Gens de très bon fens vous difent; nous vivons fous le plus dur efclavage. Lef- quels ont raifon, me demandez - vous ? Tous, INIonfieur; mais à difFérens égards : une diftinc- tion très fimple les concilie. Rien n'efl: plus libre que votre état légitime ; rien n'eft plus fervile que votre état actuel. Vos loix ne tiennent leur autorité que de vous ; vous ne reconnoiflTez que celles que vous faites; vous ne payez que les droits que vous impofez ; vous élifez les Chefs qui vous gouvernent; ils n'ont droit de vous juger que par des formes prefcrites. En Confeil général vous êtes Légiflatcurs , Souverains , indépen* . ^ ^^ choix ne marque - 1 - il pas ou par qui l'autorité eit conférée , ou à qui l'on doit compte de l'uiiige qu'on en fait? A quels hommes d'Etat avons-nous à faire s'il faut leur dire ces c'nofes-là? Les ignorent -ils, ou s'ils feignent de les ignorer? (b) Le Confeil eft préfent auffi, mais fes men>- bîcs ne jurent point & demeurent aIFis> £3CJ s E P T I E M E fut f-ait mention d'autre Confeil que d^ ceiui des Citoyens, comme on le voit par la fentcn- ee de Morelli ci-devant tranfcrite, & par celle de Valentin Gentil rapportée dans les opufcules de Calvin. Or vous fentez bien que cette puifTance ex- clufive, ainiî reçue immédiatement du Peuple , gêne beaucoup les prétentions du Confoil. Il eft donc naturel que pour fe délivrer de cette dépendance il tâche d'afToiblir pcu-à-peu Tau- torité des Syndics, de fondre dans le Confeil la jurifJichion qu'ils ont reçue , & de tranfmet- tre infenfiblement à ce corps permanent, dont le Peuple n'élit point les membres, le pouvoir grand mais paTager des Magidrats qu'il élit, /! Les Syndics eux-mêmes, loin de s'oppofcr à y ce changement doivent aufïï le fayorifer; parce • qu'ils font Syndics feulement tous les quatre- ans, & qu'ils peuvent même ne pas l'ctre; au lieu que, quoi qu'il arrive, Us font Confdllers ' toute leur vie , le Grabeau n'étant plus qu'un vain cérémonial (c). (r) Dans la première Inflitution , les quatre Syn- dic-i nouvellement élus & les c]u;i're anciens Syn lies rejettoiei:t tous les ans huit nicm'ires des feize rcf- tans du petit Confeil & en propofoient huit nou- veaux , ief jucfs palfoient cnluite aux fuffrages des- .Deux-Cens , pour être a^liuis ou rejetrés. Mais in- fc-nfiblcmcnt on ne rejetta des vieux Confeilîers q.ua ïll L E T T R n. E3Ï Cela gagné, l'élection des Syndics devien- dra de môme une cérémonie tout aufîi vaine que l'eft déjà la tenue des Confeils généraux,. & le petic Confeil verra fort paifiblement les exclurions ou préférences que le Peuple peut donner pour le Syndicat à fes membres , lorf- que tout cela ne décidera plus de rien. 11 a d'abord pour parvenir à cette fin un pjrand moyen dont le Peuple ne peut connoî- tre; c'ek la police intérieure du Confeil, dont,, quoique réglée par les Edits , il peut diriger ceux dont la conduite avoit donné prife au blâme, & loriq.i'i's avoient commis quelque faute grave , on n'attendoit pas les éleftions pour les punir ;mcJis on les mcttoit d'abord en prifon, & on leu:^ faifoit leur procès comme au dernier particulier. Far cet- te règle d'aDCiciper le châtiment & de le rendre fi- vere, les Conftillers reliés étant tous irréprocha- • bles ne donnoient aucune prife à l'exclufion : ce qui changea cet ufage en la formalité cérémonieufe- & vaine qui porte aujourd'hui le nom de Grabeau. Admirable effet des Gouverntuiens Ubres , où les ufurpa lions mêmes ne peuvent s'établir qu'à l'appui de la veitu! Au refte le droit réciproque des deux Confeils enipécb.croit féal aucun des deux d'ofer s'en fcivir fur l'autre linon de concert avec lui, de peur de s'expofer aux lépréfailies. Le Grabeau ne fert pro- prement qu'à les tenir bien imis contre la bourgeoi- lie , & à faire fauter l'un par l'autre les membre*- qui n'auroiisnt pas l'efprit du corps. zyi S E P T I E JM E la forme à Ton gré {d) , n'ayant aucun furvciP lant qui l'en empêche; car quant au Procureur général , on doit en ceci le compter pour rien (g). Mais cela m fuffit pas encore ; il faut ac- coutumer le Peuple même à ce tranfport de ju- rifdiélion. Pour cela on ne commence pas par ériger dans d'importantes affaires des Tribu- naux compofésdes feuls Confeillers, mais on en érige d'abord de moins remarquables fur des (d) C'eftainfi que dès l'année 1655 le petit Con- feil & le Deux-Cent établirent dans leurs Corps la ba!ote & les billets , contre l'Elit. (e) Le Procureur général, écabil pour être l'hom- me de la Loi, n'efl- que l'homme du Confeil. Deux, eaufes font prefque toujours exercer cette charge- contre l'elprit de fon inrtitution. L'une efl le vice de l'uiftitution même qui fait de cette Magillratu- re un degré pour parvenir au Confcil : au lieu quim Procureur général ne devoit rien voir au dedus de fo place & qu'il devoit lui être interdit par la Loi d'afpirer à nulle autre. La féconde caii- fe elt l'imprudence du Peuple qui confie cette charge à des hommes apparentés dans le Confeil, ou qui font de f:unilles en ponelîlon d'y entrer, fans confidérer qu'ils ne manqueront pas ainfi d'em- ployer contre lui les armes qu'il leur donne pour- fa défenfc. J'ai oui des Genevois diftingucr l'hom- me du peuple d'avec l'homme de la Loi , comme- fi ce n'étoit pas la même chofe. Les Procureurs gé- néraux devroient être durant leurs fix ans les Chefs de la Bourgeoifie , & devenir fon confeil après ce- la: mais ne la voila- 1- il pas bien protégée & bien confeillée, 6c n^a-'t-elle pas fort à fe féliciter de. Ion choix.? L E T T R E» 533 6h]ets peu intérelTans. On fait ordinairement préfider ces Tribunaux par un Syndic auquel on fabftitue quelquefois un ancien Syndic, puis un Confeiller , fans que perfonne y faOe atten. tien; on repette fans bruit cette manœuvre Juf. qu'à' ce quelle faffe ufage; on la tranfporte au criminel. Dans une occafion plus impor- tante on érige un Tribunal pour juger des Ci- toyens. A la faveur de la Loi des récufations on fait préfider ce Tribunal par un Confeil- ler. Alors le Peuple ouvre les yeux & mur- Kiure. On lui die, dequoi vous plaignez-vous? Voyez les exemples; nous n'innovons rien. Voila, Monfieur, la politique de vos Ma- giftrats. Ils font leurs innovations peu -à -peu, lentement, fans que perfonne en voye la con- féquence ; & quand enfin l'on s'en apperçoit & qu'on y veut porter remède, ils crient qu'on veut innover. Et voyez, en effet, fans fortir de cet exem- pie, ce qu'ils ont dit à cette occafion. Ils s'appuyoient fur la Loi des récufations : ou hur répond; la Loi fondamentale de l'Etat veut que les Citoyens ne foient jugés que par leurs Syndics. Dans la concurrence de ces deux Loix celle-ci doit exclure l'autre; en pa- reil cns pour les obferver toutes deux on de- vroit plutôt élire un Syndic ad a^um. A ce mot, tout cil perdu l Un Syndic ad «Sum.' £3+ SEPTIEME innovation! Pour moi, je ne vois rien là de fi nouveau qu'ils difent: fi c'eft le mot, on- s'en feit tous les ans aux (fleJtions; & fi c'cll la chofe, elle eft encore moins nouvelle; paif- que les premiers Syndics qu'ait eu la Ville n'ont été Syndics qu'a;/ rvcÏMw: lorfque le Pro- cureur général eil recufable, n'en faut -il pas un rrntve ad a&w:i pour faire fes fonclions ; & les adjoints tirés du Deux - Cent pour rem- plir les Tribunaux, que font -ils autre chofe que des Confeillers ad acium? Quand un nou- vel abus s'introduit ce n'ell point innover que ■d'y propofer un nouveau remède; au contrai- re, c'ePc chercher h rétablir les chofts fur l'ancien pied. Mais ces Mcfîîeurs n'aiment point qu'on fouille ainfi dans les antiquités de leur Ville : Ce n'ell <]ue dans celles de Car- thage & de Rome qu'ils permettent de chercher l'explication de vos Loix. Je n'entreprendrai point le parallèle de cel- les de leurs entreprifes qui ont manqué & de celles qui ont réuiîï: quand il y auroit corn- penfation dans le nombre , il n'y en auroit point dans l'cfFct total. Dans une entreprife exécutée ils gagnent des forces ; dans une en- treprife manquée ils ne perdent que du tems. Vous , au contraire , qui ne cherchez & ne pouvez chercher qu'à maintenir votre conftitu- tion , quand vous perdez , vos pertes font réel- L E T T H E. 235 ilfs, & quand vous g"gnrz, vous ne gagnez rien. Dans un progrès de cette cfpece com- ir.ent efpcrcr de rcftcr au même point? De toutes les époques qu'offre à méditer rhiaoirc inftrucTive de votre Gouvernement, la plus remarquable par fa caufe & la plus im- - portante par fon effet , eft celle qui a produit "le règlement de la Médiation. Ce qui donna lieu primitivement à cette célelrc époque fut une entreprife indifcrete , faite Iiors de tems par vos Magiftrats. Avant d'avoir affez affer- ;■ mi leur puiffance ils voulurent ufurper le droit ' de mettra des impôts. l\n lieu de réferver ce coup pour le dernier l'avidité le leur fît porter " avant les autres , & prccifément après une commotion qui n'étolt pas bien affoupie. Cette . faute en attira de plus grandes, difficiles à ré- parer. Comment de fi fins politiques ignoroient- ils une maxime auflî fîmple que celle qu'ils choquèrent en cette occafion? Par tout pays le peuple ne s'apperçoit qu'on attente à fa liberté que lorfqu'on attente à fa bourfe; ce qu'aufïï lés ufurpateurs adroits fe gardent bien de faire que tout le relie ne foit fait. Ils voulurent renvcrfer cet ordre & s'en trouvèrent mal (/). (/■) L'objet des impôts établis en lyiô^étoit la dépcnfe des nouvelles fortilications : Le plan de CCS nouvelles fortilications cioit immenfe & il a été exécuté en partie. De fi vaftes fortifications ren- 43<5 S E P T r E M ïï, Les fuices de cette afFaire prodji firent les mou- vemens de 1731 & l'afFreux complot qui en fut le fruit. Ce fut une féconde faute pire que la pre- mière. Tous les avantages du tems font pour eux; ils fe les ôtent dans les entreprifes bruf- ques , & mettent la machine dans le cas de fe remx)nter tout d'un coup; c'eft ce qui faillit ar- river dans cette affaire. Les événemens qui précédeicnt 'a Médiation leur firent perdre un fiécle & produifirent un autre effet défavorable pour eux. Ce fut d'apprendre à l'Europe que cette Bourgeoifie qu'ils avoient voulu détruire & qu'ils peignoient comme une populace effré- née , favoit garder dans fes avantages la mo- dération qu'ils ne connurent jamais dans les leurs. Je ne dirai pas fi ce recours à la Médiation doit être compté comme une troificme faute. Cette Médiation fut ou parut offerte; fi cette offre fut réelle ou foUicitée c'ell ce que je ne puis ni ne veux pénétrer: je fais feulement que dolent néceffaire unegrofTe garnifon , e\; cette groffe gsrnifon avoit pour but de tenir les Citoyens & Bourgeois fous le joug. On parvenoit par cette voye à former à leurs dépends les fers qu'on leur préparoir. Le projet étoit bien lié , mais il mar- chof: dans un ordre rétrograde. Auffi n'a -t -il pu réuflir. \ LETTRE. 237; que tandis que vous couriez le plus grand dan- ger tout garda le filence , & que ce filence ne fut rompu que quand le danger paflTa dans l'au- tre parti. Du refte , je veux d'autant moins im- puter à vos Magiftrats d'avoir imploré la Mé- diation, qu'ofer même en parler efl: à leurs yeux le plus grand des crimes. Un Citoyen fe plaignant d'un emprifonnc- ment illégal injufte & deshonorant, demandoit comment il falloit s'y prendre pour recourir à la garantie. Le Magiflrat auquel il s'adreflbit ofa lui répondre que cette feule propofition méritoit la mort. Or vis-à-vis du Souverain le crime feroit auffi grand & plus grand, peut - être, de la part du Confeil que de la part d'un fimple particulier; & je ne vois pas où l'on en peut trouver un digne de mort dans un fécond re- cours , rendu légitime par la garantie qui fut l'eftet du premier. Encore un coup , je n'entreprends point de difcuter une queftion fi délicate à traiter & (î difficile à réfoudre. J'entreprends fimplement d'examiner, fur l'objet qui nous occupe, l'état de votre Gouvernement, fixé ci -devant par le règlement des Plénipotentiaires > mais dénaturé maintenant par les nouvelles entreprifes de vos Alagifirats. Je fuis obligé de faire un long cir- cuit pour aller à mon but, mais daignez me fui' vie , & nous nous retrouverons bien, L i 238 SEPTIEME 1 Je n'ai point la témérité de vouloir critiquer ce règlement; au contraire, j'en admire la fa- geffe & j'en refpefte l'impartialité. J'y crois voir les intentions les plus droites & les difpo- fitions les plus judicieufes. Quand on Hiit com- bien de chofes étoient contre vous dans ce mo- ment critique , combien vous aviez de préjugés 1 à vaincre, quel crédita furmonter, que de faux expofés à détruire; quand on fe rappelle avec quelle confiance vos adverfaires compioicnt vous écrafer par les mains d'autrui , Ton ne peut qu'honorer le zèle la conftance & les talens de vos défenfeurs, l'équité des Puiffances média, trices & l'intégrité des Plénipotentiaires qui ont confommé cet ouvrage de paix. Quoi qu'on en puiiTe dire, l'Edit de la iVlé- diation a été le fraut de la République , & quand on ne l'enfreindra pas il en fera la con- fervation. Si cet Ouvrage n'eft pas parfait en lui-même, il l'eft relativement; il l'eft quant aux tems aux lieux aux circonftances , il cfl: ïe meilleur qui vous put convenir. Il doit vous être inviolable & facré par prudence, quand il ne le fcroit pas par nécefîité, & vous n'en de- vriez pas ôter une Ligne, quand vous feriez les maîtres de l'anéantir. Bien plus, la raifon môme qui le rend néceffairc, le rend néceffaire dans fon entier. Comme tous les articles balances forment l'équilibre, un fcul article altéré le LETTRE. Î39 détruit. Plus le règlement eft utile, plus il fe- roit nuifible ainfi mutilé. Rien ne feroit plus dangereux queplufieurs articles pris féparément & détachés du corps qu'ils afFermiffent. Il vau- droit mieux que l'édifice fut rafé qu'ébranlé. Laiffez ôter une feule pierre de la voûte , & vous ferez écrafés fous fcs ruines. Rien n'eft plus facile à fentir par l'examen des articles dont le Confeil fe prévaut & de <:eux qu'il veut éluder. Souvenez- vous, Moii- fieur, de l'efprit dans lequel j'entreprends cet examen. Loin de vous confeiller de toucher à rEJit de la Médiation, je veux vous faire fentir combien il vous importe de n'y laifTer porter nulle atteinte. Si je parois critiquer quelques articles , c'eft pour montrer de quel- le conféquence il feroit d'ôter ceux quileg-rec- tifient. Si je parois propofer des expédiens qui ne s'y rapportent pas, ceft pour montrer la mauvaife foi de ceux qui trouvent des dilïicul. tés infurmontables où rien n'efl plus aifé que àc lever ces difficultés. Après cette explication j'entre en matière fans fcrupule, bien perfua. dé que je parle à un homme trop équitable pour me prêter un deffein tout contraire au mien. Je fcns bien que fi je m'adreflbis aux étran- gers il conviendroit pour me faire entendre de commencer par un tableau de votre conai- L z zi^o SEPTIEME tution; mais ce tableau fe trouve déjà tracé fufBfamment pour eux dans l'article Genève de M. d'Alembert , & un expofé plus détaillé fe- roit fuperflu pour vous qui connoiffez vos Loix politiques mieux que moi-même, ou qui du moins en avez vu le jeu de plus près. Je me borne donc à parcourir les articles du règle- ment qui tiennent à la queftion pré fente & qui peuvent le mieux en fournir la folution. Dès le preaier je vois votre Gouvernement compofé de cinq ordres fubordonnés mais in- dépendans, c'eft-à-dire cxiftans néceffairement, dont aucun ne peut donner atteinte aux droits & attributs d'un autre , 6c dans ces cinq ordres je vois compris le Confeil général. Dès -là je vois dans chacun des cinq une portion particu- lière du Gouvernement; mais je n'y vois point la TuifTance conftitutivc qui les établit, qui les lie , & de laquelle ils dépendent tous : je n'y vois point le Souverain. Or dans tout Etat poli- tique il faut une PuifTance fuprême, un centre où tout fe rapporte, un principe d'où tout dé- rive, un Souverain qui puilTe tout. Figurez vous, Monfieur, que quelqu'un vous rendant compte de la conftitution de l'Angleter- re vous parle ainfi. „ Le Gouvernement de la Grande Bretagne cft compofé de quatre Or- „ drcs dont aucun ne peut attenter aux droits & attributions des autres ; favoir, le Roi, la LETTRE. 241 „ Chambre haute, la Chambre ba(re,& le Par- ,, lement". Ne diriez - vous pas à l'inftant; vous vous trompez : il n'y a que trois Ordres. Le Parlement qui, lorfque le Roi y fiége,,les comprend tous , n'en eft pas un quatrième : il eft le tout; il eft le pouvoir unique & fuprâ- me ■ duquel chacun tire fon extftcnce & fes droits. Revêtu de l'autorité légiflative, il peut changer même la Loi fondamentale en vertu de laquelle chacun de ces ordres exille ; il le peut, & de plus , il l'a fait. Cette réponfe eft jufte, l'application en efi: claire; & cependant il y a encore cette diffé- rence que le Parlement d'Angleterre n'eft fou- verain qu'en vertu de la Loi & feulement par attribution & députation. Au lieu que le Con- feil général de Genève n'eft établi ni député de perfonne; il eft fouverain de fon propre chef : il eft la Loi vivante & fondamentale qui donne vie & force à tout le refte, & qui ne connoit d''autres droits que les fiens. Le Confeil général n'eft pas un ordre dans l'Etat, il ell l'Etat même. L'Article fécond porte que les Syndics ne pourront être pris que dans le Confeil des Vingt cinq. Or les Syndics font des Magiftrats annuels que le peuple élit & choifit, non feule- ment pour être fes juges, mais pour être fes Protecteurs au befoin contre les membres per- L 3 544 SEPTIEME pétueîs des Confeils, qu'il ne choifït pas (g). L'efFec de cette reftriftion dépend de la dif- férence qu'il y a entre l'autorité des membres du ConfcH & celle des Synd es. Car fi la dif férence n'eft très grande, & qu'un Syndic n'cf- time plus fon autorité annuelle comme Syndic que fon autorité perpétuelle comme Confeiner, cette éleftion lui fera prefque indifFérente ; il fera peu pour l'obtenir & ne fera rien pour la juftifier. Quand tous les membres du ConfeLI animés du môme efprit fuivront les mômes maximes , le Peuple, fur une conduite comma- ne à tous ne pouvant donner d'exclufion à per- fonne, ni choifir que des Syndics déjà Confeil- 1ers , loin de s'afTurer par cette éleftion des Pa- trons centre les attentats du Confcil , ne fera (g) En attribuant la nomination des membres du petit Confcil au Deux -Cent rien n'étoit plus aifé que d'ordonner cette attribution félon la Loi fon- damentale. II fuftifûit pour cela d'ajouter qu'on ne pourroit entrer au Confeil qu'après avoir été Audi- teur. De cette manière la gradation des charges étoit mieux obfervée , l^ les trois Confeils concou- roient au choix de celui qui fait tout mouvoir ; ce qui étoit non feulement important mais indifpcnfa- ble, pour maintenir l'unité de la confutution. Les Genevois pourront ne pas fentir l'avantage de cette cîaufe , vu que le choix des Auditeurs eft aujour- d'hui de peu d'clFet; mais on l'eut confidé'-é bien différemment quand cette charge fut devenue Li feule porte du Confcil. LETTRE. 245 que donner au Confeil de nouvelles forces pour opprimer la liberté. Quoique ce même choix, eut lieu pour l'or- dinaire dans l'origine de Finftitution, tant qu'il fut libre il n'eut pas la même conféquence. Quand le Peuple nommoit les Confeillers lui- môme , ou quand il les nommoit indireftement par les Syndics qu'il avoit -nommés , il lui étoit indifférent & môme avantageux de choifir fes Syndics parmi des Confeillers déjà de fon choix (h) , & il étoit fage alors de préférer des chefs déjà verfés dans les affaires: mais une confidé- ration plus importante eut dû l'emporter au- jourd'hui fur celle-là. Tant il eft vrai qu'un (/j) Le petit Confeil dans fon origine n'étoit qu'un choix fait entre le Peuple , par les Syndics de quelques Notables ou Prud- hommes pour leur fervir d'Affeffeurs. Chaque Syndic en choififfoit quatre ou cinq dont les fonctions liniflbicnt avec les fiennes: quelquefois mémo i( les changcoit du- rant le cours de fon Syndicat. He?m dit ['£;pagne fuC le premier Confciller à vie en 1487 , & il fut établi par le Confeil général. Il n'étoit pas même nécelTairc d'être Citoyen pour remplir ce pollie. La Loi n'en fut faite qu'à l'occafion d'un certain Mi- chel Guillet de Thonon, qui ayant été mis du Con- feil étroit, s'en fit chaffer pour avoir ufé de mille finerfes ultramontaines qu il apportoit de Rome où il avoit été nourri. Les JMagiffrats de la Ville, alors vrais Genevois & Pères du Peuple, avoient toutes ces fubtiricés en horreur. L 4 24+ SEPTIEME même ufage a des effets difFérens par les chan- gemens des ufagcs qui s'y rapportent , & qu'en cas pareil c'eft innover que n'innover pas ! L'Article III. du Règlement efl: le plus confidé- rable. Il tiaite dii Confeil général légitimement aflemblé: il en traite pour fixer les droits & attributions qui lui font propres, & il lui en rend plufieurs que les Confeils inférieurs a- voient ufuipés. Ces droits en totalité font grands & benux, fans doute; mais première- ment ils font fpéciiiés, & par cela feul limités; ce qu'on pofe exclud ce qu':.n ne pofe pas,, & même Le mot limités eft dans l'Article. Or il ell de rclTcnce de la Puiffance Souveraine de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle n'efl: rien. Comme elle contient éminemment toutes les puiiïances actives de l'Etat & qu'il n'exifte que par elle, elle n'y peut reconnoî. tre d'autres droits que les fiens & ceux qu'elle communique. Autrement les poflefleurs de ces droits ne feroicnt point partie du corps politi- que,- ils lui feroient étrangers par ces droits qui ne feroient pas en lui, & la perfonne mo- rale manquant d'unité s'évcnouïroit. Cette limitation même eft politivc en ce qui concerne les ImpAcs. Le Confeil Souverain lui-même n'a pas le droit d'abolir ceux qui étoit établis avant 1714. Le voila donc à cet égard fournis à une puiffance fupérieure. Quelle efl: cette Puiffance? Le LETTRE. 245 Le pouvoir Légidatif confiée en deux cho- fes infépavables : faire les Loix & les mainte- nir; c'eft-à-dire , avoir infpeftion fur Je pou- voir exécutif. Il n'y a point d'Etat au monde où le Souverain n'ait cette infpection. Sans cela toute liaifon toute fubordination man- quant entre ces deux pouvoirs , le dernier ne dépendroit point de l'autre; l'exécution n'au- roit aucun rapport nécelTaire aux Loix; la Loi ne feroit qu'un mot, & ce mot ne fignifieroit rien. Le Confeil général eut de tout tems ce droit de proteflion fur fon propre ouvrage, il l'a toujours exercé; Cependant il n'en eft point parlé dans cet article, & s'il n'y étoit fuppléé dai-.s un autre, par ce feul filence votre Etat fe- roit rcnverfé. Ce point ed important & j'y re- viendrai ci -après. Si vos droits font bornés d'un côté dans cet Article, ils y font étendus de l'autre par les paragraphes 3 & 4 •* mais cela fait- il compen- fation? Par les principes établis dans le Cou- tratl Social , on voit que malgré l'opinion com- mune, les alliances d'Etat à Etat, les déclara- tions de Guerre & les traités de paix ne font pas des actes de fouveraineté mais de Gouver- nement, & ce fentiment ell: conforme à l'ufage des Nations qui ont le mieux connu les vrais principes du Droit politique. L'exercice exté- rieur de la ruiflance ne convient point au Peu- L 5 34^ SEPTIEME pie; les grandes maximes d'Etat ne font pas à. fa portée; il doit s'en rapporter là-deflus à fes chefs qui, toujours plus éclairés que lui fur ce point , n'ont guère intérêt à faire r.u dehors des traités défavantageux à la pacrie; l'ordre veut qu'il leur laiffe tout l'éclat extérieur & qu'il s'attache uniquement au fo'ide. Ce qui importe elTenciellement à chaque Citoyen , c'ell î'obfervation des Loix au dedans, la propriété des biens, la fureté des particuliers. Tant que tout ira bien fur ces trois points, laiiïez les Confeils négocier & traiter avec l'étranger; ce n'eft pas delà que viendront vos dangers les plus à craindre. C'eft autour des individus qu'il faut raffembler les droits du Peuple, à quand on peut l'attaquer féparément on le fub- jugue toujours. Je pourrois alléguer la fagefTe des Romains qui , lailTant au Stnat un grnni pouvoir au dehors le forçoicnt dans la Ville à refpeéter le dernier Citoyen; mais n'allons- pas fi loin chercher des modèles. Les Bour- geois de Ncufchâtel fe font conduits bien plu* fagement fous leurs Princes que vous fous vos Hlagiftrats (i). Us ne font ni la paix ni la guerre, ils ne ratifient point les traités; mais ils jouïflTent en fureté de leurs franchifes; & (0 Ceci foit dit en mettant à part les abus, Wi^aiTuréincnt je fuis bien éloigné d'approuver. LETTRE. 24? comme la Loi n'a point prtTuraé que dans une petite Ville un petit nombre d'honnêtes Bour- geois feroient des fcélérats, on ne reclame point dans leurs murs, on n'y connoit pas même l'o- dieux droit d'emprifonner fans formalités. Chez vous on s'efl toujours laifTé féduire à l'apparen- ce, & l'on a négligé l'effencieL On s'efl: trop' occupé du Confeil général, & pas affez de fes membres: il falloit moins fonger à l'autorité, & plus à la liberté. Revenons aux Confeils- généraux. Outre les Limitations de l'Article III, les Articles V & VI en offrent de bien plus étran- ges. Un corps fouverain qui ne peut ni fc former ni former aucime opération de lui-mê- me, & fournis abfolument, quanta fon aflivi- té & quant aux matières qu'il traite, à des tri- bunaux fubalternes. Comme ces Tribunaux: n'approuveront certainement pas des propolî- tions qui leur feroient en particulier préjudicia- bles, fî l'intérêt de l'Etat fe trouve en conflit, avec le leur le dernier a toujours la préférence,-. parce qu'il n'efl: pernîis au Légiflateur de con- noître que de ce qu'ils ont approuvé. A force de tout foumettre à la règle on dé- truit la première des règles, -qui efl la juftice' & le bien public. Quand les hommes fentiront- ils qu'il n'y a point de défordre auffi funede qae le pouvoir arbitraire, avec lequel ils pen. JL 6 -248 SEPTIEME fent y remédier? Ce pouvoir ell lui-même le pire de tous les défordres : employer un tel moyen pour les prévenir , c'eft tuer les gens afin qu'ils n'aient pas la fièvre. Une grande Troupe formée en tumulte peut faire beaucoup de mal. Dans une afiTemblce nombreufe, quoique régulière, fi chacun peut dire & propofer ce qu'il veut , on perd bien du tems à écouter des folies & l'on peut être en danger d'en faire. Voila des vérités incon- teftables ; mais eft-ce prévenir l'abus d'une ma- nière raifonnable, que de faire dépendie cette afiemblée uniquement de ceux qui voudroient l'anéantir, & que nul n'y puiiTe rien propofer que ceux qui ont le plus grand intérût de lui nuire? Car, Monfieur, n 'eft-ce pas exactement là l'état des chofes , ôc y a-t-Iî un feul Genevois qui puiiïe douter que fi l'exiftence du Confeil général dépendoit tout -à- fait du pttit Confeil, ^e Confeil général ne fut pour jamais fuppri- mé? Voila pourtant le Corps qui feul convoque ces affemblées & qui feul y propofe ce qu'il lui plait: car pour le Deux -Cent il ne fait que ré- péter les ordres du petit Confeil, & quand une fois celui ci fera délivré du Confeil général le Deux-CeBt ne l'enibarrairera gucres; il ne fera que fuivrc avec lui la route qu'il a frayée avec vous. LETTRE. 245 Or qu'ai -je à craindre d'un fupéricur inco- mode dont je n'ai jamais befoin, qui ne peut fe montrer que quand je le lui permets, ni ré- pondre que quand je l'interroge? Quand je l'af réduit à ce point ne puis -je pas m'en regarder comme délivré ? Si l'on dit que la Loi de l'Etat a prévenu l'abolition des Confeils généraux en les rendant ncceffaires à l'éleftion des Magiltrats & à la fandion des nouveaux Edits^ je réponds, quant au premier point, que toute la force du Goiî- vernement étant paiTce des mains des MagiiLats élus par le Peuple dans celles du petit Confcil qu'il n'élit point & d'où fe tirent les principaux de ces Magiftrats , l'cleclion & l'alTemblée où elle fe fait ne font plus qu'une vaine formalité fans confiilance, & que des Confeils généraux tenus pour cet unique objet peuvent être regar- dés comme nuls. Je réponds encore que par le tour que prennent les chofes il feroit mêoie aifé d'éluder cette Loi fans que le cours des af- faires en fut arrêté ; car fuppofons que , foit par la rejection de tous les fujets pré fentes , foit fous d'autres prétextes, on ne procède point à rélcclion des Syndics, le Confeil, dans lequel leur jurifdiclion fe fond infenfiblement, ne Te- xerccra-t-il pas à leur défaut, comme il l'exerce dès à préfcnt indépendamment d'eux? N'ofe-t- on pas déjà vous dire que le petit Confeil, ma- L 7 S5« S E F T I E Aï ir me fans les Syndics, efl; le Goav^ernement ? Donc fans les Syndics l'Etat n'en fera pas moins gouverné. Et quant aux nouveaux Edits , je réponds qu'ils ne feront jamais aîTez néceTaires pour qu'à l'aide des anciens & de fes ufLirpa. lions, ce même Confeil ne trouve aifément le moyen d'y fupplécr. Qui fe met au deltas des anciennes Loix peut bien fe paOer des. nou- velles. • Toutes les mefures font prifes pour que vos AîTemblées générales ne foient jamais néceffii- res. Non feulement le Confeil périodique iiv ftitué ou plutôt rétabli (k) l'an 1707. n'a jamais été tenu qu'une fois & feulement pour l'abo- lir (/) , mais par le paragraphe 5 du troifieme (k) Ces CoTifeils périodiques font aufll anciens que la Légillation , comme on le voit par le derm'er Article de l'Ordonnance eccléfiaftique. Dans celle de 1576 impriméj; en 1735 ces Confcils font fixés de cinq en cinq ans; mais dans l'Ordonnance de 1561 mipriînéc en 1562 ils étoient fixés de trois en trois ans. 11 n'eft pas raifonnable de dire que ces Confeils n'avoient pour objet que la lecture de cette Ordonnance, puifque l'impreffion qui en fut faite en môme tems donnoit à chacun la facilité de la li- re à toute heure à fon aife , fans qu'on eut befoin pour cela feul de l'appare-'l d'un Confeil général. Malheureufementon a pris grand foin d'effacer bien des ti-aditions anciennes qui fL'roient maintenant d un gnnd ufage pour l'éclrurci Tement des Edits. il) J'examinerai ciaprès cet Edit d'abolition. LETTRE. 2-51 Article du règlement il a été pourvu fans vous & pour toujours aux frais de l'admîniftration. 11 n'y a que le Ceul cas chimérique d'une guerre- indifpenfable où le Confeil général doive abfo- lument être convoqué. Le petit Confeil pourroit donc fupprimer ab- foUunent Les Confeils généraux fans autre in- convénient que de s'attirer quelques répréfen- t?.tions qu'il ell: en pcfTeffion de rebuter , ou d'exciter quelques vains murmures qu'il peut méprifer fans rifqiie; car par les articles VII. XXIII. XXiV. XXV. XLIII. toute efpece de réfiflance efi: défendue en quelque cas que ce puilie étre^ & les reffources qui font hors de la conftitution n'en font pas partie & n'en cor- ïigent pas les défauts. Il ne le fait pas, toutefois, parce qu'au fond cela lui eft très indifférent, & qu'un fimulacre de liberté fait endurer plus patiemment la fervi- tude.. Il vous amufe à peu de frais, foit par des éleftions fans conféquence quant au pou- voir qu'elles confèrent & quant au choix des fujets élus, foit par des Loix qui paroiffent im- portantes, mais qu'il a foin de, rendre vaincs, en ne les obfervant qu'autant qu'il lui plait. D'ailleurs on ne peut rien propofer dans ces- affemblées, on n'y peut rien difcuter, on n'y peut délibérer fur rien. Le petit Confeil y préfide, & par lui -môme, & par les Syndics 252 S E P T I E M n qui n'y portent que refprit du corps. Là-méi7:e il eft Magirtrat encore & maître de fon Souve- rain. N'eft-il pas contre toute raifon que le corps exécutif règle la police du corps Ligiila* tif , qu'il lui prefcrive les matières dont il doit connoître, qu'il lui interdife le droit d'opiner, & qu'il exerce fa puilTance abfolue jufques dans les a6les faits pour la contenir? Qu'un corps fi nombreux (7») ait befoin de (m) Les Confeiîs généraux étoient autrefois très fxéquens à Genève , & tout ce qui le failbit de quel- que importance y étoic porté. En 1707 M.' le Syn- dic Chouet difoit dans une liarangue devenue célè- bre que de cette fréquence venoit jadis la foibIcfTê & le malheur de l'Et-U ," nous verrons bientôt ce qu'il en faut croire. II infillc aulTi fur l'extrême aug- mentation du nombre des membres , qui rendroit aujourd'hui cette fréquence impoflîble , affirmant qu'autrefois cette alTemblée ne pailoit pas deux à trois cents , & qu'elle cil; à préfent de treize à qua- torze cents. Il y a des deux côtés beaucoup d'e- xagérrition. Les plus anciens ConfeiLs généraux étoient aa moins ae cinq à ûx cents membres ; on feroit peut- être bien cmbarrallé <.Vcn citer un feul qui n'ait été que de deux ou trois cents. En 1420 on y en compta 720 ftipulans pour tous les autres, & peu de tcms après on reçut encore plus de deux cents Bouigt-ois. Quoique la Ville de Genève foit devenue plus commerçante & plus riche , elle n'a pu devenir beaucoup p'us peuplée , les fortifications n'ayant pas permis d'aggrandir l'enceinte de fgs mms '& ayant LETTRE, 233 police & d'ordre, je Taccorde : Mais que cette police & cet ordre ne renverfcnt pas le bat de fait rafer Tes fauxbourgs. D'ailleurs , prefque fans territoire & à la merci de fes voifins pour fa ilibnl- tance , elle n'auroit pu s'riggrandir flms s'affoiblir. En 1404 on y compta treize cents feux faifant au moins treize mille âmes. Il n'y en a gueres plus de vingt mille aujourd'hui ; rapport bien éloigne de celui de 3314. Or de ce nombre il faut dédmre encore celui des natifs , habitans , étrangers , oui n'entrent pas au Confeil général ; nombre tort aug- menté relativement à celui des Bourgeois depuis le refuge des François & le progrès de l'indultne. Quelques Confeils généraux font allés de nos jours à quatorze & môme à quinze cents; mais communé- ment ils n'approchent pas de ce nombre; fi quel- ques-uns même vont à treize, ce n'eil: que dans des Gccafions critiques où tous les bons Citoyens croi- roient manquer à leur ferment de s'abfenter , c^ ou les Magifcrats, de leur côté, font venir du dehors leurs cliens pour favorifer leurs manœuvres ; or ces manœuvres , inconnues au quinzième fiécle n'exi- geoicnt point alors de pareils expédiens. Généra- lement le nombre ordinaire roule entre huit a ncut cents ; quelquefois il refl;e au defTous de celui de l'an 1420, furtout lorrque raffemblée fe tient en été & qu'il s'agit de chofes peu importantes. J ai moi-même affilié en 1754 à un Conieil général qui n'étoit certainement pas de fept cents membres. Il réfulte de ces diverfcs conl'dérations que, tout balancé, le Confeil général eft à -peu -près aujour- d'hui, qiumt au nombre, ce qu'il étoitil y a deux ou trois fiécles, ou du moins que la différence eft peu confidérable. Cependant tout le mor.de y par- ioit alors ; la police & la décence qu'on y voit ré- ft54 S E P T I E M E fbn inftitution. Eft-ce donc une choie plus difEcile d'établir la règle fans fervitude encre quelques centaines d'hogimes naturellement gra- ves & froids , qu'elle ne l'écoit à At'nènes,. Sont on nous pade, dans l'aiTemblée de plu- fieurs milliers de Citoyens emportés bouillans- & prefque efFrénés ; qu'elle ne l'étoit dans la , Capitale du monde , où le Peuple en corps cxerçoit en partie la Puinancc executive , «S: qu'elle ne Tell aujourd'hui môme dans le grand Confeil de Venife , aulîî nombreux que votre Confeil général ? On i'e plaint de l'impolice qui règne dans le Parlement d'Angleterre ; & toutefois dans ce corps corapofé de plus de fept cents membres , où fe traitent de fî grandes af- faires, où tant d'intérêts fe croifent , où tant de cabales fe forment , ou tant de têtes s'é- chauffent, où chaque membre a le droit de par- ler, tout fe fait, tout s'expédie, cette grande Monarchie va fon train; & chez vous où les- intérêts font fi fimples lî peu compliqués , où l'on n'a , pour ainfi à régler que les affaire» i'une famille , on vous fait peur des orage* comme fi tout alloit renverfer ! Monfieur , la> gner aujourd'hui n'étoit pas établie. On crioit quel- quefois ; mais le peuple étoit libre , le Magidrat refpeétc , & le Confeil s'affembloit fréquemment. Donc M. le Syndic Chouct accafoit faux, &. raifon- aoit mal, ■ LETTRE. t55 police de votre Confeil général eft h chofe dn monde la plus facile; qu'on veuille fincérement: l'établir pour le bien public, alors tout 3^ fera, libre & tout s'y paUera plus tranquillement qu'aujourd'hui. Suppofons que dans le Règlement on eut pris la méthode iDppofée à celle qu'on a fuivie ;. qu'au lieu de fixer les Droits du Confeil général on eut fixé ceux des autres Confeils , ce qui par là -même eut montré les Tiens; conv^enez. qu'on eut trouvé dans le feul petit Confeil un affemblage de pouvoirs bien étrange pour un Etat libre & démocratique , dans dc;s chefs que le Peuple ne choifit point & qui rcftent en place- toute leur vie. D'abord l'union de deux chofes par-tout ail- leurs incompatibles ; favoir , l'adminiftration' des affaires de l'Ktat & l'exercice fuprôme de;- la juflice fur les biens la vie & l'honneur des Citoyens. Un Ordre, le dernier de tous par fon rang. & le premier par fa puidimce. Un Confeil infériear fans lequel tout eft mort dans la République; qui propafe feul,. qui décide le premier,' & dont la feule voiXs^ môme dans fon propre fait, permet à fes fupé- rieurs d'en avoir une. Un Corps qui reconnoit l'autorité d'un autre ^ & qui feul a la nomination des membres de ce eorps auquel il eft fubordonné^ 25iner c'ell dire fon avis & le motiver; Foter c'ell donner fon fuffrage, quand il ne refte plus qu'cà recueillir les voix. On met d'abord la ma- tière en délibération. Au premier tour on opine; on vote au dernier. Les Tribunaux ont par tout à- peuprès les mêmes formes , mais comme dans les Monarchies le public n'a pas befoin d'en apprendre les termes, ils relient confacrés au Barreau. Ceft par une autre inexactitude de la Langue en ces ma- tières que M. de Montjfquieu , qui la favoit fî bien , n'a pis lailTé de dire t jujours la Pui'jance exé. ciitrice, blefruu ainfi l'ani'ogie , & faifant adjectif le mot exécuteur q ù eft fabllantif. C'eft la mè.iic taute que s'il eut dit; le Fouvcir lé^ijlaienr. L E T T R E. 257 L'appel du petit Confeil au Deux Cent cft un v,éritable jeu d'enfant. C'eft une farce en poli- tique, s'il en fut jamais. Auflî n'appelle-t-on pas proprement cet appel un appel ; c'eft une grâce qu'on implore en juftice, un recours en caffation d'arrêt ; on ne comprend pas ce que c'eft. Croit -on que fi le petit Confeil n'eut bien fenti que ce dernier recours étoit fans conféquence , il s'en fut volontairement dé- pouillé comme il fit"? Ce défintéreffement n'eft pas dans fes maximes. Si les jugemens du petit Confeil ne font pas toujours confirmés en Deux-Cent, c'eft dans les affaires particulières & contradictoires où il n'importe guère au Magiftrat laquelle des deux Parties perde ou gagne fon procès. Mais dans les affaires qu'on pourfuit d'oiîîce, dans toute affaire où le Confeil lui-même prend intérêt, le Deux- Cent répare- 1- il jamais fes injuftices, protege-t-il jamais l'opprimé , ofe t-il ne pas confirmer tout ce qu'a fait le Confeil, ufa-t il jamais une feule fois avec honneur de fon droit de faire grâce ? Je rappelle à regret des tems dont la mémoire eft terrible & néceflaire. Un Citoyen que le Confeil immole à fa vengeance a recours au Deux -Cent; l'infortuné s'avilit jufqu'à demander grâce ; fon innocence n'eft ignorée de perfonne ; toutes les règles ont été violées dans fon procès : la grâce eft refufée. 258 SEPTIEME & l'innocent périt. Fatio fentit fi bien l'inuti- lité du recours au Deui'-Cent qu'il ne daigni pas s'en fervir. Je vois clairement ce qu'efl: le Deux -Cent k Zurich, à Berne, à Fribour^ & dans les autres Etats ariftocratiques ; mais je ne faurois voir ce qu'il eii dans votre Conftitution ni quelle place il y tient. Eft-ce un Tribunal fupérieur? En ce cas, il efl: abfurdc que le Tribunal infé- rieur y fiége. Ell-ce un corps qui répréfente le Souverain ? En ce cas c'cH au Répréfente de nommer Ton Répréfentant. E'établiircment da Deux- Cent ne peut avoir d'autre fin que de modérer le pouvoir énorme du petit Confeil; & au contraire, il ne fait que donner plus de poids à ce même pouvoir. Or tout Corps qui agit conftamment contre l'efprit de fon Inftitu- tion efl: mal inflitué. Que fert d'appuyer ici fur des chofes notoi- res qui ne font ignorées d'aucun Genevois? Le Deux-Cent n'efl rien par lui-môme; il n'eft que 'le petit Confeil qui reparoit fous une autre forme. Une feule fois il voulut tâcher de fe- couer le joug de fes maîtres & fe donner une exiftence indépendante, & par cet unique effort l'Etat faillit être renverfé. Ce n'efl: qu'au fcul Confeil général que le Deux -Cent doit encore une apparence d'autorité. Cela fe vit bien clai- rement dans l'époque dont je parle, & cel* fe LETTRE. 259 verra bien mieux dans la fuite, fi le petit Con- fcil parvient- à fon but : ainli quand de concert avec ce dernier le Deux-Cent travaille à dépri- mer le Confeil général, il travaille à fa propre ruine, & s'il croit fuivre les brifées du Deux- Cent de Berne, il prend bien groffiérement le change; mais on a prefque toujours vu dans ce Corps peu de lumières & moins de courage, & cela n'6 peut guère être autrement par la maniè- re dont il eu. rempli (0). Vous voyez, Monfieur, combien au lieu de fpéciiier les droits du Confeil Souverain, il eue été plus utile de fpécifier les attributions des (0) Ceci s'entend en général & feulement de l'cf- prit du corps : car je fais qu'il y a dans le Deux- Cent des membres très éclairés & qui ne manquent pas de zèle : mais inceffamment fous les yeux du petit Confeil , livrés à fa merci fans appui fans ref- fource, & fentant bien qu'ils feroient abandonnés de leur Corps, ils s'abftiennent de tenter des dé- marches inutiles qui ne feroient que les compromet- tre & les perdre. La vile tourbe bourdonne & triomphe. Le fage fe tait & gémit tout bas. Au reftc le Deux-Cent n'a pas toujours été dans le dilcréJit où il efi: tombé. Jadis il jouît de la con- fidération publique & de la confiance des Citoyens: auflî lui hulfoicnt-ils ftns inquiétude exercer les droits du Confeil général, que le petit Confeil tacha dès-lors d'attirer à lui par cette voye indirefte. Nou- velle preuve de ce qui fera dit plus bas , que la Bourgeoifie de Genève eft peu remuante & ne cherche guère à s'intriguer des afiaires d'Etat. 250 S E P T I E M E corps qui lui font fubordonnés , & fans nllcr plus loin, vous voyez plus évidemment encore que, par la force de certains articles pris fépa- parément, le petit Confeil efl: l'arbitie fupre- me des Loix à par elles du fort de tous les particuliers. Quand on confidere les droits des Citoyens & Bourgeois affemblés en Confeil gé-" néral, rien n'eft plus brillant: Mais confidirez hors de -là ces mêmes Citoyens & Bourgeois comme individus; que font ils, que deviennent ils? Efclaves d'un pouvoir arbitraire, ils font livrés fans défenfe à la merci de vingt -cinq Defpotes ; les Athéniens du moins en avoicnt trente. Et que dis -je vingt- cinq V Neuf fuffi- fent pour un jugement civil , treize pour un jugement criminel (p). Sept ou huit d'accord dans ce nombre vont être pour vous autant de Décemvirs ; encore les Décemvirs furent- ils élus par le peuple ; au lieu qu'aucun de ces juges n'eft de votre choix; & l'on appelle cela, être libres! 0) Edits civils Tit. I. Art. XXXVI. HUi- LETTRE. iSt HUITIEME LETTRE. J AI tiré, Monfieur , rexaraen de votre Goa- vernemeiit préfent du Règlement de la Média- tion par lequel ce Gouvernement eft fixé; mais loin d'imputer aux Médiateurs d'avoir voulu vous réduire en fervitude, Je prouverois aifé- ment au contraire, qu'ils ont rendu votre fîtua- tion meilleure à plufieurs égards qu'elle n'étoit avant les troubles qui vous forcèrent d'accepter leurs bons offices. II3 ont trouvé une Ville en armes; tout étoit à leur arrivée dans un état de erife & de confufion qui ne leur permettoit pas de tirer de cet état la régie de leur ouvrage. Ils font remontés aux tems pacifiques , ils ont étudié la conftitution primitive de votre Gou- vernement ; dans les progrès qu'il avoit déjà fait, pour le remonter il eut fallu le refondre: la raifon l'équité ne permettoient pas qu'ils vous en donnaient un autre, & vous ne l'au- riez pas accepté. N'en pouvant donc ôter les défauts, ils ont borné leurs foins à l'afFermir tel que l'avoient laiffé vos percs; ils l'ont cor- rigé même en divers points, & des abus que je viens de remarquer , il n'y en a pas un qui 252 H U 1 T I E IM E n'exiftét dans la République longtems avant que les Médiateurs en euffent pris connoiffance. Le feul tort qu'ils femblenc vous avoir fait a été d"ôter au LégiOateur tout exercice du pouvoir exécutif & l'ufage de la force à l'apui de la juftice; mais en vous donnant une refTource auffi ffire & plus légitime , ils ont changé ce mal apparent en un vrai bienfait : En fe ren- dant garants de vos droits ils vous ont difpenfés de les défendre vous-mêmes. Eh! dans la mi- fere des chofes huraaiifes quel bien vaut la peine d'être acheté du fang de nos frères? La liberté même eft trop chère à ce prix. Les Médiateurs ont pu fe tromper , ils c- toicnt hommes; mais ils n'ont point voulu vous tromper ; ils ont voulu être juftes. Cela le voit, même cela fç prouve; & tout montre, en effet, que ce qui eft équivoque ou défeclueux dans leur ouvrage vient fouvent de néceffité, quelquefois d'erre'ur , jamais de mauvaife vo- lonté. Ils avoient à concilier des chofes pref- quc incompatibles , les droits du Peuple & les prétentions du Confcil, l'empire des Loix & la puilTance des hommes,' l'indépendance de l'E- tat & la garantie du Règlement. Tout cela ne pouvoit fe faire fans un peu de contradidion^, & c'cft de cette contradiction, que votre Magi- ftrat tire avantage, en tournant tout en fa fa- veur, & faifant fervir la moitié de vos Loix à violer l'autre. t LETTRE. 253 II eft clair d'abord que le Règlement lui-mê- me n'efl point une Loi que les Médiateurs ayent voulu impofer à la République , mais feulement un accord qu'ils ànt établi entre fes membres, & qu'ils n'ont par conféquent porte Bulle atteinte à fa fouveraineté. Cela eft clair, dis-je, par l'Article XLIV, qui lailTe au ConfeiÊ général légitimement alfembléje droit de faire aux articles du Règlement tel changement qu'il lui plait. Ainû les Médiateurs ne mettent points leur volonté au defïïis de la fienne, ils n'inter- viennent qu'en cas de divifion. C'eft le fcns de l'Article X.V. Mais de là réfultc auffi la nullité des réfer- ves & limitations données dans l'Article III aux droits & attributions du Confeii général : car fi le Confeii général décide que ces ré fer ves c^ limitations ne borneront plus fa pu i (Tan ce, el- les ne la borneront plus ; & quand tous les membres d'un Etat fouverain règlent fon pou- voir fur eux-mêmes, qui eft -ce qui a droit de s'y oppofer? Les exclufions qu'on peut inférer de l'Article III ne lignifient donc autre chofc, finon que le Confeii général fc renferme dans leurs limites jufqu'à ce qu'il trouve à propos de les pafler. C'eft ici l'une des contradiclions dont j'aî parlé, & Ton en démêle aifémcnt la caufe. Il étoit d'ailleurs bien difficile aux PlénipoteDtiai- M 2 26+ HUITIEME les pleins des maximes de Gouvernemens tout di^-éiens, d'approfondir affez les vrais princi- pes du vôtre. La Conftitution démocratique a jufqu'à préfent été mal examinée. Tous ceux qui en ont parlé , ou ne la connoilToient pas , ou y prenoient trop peu d'intérêt, ou avoiebt intérêt de la préfenter fous un faux jour. Au- cun d'eux n'a fuffifamment diftingué le Souve- r«in du Gouvernement, la Puiffance léginp.tive de l'executive. 11 n'y a point d'Etat où ces deux pouvoirs foient fi féparés, & où l'on ait tant affeaé de les confondre. Les uns s'ima- ginent qu'une Démocratie eft un Gouvernement où tout le Peuple eft Magiftrat & Juge. D'aii- tres ne voyant la liberté que dans le droit d'é- lire fes chefs , & n'étant fournis qu'à des Prin- ces , croyent que celui qui commande cft tou- jours le Souverain. La Conftitudon démocra- tique eft certainement le Clief-d'œuvre de l'art politique: mais plus l'artifice en eft admirable, moins il appartient à tous les yeux de le péné- trer. N'eft-il pas vrai, Monfieur, que la pre- mière précaution de n'admettre aucun Confeil général légitime que fous la convocation du pe- tit Confeil , & b féconde précaution de n'y foufFrir aucune propofuion qu'avec l'approba- tion du petit Confeil , fuffifoient feules pour maintenir le Confeil général dans la plus cntic- rc dépendance ? La troifieme précaution d y LETTRE. 2^S' régler la compétence des matières c'toit donc la' chofe du monde la plus fuperflue; & quel eut été l'inconvénient de lai [Ter au Confeil général la plénitude des droits fuprômes, puifqu'il n'en peut faire aucun ufage qu'autant que le petit Gonfeil le lui permet? En ne bornant pas les droits de la PuiiTance fouv-eraine on ne la ren=- doit pas dans le fait moins dépendante & l'on évitoit une contradiftion : ce qui prouve que c'eft pour n'avoir pas bien connu votre Con- ftitution qu'on a pris des précautions vaines em elles-mêmes & contradictoires dans leur objet. On dira que ces limitations avoient feule- ment pour fin de marquer les cas où les Con- feils inférieurs feroient obligés d'aflembler le' Gonfeil général. J'entens bitîn cela; mais n'é- toit -il pas plus naturel & plus fnnple de mar- quer les droits qui leur étoient attribués à euX' mêmes, & qu'ils pouvoient exercer fans le con- cours du Confeil général? Lss- bornes étoient- elles moins fixées par ce qui eft au deçù qUc par ce qui eft au delà, & lorfque les Confeils inférieurs vouloient paffcr ces bornes , n'cfi - if pas clair qu'ils avoient befoin d'être autorifés?' Par là, je l'avoue, on mettoit plus en vue tant de pouvoirs réunis dans les mêmes mains , mais on préfentoit les objets dans leur jour véritable, on tiroit de la nature de la chofe le moyen de fixer les droits refpecTiifs des M -, C66 H U I T I E M E . que : l'Article VI du Règlement eflr clair & précis; je me rends fur ce point aux raifonne- mens de l'Auteur des Lettres, je les trouve fans réplique, & quand ce droit fi juftement récla- mé par vos Magiftrats feroit contraire à vos intérêts, il faudroit foufFrir & vous taire. Des hommes droits ne doivent jamais fermer les yeux à l'évidence, ni difputer contre la vérité. L'ouvrage eft confommé, il ne s'agit plus M 7 274 HUITIEME que de le rendre inaltérable. Or l'ouvracie du Légiflateur ne s'altère & ne fe détruit jamais que d'une manière ; c'efl: quand les dépofitaires de cet ouvrage abufent de leur dépôt , & fe font obéir au nom des Loix en leur défobéif- fant eux-mêmes 00. Alors la pire chofe nait de la meilleure, & la Loi qui fert de fauvegar- de à la Tyrannie eft plus funefte que la Tyran- nie elle-même. Voila piécifément ce que pré- vient le droit de Répréfentation llipulé dans vos Edlts & refiraint mais confirmé par la Mé- diation. Ce droit vous donne infpcction , non plus fur la Légiflation comme auparavant, mais fur l'adminiftration ; & vos Magiltrats , tout puiffans au nom des Loix , feuls maîtres d'en propofer au Légiflateur de nouvelles, font foii- (d) Jamais le Peuple ne s'cft rebellé contre les Loix que les Chefs n'aient commencé par les en- freindre en quelque chofe. C'cll: fur ce principe cer- tain quà la Chine quand il y a quelque révolte dans une Province on commence toujours par punir le Gouverneur. En Europe les Rois fuivent couram- ment la maxime contraire , aufTi voyez comment profperent leurs Etats! La population diminue par tout d'un dixième tous les trente ans; elle ne dimi- nue point à la Chine. Le Dcfpotifme oriental fe foutient parce qu'il cfl: plus févere fur les Grands que fur le Peuple : il tire ainfi de lui-même fon pro- pre remède. J'entends dire qu'on commence à pren- dre à la Porte la maxime Chrétienne. Si cela cft, on vena dans peu ce qu il en réfultera. LETTRE. 27J mis à fes jngemens s'ils s'écartent de celles qui font établies. Par cet Article feul votre Gou- vernement, fujet d'ailleurs à plufieurs défauts confidérables , devient le meilleur qui jamais ait exifté : car quel meilleur Gouvernement que celui dont toutes les parties fe balancent dans un parfait équilibre, où les particuliers ne peu- vent tranfgrefTer les Loix parce qu'ils font fou- rnis à des Juges , & où ces Juges ne peuvent pas non plus les tranfgrefTer, parce qu!ils font furveiilés par le Peuple? Il cil vrai que pour trouver quelque réalité dans cet avantage, il ne faut pas le fonder fur un vain droit: mais qui dit un droit ne dit pas une chofc vaine. Dire à celui qui a tranfgref- fé la Loi qu'il a tranfgreffé la Loi, c'eft pren- dre une peine bien ridicule; c'eft lui apprendre une chofe qu'il fait aufïï bien que vous. Le droit eft, félon PufFendorf, une qualité morale par laquelle il nous eft dû quelque cho- fc. La fimple liberté de fe plaindre n'eft donc pas un droit, ou du moins c'eft un droit que la nature accorde à tous & que la Loi d'aucun pays n'ôtc à perfonne. S'avifat-on jamais de ftipuler dans des Loix que celui qui perdroit un procès auroit la liberté de fe plaindre? S'a- vifa-t-on jamais de punir quelqu'un pour l'avoir fait? Où eft le Gouvernement , quelque abfo'u qu'il puiffe Cti'C, oii tout Citoyen n'ait pss le 27<5 nui T I E M' E droit de donner des mémoires au Princ: ou à fon Minidre fur ce qu'il croit utile à l'Etat , & quelle rifée n'exciteroit pas un Edit public par lequel on accorderoit formellement aux fujcts le droit de donner de pareils mémoires? Ce n'eft pourtant pas dans un Etat defpotique, c'eft dans- une République, c'eft dans une Dé- mocratie , qu'on donne authentiquement aux Gitoyens , aux membres du Souverain , la per- miffion d'ufer auprès de leur Magiftrat de ce même droit que nul Defpote n'ôta jamais au dernier de fes efclaves. Quoi 1 Ce droit de Répréfentation confiée- roit uniquement à remettre un papier qu'on eft môme difpenfé de lire , au moyen d'une ré- ponfe fécbement négative (f)? Ce droit fi fc- lemnellenient ftipulé en compenfation de tant de facrifices, fe borneroit à la rare prérogati- ve de demander & ne rien obtenir? Ofer avan- cer une telle propofition , c'eft accufer les Médiateurs d'avoir ufé avec la Bourgeoifie de Genève de la plus indigne fupercherie , c'eft ofFenfer la probité des Plénipotentiaires , l'é- quité des Puiflances médiatrices ; c'eft blcflcr (e) Telle , par exemple , que celle que fit le Con- fdl le lo Août 1763 aux Réprcfentations remifes le 8 à M. le premier Syndic par un grand nombre de Gitoyens & Bourgeois. LETTRE. 2rr t©ute bienféancc , c'efl outrager même le bon fens. Mais enfin quel efl: ce droit? jufqu'oîi s'en- tend-il? comment peut -il être exercé? Pour- quoi rien de tout cela n'eft-il fpécifié dans l'Article VII? Voila des quellions raifonna- bîes; elles offrent des difficultés qui méritent examen. La folution d'une feule nous donnera celle de toutes les autres, & nous dévoilera le vé- ritable efprit de cette inftitution. Dans un ICtat tel que le vôtre , où la fou- veraineté eft entre les mains du Peuple , le Légiflateur exifte toujours , quoiqu'il ne fe montre pas toujours. Il n'efc rafTemblé & ne parle authentiqusment que dans le Confeil gé- néral; mais hors du Confeil général il n'eîlv pas anéanti; fes membres font épars, mais ils- ne font pas morts; ils ne peuvent parler par des Loix , mais ils peuvent toujours veiller fur l'adminiftration des Loix ; c'efl un droit , c'efl même un devoir attaché à leurs perfonnes, & qui ne peut leur être ôté dans aucun tems., De-là le droit de Répréfentation. Ainfi la Ré- préfentation d'un Citoyen d'un Bourgeois oU; de plufieurs n'efl: que la déclaration de leur avis fur une matière de leur compétence. Ceci éd.. le fens clair & néceiïaire de l'Edit de 1707, dans l'Article V qui concerne les Répréfenta*. tions. 278 H U I T I E Aï E Dans cet Article on profcrit avec raifon la voye des fignatures , parce que cette voyc cil une maniera de donner fon fufFrage, de voter par tête comme fi déjà l'on étoit en Confeil général , & que la forme du Confeil gé- néral ne doit être fuivie que lovfqu'il cfl lé- gitimement affemblé. La voye des Répréfenta- tions a le même avantage, fans avoir le même inconvénient. Ce ti'efl: pas voter en Confeil gé- néral, c'ell opiner fur les matières qui doivent y être portées; puifqu'on ne compte pas les voix ce n'cH: pas donner fon fufl'rage , c'cft feulement' dire fon avis. Cet avis n'ed, à la vérité, que celui d'un particulier ou de plu- fieurï; ; mais ces particuliers ét^nt membres du Souverain & pouvant le repréfcnter quelque- fois par leur multitude, la raifon veut qu'alors on ait égard à leur avis , non comme à une dé- cifion, mais comme à une propofition qui la demande., & qui la rend quelquefois néceflfaire. Ces Répréfcntations peuvent rouler fur deux objets principaux , & la différence de ces ob- jets décide de la diverfe maniepe dojit le Con^ feil doit faire droit fur ces mêmes Réiiréfenta- tions. De ces deux objets, l'un ei1: de faire quelque changement à la Loi, l'autre de répa- rer quelque tranfgreflîon de la Loi. Cette divi- fion efl complette & comprend toute la matière fur laquelle peuvent ronler les Répréfentations. Elle cil fondée fur TEJit même qui, dir£ingn:nC LETTRE. 279 les termes félon ces objets impofe an Procu- reur général de faire des înjîances ou des re- montrances félon, que les Citoyens lui ont fait des plaintes ou des réquifmons (/). Cette diftinaion une fois établie, le Con- feil auquel ces Répréfentations font adrelTées doit les cnvifager bien différemment félon celui de ces deux objets auquel elles fe rapportent. Dans les Etats où le Gouvernement & les Loix ont déjà leur affiete , on doit autant qu'il fe peut éviter d'y toucher & furtout dans les pe- tites Républiques , où le moindre ébranlement défanit tout. L'averOon . des nouveautés efl: donc généralement bien fondée; elle l'eil fur- tout pour vous qui. ne pouvez qu'y perdre, & le Gouvernement ne peut apporter un trop grand obftacle à leur établilTement; car quel- ques utiles que fuffent des Loix nouvelles, les (/) Requérir n'eft pas feulement demander, mais demanJer en vertu d'un droit qu'on a d'obtenir. Cette acception eft établie par toutes les formules judiciaires dans lesquelles ce terme de Palais eft employé. Oa dit requérir jnjlice ; on n'a jamais dit requérir grâce. Ainfi dans les deux cas les Citoyens avoient également droit dexiger que leurs réquiji- fions ou leurs plaintes , rejettées par les Confeils inférieurSj-futTent portées en Confcil généra!. Mais pu le mot aioùcé dans l'Article VI. de l'Edit de 1738, ce droit efl reftraint feulement au cas de la plainte, comme il fera dit dans le texte. 2^& HUITIEME avantages en font prefque toujours moins fil.ij que les dangers n'en font grand?. A cet égard quand le Citoyen quand le Bourgeois a propo* fé fon avis il a fuit fon devoir , il doit au fiirplus avoir allez de confiance en fon Magi- ftrat pour le juger capable de pefer l'avantage de ce qu'-il lui propofe & porté à l'approuver s'il le croit utile au bien public. La Loi a donc très fagement pourvu à ce que l'établiiTeuient & même la propofition de pareilles nouveautés ne pafTât pas fans l'aveu des Confeils, & voila en quoi doit confifter le droit négatif qu'ils réclament, & qui, félon moi, leur appartient iiiconteftablement. Mais le fécond objet ayant un principe tout oppofé doit être envifagé bien différemment. Il ne s'agit pas ici d'innover ; il s'agit , au contraire, d'empêcher qu'on n'innove; il s'agit non d'établir de nouvelles Loix, mais de main- tenir les anciennes. Quand les chofes tendent . au changement par leur pente, il faut fans ceffe de nouveaux foins pour les arrêter. Voila ce que les Citoyens & Bourgeois, qui ont un û grand intérêt à prévenir tout changement, fe propofent dans les plaintes dont parle l'Edit. Le LégilLiteur exiftant toujours voit l'effet ou î'abus de fes Loix : il voit fi elles font fuivies ou tranfgreffées , interprétées de bonne ou de mauvaife foi, il y veille; il y doit veiller; ce- LETTRE, 281 la efl: de fon droit , de fon devoir , même de fon ferment. C'eft ce devoir qu'il remplit dans ■les Répréfentations, c'eil ce droit , alors, qu'il exerce; & il feroit contre toute raifon, il fe- •roit même indécent , de vouloir étendre le droit négatif du Confeil à cet objet- là. Cela feroit contre toute raifon quant au Lé- gin^teur; parce qu'alors toute la folemnité des Loix feroit vaine & ridicule , & que réelle- ment l'iùat n'auroit point d'autre Loi que la volonté du petit Confeil , maître abfolu de né- gliger, méprifer, violer, tourner à fa mode les règles qui lui feroient prefcrites , & de prononcer noir où la Loi dirolt blanc , fans en répondre à perfonne. A quoi bon s'afTem- bler folemnellement dans le Temple de Saint Pierre , pour donner aux Edits une fanaion fans effet; pour dire au petit Confeil: Mef- fleurs , •voila le Corps de Loix que nous ttablif- fons dans l'Etat , âf dont nous vous rendons les déiofitaires , four vous y conformer quand vous le jugerez à fropos , ^ pour le tranfgrepr quand U vous plaira. Cela feroit contre la raifon quant aux Ré- préfentations. Parce qu'alors le droit ftipulé par un Article exprès de l'Edit de 1707 & con- firmé par un Article exprès de l'Edit de 1738 feroit un droit illufoirc & fallacieux, qui ne flgnilicroit que la liberté de fe plaindre inutile. 282 ^ H U I T I E M E ment quand on eft vexé ; liberté qui , n'ayant jamais été difputée à perfonne, eft ridicule à établir par la Loi, Enfin cela feroit indécent en ce que par une telle fuppoiition la probité des Médiateurs feroit outragée , que ce feroit prendre vos Ma- giftrats pour des fourbes & vos Bcurgeois pour des dupes d'avoir négocié traité tranfigé avec tant d'appareil pour mettre une des Parties à l'entière difcrétion de l'autre , & d'avoir com- penfé les concefllons les plus fortes par des fù- retés qui ne fignifisroient rien. Mais , difent ces Meffieurs , les termes de l'Edit font formels : // ne Jera rien^orté au Con- Jtil général qu'il n'ait été traité ^ approuvé, d'a- bord dans le Confeil des Fingt-cinq, puis dans ce- lui des Deux -Cents. Premièrement qu'eft-ce que cela prouve au- tre chofe dans la queftion préfeute, fi ce n'eft une marche réglée & conforme à l'Ordre, & l'obligation dans les Confeils inférieurs de trai- ter & approuver préalablement ce qui doit ttie porté au Confeil général V Les Confeils ne font- ils pas tenus d'approuver ce qui eft: prefcrit par la Loi? Quoi! fi les Confeils n'approu- voient pas qu'on procédât à l'élecaon des Syn- dics, n'y dcvroit-on plus procéder, & files fu- jcts qu'ils propoftnt font rejettes, ne font-ils pas contraints d'approuver qu'il en fuit propo* fé d'autres? e L E T T Pv E. ^ 283 D'ailleurs, qui ne voit que ce droit d'ap- prouver & de rejetter, pris dans fon fens abfo- lu s'applique feulement aux proporitions qui renferment des nouveautés , & non à celles qui n'ont pour objet que le maintien de ce qui eft Établi? Trouvez-vous du bon fens à fuppofer qu'il faille une approbation nouvelle pour ré- parer les tranfgreffions d'une ancienne Loi ? Dans l'approbation donnée à cette Loi lorf- qu'clle fut promulguée font contenues toutes celles qui fe rapportent à fon exécution ; Quand les Confeils approuvèrent que cette Loi fe- roit établie , ils approuvèrent qu'elle feroit ob- fervée, par conféquent qu'on en puniroit les tvanfgreffeurs; & quand les Bourgeois dans leurs plaintes fe bornent à demander réparation fans punition , l'on veut qu'une telle propofition ait de nouveau befoin d'être approuvée? Mon- flcur, fi ce n'eft pas là fe moquer des gens, dites-moi comment on peut s'en moquer? Toute la difficulté confifte donc ici dans la feule qucftion de fait. La Loi a-t-elle été tranf- greffée, ou ne l'a- 1 -elle pas été? Les Citoyens & Bourgeois difent qu'elle l'a été ; les Ma- giftrats le nient. Or voyez , je vous prie , fi l'on peut rien concevoir de moins raifonnable en pareil cas que ce droit négatif qu'ils s'at- tribuent? On leur dit , vous avez tranfgreffé la Loi. Ils répondent ; nous ne l'avons pas 284 HUITIEME tranfgrenee; & , devenus ainfi juges fuprêmcs dans leur propre caufe , les voila jDftifiés cou- tre l'évidence par leur feule affirmation. Vous me demanderez li je prétends que l'af- firmation contraire foit toujours l'évidence? Je ne dis pas cela; je dis que quand elle le feroit vos Magiftrats ne s'en tiendroient pas moins contre l'évidence à leur prétendu droit négatif. Le cas efl aéluellemcnt fous vos yeux; & pour qui doit être ici le préjugé le plus légitime? Eft il croyable , eft-il naturel que des particuliers fans pouvoir ians autorité viennent dire à leurs Magiftiats qui peuvent être demain leurs Ju- ges; vous avez fuit vue iujujîice, lorfque cela n'eft pas vrai V Que peuvent efpérer ces parti- culiers d'une démarche auflî folle , quand mê- me ils foroient fùrs de l'impunité? Peuvent -ils penfer que des Magiftrats fi hautains jufques dans leurs torts , iront convenir fottement des torts mômes qu'ils n'auroient pas? Au contraire, y a-t-il rien de plus naturel que de nier les fau- tes qu'on a faites? N'a- 1- on pas intérêt de les foutenir, & n'^ft-on pas toujours tenté de le faire lorfqu'on le peut impunément & qu'on a la force en main? Quand le foible & le fort ont enfemble quelque difpute, ce qui n'arrive gueres qu'au détriment du premier, le fcnti- ment par cela feul le plus probable eft tou- jours que c'cft le plus fort qui a toru Les LETTRE. 285 Les probabilités , je le fais , ne font pas des preuves : Mais dans des faits notoires com- parés aux Loix , lorfque nombre de Citoyens atîîrment qu'il y a injuftice, & que le Magif- rrat accufé de cette injuftice affirme qu'il n'^j en a pas, qui peut être juge, fi ce n'eH: le public inftruit, & où trouver ce public infLruit à Genève fi ce n'efb dans \q Confcil général compofé des deux partis? Il n'y a point d'Etat au monde olî le fujet Iczé par un Magiftrat injufle ne puiiTe par quelque voye porter fa plainte au Souverain, & la crainte que cette reffource infpire ed un frein qui contient beaucoup d'iniquités. En France môme, où l'attachement des Parlemens a^ix Loix eft extrême , la voye judiciaire eft ouverte contre eux en plufieurs cas par des requêtes en caflation d'Arrêt. Les Genevois font privés d'un pareil avantage; la Partie con- dannée par les Confeils ne peut plus, en quel- que cas que ce puiiTe être, avoir aucun recours au Souverain : mais ce qu'un particulier ne peut faire pour fon intérêt privé, tous peuvent le faire pour l'intérêt commun: car toute tranf- greffion des Loix étant une atteinte portée à la liberté devient une affaire publique, & quand la voix publique s'élève, la plainte doit être portée au Souverain. 11 n'y auroit fans cela ni Tarisjnent ni Sénat ni Tribunal fur la terre qui 2S6 H U I T I E M ,E ne fut armé du funefte pouvoir- qu'ofc ufurper votre Magiftrat; il n'y auroit point dans aucun Etat de fort auffi dur que le vôtre. Vous m'a- vouerez que ce feroit là une étrange liberté! Le droit de Répréfentation eft intimement lié à votre conftitution: il eft le feul moyen poffible d'unir la liberté à la fubordination , & de maintenir le Magiftrat dans la dépendance des Loix fans altérer fon autorité fur le peu- ple. Si les plaintes font clairement fondées , fî Ifis'raifons font palpables, on doit préfuma- le Confeil affez équitable pour y déférer. S'il ne l'étoit pas , ou que les griefs n'euRent pas ce degré d'évidence qui les met au delTus du dou- te, le cas changeroit, & ce feroit alors à la volonté générale de décider; car dans votre EtaC cette volonté eft le Juge fuprûme & l'unique Souverain. Or comme dès le commencement de la République cette volonté avoit toujours des moyens de fe fake entendre & que ces moyens tenoient à votre Conftitution, il s'en- fuit quel'Edit de 1707 fondé d'ailleurs fur un droit immémorial & fur l'ufage conftant de ce droit, n'avoit pas befoin de plus grande expli- cation. Les Médiateurs ayant eu pour maxime fon- damentale de s'écai-tcr des anciens Edits le moins qu'il étoit poffible, ont lailfé cet Arti- de tel qu'il étoit auparavant , & mOme y ont LETTRE. 257 ■renvoyé. Ain fi par le Règlement de la Mé- diation votre droit fur ce point eft demeuré parfaitement le même, puifque l'Article qui le pofe eft rappelle tout entier. Mais les Médiateurs n'ont pas vu que les changemens qu'ils étoient forcés de faire à d'au- tres Articles les obligeoient , pour être con- féqucns, d'éclaircir celui-ci, & d'y ajouter de nouvelles explications que leur travail rendoit néceffaires. L'effet des Répréfentations des par- ' ticuliers négligées cft de devenir enfin la voix du public & d'obvier ainfi au déni de juftice. Cette transformation étoit alors légitime & con- forme à la Loi fondamentale , qui , par tout pays arme en dernier refTort le Souverain de la force publique pour l'exécution de fes vo. lontés. Les Médiateurs n'ont pas fuppofé ce déni de juftice. L'événement prouve qu'ils l'ont du fuppofer. Pour afllirer la tranquillité publique ils ont jugé à propos de féparer du Droit la puiflTance , & de fupprimer même les affemblées & députations pacifiques de la bourgeoifie;mais puifqu'ils lui ont d'ailleurs confirmé fon droit, ils dévoient lui fournir dans la forme de l'infli". tution d'autres moyens de le faire valoir, à la place de ceux qu'ils lui ôtoient: ils ne l'ont pas fait. Leur ouvrage à cet égard efl: donc •icfté défeducux ; car le droit étant demeuré N 2 sSS HUITIEME le mém: , doit toujours avoir les mêmes ef- fets. Aufli voyez avec quel art vos Magiftrats fe prévalent de l'oubli des Médiateurs! En quel- que nombre que vous puiffiez être ils ne voyent plu-, en vous que des particuliers , & depuis qu'il vous a été interdit de vous montrer en corps ils regardent ce corps comme anéanti : il ne reft pas toutefois, puifqu'il conferve tous fcs droits , tous Tes privilèges , & qu'il fa;t toujours la principale partie de l'Etat & da Léî^iflateur. Us partent de cette fuppofuion fiuffe pour vous faire mille difficultés chiméri- ques fur l'autorité qui peut les obliger d'af- fembler le Confeil général. Il n'y a point d'au- torité qui le puifle hors celle des Loix , quand ils les obfervent : mais l'autorité de la Loi qu'ils tranfgreffent retourne au Légidateur; & n'ofantnier tout- à-fait qu'en pareil cas cette autorité ne foit dans le plus grand nombre , ils ralTemblent leurs objeftions fur les moyens de le conllater. Ces moyens feront toujours faciles (Itôt qu'ils feront permis, & ils feront fans inconvénient, puifqu'il eft aifé d'en pré- venir les abus. Il ne s'ngilTolt là ni de tumultes m de violence: il ne s'agifToit point de ces refTour- ces quelquefois nécefTaires mais toujours ter- ribles, qu'on vous a très fagement interdites ^ i LETTRE, 289 non que vous en ayez jamais abufé , puff- qu'au contraire vous n'en ufàtes jamais qu à !a dernière extrémité , feulement pour votre dé- fenfe , & toujours avec une modération qui peut-être eut dû vous conferver le droit des ar- mes , û quelque peuple eut pu l'avoir fans dan- ger. Toutefois je bénirai le Ciel , quoi qu'il arri- ve, de ce qu'on n'en verra plus l'affreux appareil au milieu de vous. Tout ejl permis dans les maux extrêmes f dit plufieurs fois l'Auteur des Let- tres. Cela fut -il vrai tout ne feroit pas expé- dient. Quand l'excès de la Tyrannie met celui qui la foufFre au deflus des Loix, encore faut- il que ce qu'il tente pour la détruire lui laiffe quelque efpoir d'y réuilir. Voudroit-on vous réduire à cette extrémité? je ne puis le croi- le , & quand vous y feriez, je penfe encore moins qu'aucune voye de fait put jamais vous en tirer. Dans votre pofition toute fauffe dé- marche efl fatale, tout ce qui vous induit à la faire eft un piège, & fufliez-vous un inilant les maîtres , en moins de quinze jours vous fe- riez écrafés pour jamais. Quoi que faffent vos Magiftrats , quoi que dife l'Auteur des Lettres, les moyens violens ne conviennent point à li caufe jufte: fans croire qu'on veuille vous for- cer à les prendre, je crois qu'on vous les ver- roit prendre avec plaifir; & je crois qu'on ne doit pas vous faire envifager comme une rsf- N 3 290 HUITIEME fource ce qui ne peut que vous ôter toutes- les autres. La juftice & les Loix font pour vous; ces appuis, je le fais, font bien foibles contre le crédit & l'intrigue ; mais ils font les feuls qui vous reftcnt : tenez -vous -y jufquà. îa fin. Eh! comment approuverois - je qu'on voulut troubler la paix civile pour quelque intérêt que ce fut , moi qui lui facrifiai le plus cher ie tous les miens? Vous le favez, Monfieur, j'étois défiré, foîlicité; je n'avois qu'à paroî- tre; mes droits étoient foutenus , peut-être mes affronts réparés. Ma prcfence eut du moins intrigué mes perfécuteurs , & j'étois dans une de ces pofitions enviées, dont quiconque aime à faire un rolle fe prévaut toujours avi- dement. J'ai préféré l'exil perpétuel de ma pa- trie; j'ai renoncé à tout, même à l'efpérance, plutôt que d'expofer la tranquillité publique; j'ai mérité d'être cru fincers , lorfque je parle en fa faveur. Mais pourquoi fupprimer des affemblées pai- fibles & purement civiles , qui ne pouvoient avoir qu'un objet légitime, puifqu'cUes reftoient toujours dans la fubordination due au Magi- ftrat? Pourquoi, laifliint à la Bourgeoifie le droit de faire des Répréfentations , ne les lui pas laifler faire avec l'ordre & l'authenticité convenables? Pourquoi lui ôter les moyens I lettre; £pr é*en délibérer entre elle, &, pour éviter des aOTemblées trop nombreufcs, au moins par Tes députes? Pcat-on rien imaginer de mieux ré- glé, de plus décent, de plus convenable que les alTemblées par compagnies & la forme de traiter qu'a faivi la Boargeoifie pendant qu'elle a été la maîtreiTc de l'Etat? N'eft-il pas d'une -police mieux entendue de voir n^onter à l'H5- tel-de-Ville une trentaine de députés aa nom de* tous leurs Concitoyens, que de voir toute une Bourgeoifie y monter en foule; chacun ayant fa déclaration à faire, & nul ne pouvant parler que pour foi ? Vous avez vu , Mon- fieur, les Répréfentans en grand nombre, for- cés de fe divifer par pelotons pour ne pas faire tumulte & cohue, venir féparément pat bandes de trente ou quarante, & mettre dans leur démarche encore plus de bienféance & de modetlie qu'il ne leur en étoit prefcrit par la Loi. Mais tel ell: l'efprit de la Bourgeoifle de Genève; toujours plutôt en deçà qu'en delà de fes droits, elle eft ferme quelquefois, elle n'eft jamais féditieufe. Toujours la Loi dans le cœur, toujours le refpeci: du Magiflrat fous les yeux, dans le tems même où la plus vive indigna- tion dcvoit animer fa colère, & où rien ne l'empêchoit de la contenter, elle ne s'y livra jamais. Elle fut jufte étant la plus forte; même elle fut pardonner. En eut -on pu dire autant N 4- iç-1 HUITIEME de Tes opprefTeurs? On fait le fort qu'ils lv>i firent éprouver autrefois; on fait celui qu'ils 1-ui prcpaioient encore. Tels font les hommes vraiment dignes de la liberté parce qu'ils n'en abufent jamais, qu'on charge pourtant de liens & d'entraves comme la plus vile populace. Tels font les Citoyens, les membres du Souverain qu'on traite en fit- jets, & plus mal que des fujets mêmes; puif- que dans les Gouvernemens les plus abfolus on permet des affemblées de communautés qui ne font préfidécs d'aucun Magiftrat. Jamais, comme qu'on s'y prenne, des régle- mcns contradidoires ne pourront ctre obfervés à la foi?. On permet on autovife le droit de R<^pré Tentation, & l'on reproche aux Répréfen- tans de manquer de confiftance en les empê- chant d'en avoir. Cela n'cll: pas jufte, 6i quand on vous met hors d'état de faire vos. démarches en corps , il ne faut pas vous objecter que vous n'êtes que des particuliers. Comment ne voit-on point que fi le poids des Répréfenta- tions dépend du nombre des Réprcfentans , quand elles font générales il eft impolTible de les faire un à un; & quel ne fer oit pas l'em- barras du Magiftrat s'il avoit à lire fuccefllvC' ment les Mémoires ou à écouter les difcours d'un millier d'hommes , comme il y cft obligé par la Loi? Voici I LETTRE. 2P3 Voici donc la facile folution de cette grande difficulté que l'Auteur des Lettres fait valoir comme infoluble (x). Que lorfque le Magiflrat n'aura eu nul égard aux plaintes des particii- îiers portées en Répréfentations , il permette raflfemblée des Compagnies bourgeoifes,- qu'il la permette féparément en des lieux en des tems difFérens ; que celles de ces Compagnies qui voudront à la pluralité des fulFrages ap- puyer les Répréfentations le fafTent par leurs Députés. Qu'alors le nombre des Députés ré préCentans fe compte; leur nombre total eft fixe; on verra bientôt fl leurs vœux font ou ne font pas ceux de l'Etat. Ceci ne lignifie pas, prenez -y bien garde, que ces affemblées partielles puilTent avoir au- cune autorité, fi ce n'eft de faire entendre leur fentiment fur la matière des Répré Tentations» Elles n'auront , comme aflemblées autorifées pour ce feul cas, nul autre droit que celui des particuliers ; leur objet n'efl: pas de changer la Loi mais de juger fi elle eftfuivie, ni de re- drefier des griefs mais de montrer le befoin d'y pourvoir: leur avis , fut -il unanime, ne fera jamais qu'une Répréfentation. On faura leulement par là fi cette Répréfentation mérite qu'on y défère, foit pour aîTembler le Confeil (0 Page 85. N 5 294 H U I T I E M E général fi les Magiflrats l'approuvent, foit pour s'en difpenfer s'ils l'aiment mieux, en faifant droit par eux-mêmes fur les juftes plaintes des Citoyens & Bourgeois. Cette voye efl: fimple, naturelle, fîire, c!Ie eft fans inconvénient. Ce n'eft pas môme une Loi nouvelle à faire, c'eft feulement un Arti- cle à révoquer pour ce feul cas. Cependant C\ elle effraye encore trop vos Magiftrats, il en îcfte une autre non moins facile, & qui n'eft pas plus nouvelle: c'eft de rétablir les Confcils généraux périodiques , & d'en borner l'objet aux plaintes mifes en Répréfentations durant l'Intervalle écoulé de l'un à l'autre, fins qu'il foit permis d'y porter aucune autre queftion. Ces aiïemblées, qui par une diflinflion très im- portante (y) n'auroient pas l'autorité du Sou- verain mais du Magiftrat fuprême, loin de pou- voir rien innover ne pourroient qu'empêcher tpute innovation de la part des Confeils , & remettre toutes chofes dans l'ordre de la Légl-' nation, dont le Corps dcpofitaire de la force publique peut maintenant s'écarter fans gêne, autant qu'il lui plaît. En forte que, pour faire tomber ces afTemblées d'elles mômes, les Ma- giftrats n'auroient qu'à fuivre exaclcment Ics- Loix: car la convocation d'un Confeil général (y) Voyez le Contrat Social. L. III. Chap, 17. LETTRE. 295 féroit inutile & ridicule lorfqu'on n'auroit rien à y porter; & il y a grande apparence que c^cll ainiî que fe perdit l'ufage des Confeils gé- néraux périodiques au feizième fiécle, comme il a été dit ci - devant. Ce fut dans la vue que je viens d'expofer qu'on les rétablit en 1707, & cette vieille: quePdon renouvellée aujourd'hui fut décidée alors par le fait môme de trois Confeils géné- raux confécutifs, au dernier defquels paffarAr-- ticle concernant le droit do Répréfentation. Ce - droit n'écoit pas contefté mais éludé; les Ma* giftiats n'ofoient difconvenir que lorfqu'ils re- fufoient de fatisfaire aux plaintes de la Bour-- geoine la qucftion ne dut être portée en Con- feil général; mais comme il appartient à eux- feuls de le convoquer, ils prétcndoient fous ce prétexte pouvoir en diiTérer la tenue à leur volonté, & comptoicnt lalTer à force de délais la confiance de la Bourgeoifie. Toutefois fon droit fut enfin fi bien reconnu qu'on fit dès le pAvril convoquer l'affemblée générale pour le 5 de Mai, afin, dit le Placard, de lever -par ce moyen les infinuations qui ont été répondues que la convocation en pourvoit être éludée ^ renvoyée encore loin. Et qu'on ne dife pas que cette convocation fut forcée par quelque acte de violence ou par quelque tumulte tendant à fédition , puifquc N 6 ^g6 HUITIEME- tout Te traicoit alors par députation , comme le Conf^^il l'avoit defiré , & que jamais les Ci- toyens & Bourgeois ne furent plus paifibles aans^ leurs aflfemblées , évitant de les faire trop nombreufes f^ de leur donner un air impo- fane Ils pouffèrent même fi loin la décence &., j'ofe dire, la dignité, que ceux d'entre cax qui portoient habituellement l'épée la po- ferent toujours pour y affifter (2). Ce ne (M <]u'après que tout fut fait, c'eft-à-dixe à la fm du troifieme Confeil général, qu'il y eut un cri d'armes caufé par la faute du Confeil, qui eut ^'imprudence d'envoyer trois Compagnies de la garni fon la bayonnete au bout du fufil , pour forcer deux ou trois cens. Citoyens encore af- fcmblés à Saint Pierre. Ces Confeils périodiques rétablis en 1707. furent révoqués cinq ans après; mais par quels moyens & dans quelles circonftances ? Un court examen de cet Edit de 1712 nous fera juger de fa validité. Premièrement le Peuple effraya par les exé- (z) Ils eiTîent la même attention en 1734 dans leurs Répréfentations du 4 Mars, appuyées de mil- îe ou douze cents Citovcns ou Bourgeois en per- fonnes , dort p:is un feul n'avoit l'épée au côté. Ces foins , qui paroitroicnt minutieux dans tout au- tre Etat, ne le font pas dans un€ Démocratie , & caraûérifent pcut-êtie mieux iJi: peuple que des. traits plus éclauns. LETTRE. 297 curions & profcriptions récentes n'avoit ni li- berté ni fureté ; il ne pouvoit plus compter fur rien après la frauduleufe amniftie qu'on employa pour le furprendre. li croyoit à cha- que inftant revoir à Tes portes les Suifles qui fervirent d'archers à ces fanglantes exécutions. 2^'Ial revenu d'un efFr^i que le début de l'Edit étoit très propre à réveiller, il eut tout accor- dé par la feule crainte ; il fentoit bien qu'on ne l'aflembloit pas pour donner la Loi mais pour la recevoir. Les motifs de cette révocation, fondés fur Les dangers des Confeils généraux périodiques, font d'une abfurdité palpable à qui connoit le moins du monde Tefprit de votre Conftitution €c celui de «rotre Bourgeoilîet On allègue les tems de perte de famine & de guerre, comme û la famine ou la guerre étoient un obflacle à la tenue d'un Confeil , & quant à la pefte, vous m'avouerez que c'eft prendre fes précau- tions de loin. On s'efFraye de l'ennemi, des Bial-intentionnés, des cabales; jamais on ne vit 4ies gens fi timides ; l'expérience du paiTé ds- voit les raflfurer : Les fréquens Confeils géné- raux ont été dans les teins l^es plus orageux 1^ falut de la République, comme il fera montré- ■ci-après, & jamais on n'y a pris que des réfo- lutions fages &; courngeu fes. On foutient ces aflcjablécs contraires à la Conftitution , doBt N 7 „p8 H U I T I E M E elles font le plus ferme appui; on les dit cotv troires aux Edits , & elles font établies par les Edits; on les accufe de nouveauté, & elles font' aallî anciennes que la LégiOuion. 11 n'y a p?s une ligne dans ce préambule qui ne foit une faufTcté ou une extravagance, & c'eft fur ce bel expofé que la révocation pafiTe, fans program- me antérieur qui ait -inftruit les membres de l'afTemblée de la proponcion qu'on leur vouloit faitts , fans leur donner le loifir d'en délibérer entre' eux, môme d'y penfer, & dans un tems où la Bourgeoifie mal inllruite de l'hiftoire de fon Gouvernement s'en laifToit alféinent impo- fer par le Magiftrat. Mais un moyen de nullité plus grave encore eft la violation de l'Edit dans fa partie à cet égard la plus importante, favoir la manière de déchiifver les billets ou de compter les voix; car dans l'Article 4 tle l'Edit de 1707 il eft dit qu'on établira quatre Secrétaires ad a&um pour recueillir les fuffrages , deux des Deux -Cents & deux du Peuple, lefquels feront choifis fur le champ par M. le premier Syndic & prête- ront ferment dans le Temple. Et toutefois dans k Confeil général de 1712, fans aucun égard à l'Edit précédent on fait recueillir les fufFirages par les deux Secrétaires d'Etat. Quelle fut donc, la raifon de ce changement, & pourquoi cette manœuvre iUcfi^^e dans un point iî capi- L E T T R E;. 2T?5 tal , comme fi l'on eut voulu tranfgreiTer à plai- fir la Loi qui venoit d'être faite? On commen- ce par violer dans un article TEdit qu'on veuf annuler dans un autre! Cette marche efl- elle régulière? fi comme porte cet Edit de révoca- tion l'avis du Confeil fut approuvé prefque tma- nimsnient (aa) , pourquoi donc la furprife & la confternation que marquoient les Citoyens tn- (aa) Par la manière dont il m'eft rapporté qu'oiî > s-y prit, cette unanimité n'étoit pas difScile à obte- nir, & il ne tint qu'à ces Meilleurs de la rendre* corn pi et te. Avant rafTemblée, le Secrétaire d'Etat Meflrezat' dit: Lai [fez les venir; je ki tiens. 11 employa, dit- on , poiu- cette fin les deux mots Approbation , & Reje5tion, qui depuis font demeurés en ufage dans ■ les billets : en forre que quelque parti qu'on prit tout revenoit au même. Car fi l'on chôififfoit yip- prohation l'on approuvoit l'avis des Confeils , qui rejettoit l'afTemblée périodique ; & {[ l'on prenoit RéjeBioJi l'on rejettoit l'aflemblée périodique. Je n'invente pas ce fait , & je ne le rapporte pas fans autorité; je prie le leceeur de le croire ; mais je dois à la vérité de dire qu'il ne me vient pas de Genève , & à la juftice d'ajouter que je ne le crois pas vrai : je fais feulement que l'équivoque de ces deux mots abufa bien des votans fur celui qu'ils dé- voient choifir pour exprimer leur intention, & j'a- voue encore que je ne puis imaginer aucun motif honijcte ni aucune excufe légitime à la tranfgreffion de la loi dans le recueillement des iïïftrages. Rien ne prouve mieux la terreur dont le Peuple étoit fai- fi qie le ûicme avec.lequcl.il laiiTa palier cette ir-! régularité, . 300 HUITIEME fovtant du Confeil , tandis qu'on voyoit un aîr de triomphe & de fatisfaflion fur les vifages des Magiftrats (t&)? Ces différentes contenaa- ces font-elles naturelles à gens qui viennent d'ê- tre unanimement du môme avis? Ainfi donc pour arracher cet Edit de révo cation l'on ufa de terreur, de furprife, vrai- femblablement de fraude , & tout au moins on viola certainement la Loi. Qu'on juge fi ces caractères font compatible; avec ceux d'une Loi facrée, comme on affecte de l'appeller? Mais fuppofons que cette révocation foit légitime & qu'on n'en ait pas enfreint les con- ditions (ce), quel autre effet peut-on lui don- ner , que de remettre les chofes fur le pied où elles étoient avant l'établifTement de la Loi révoquée , & par conféquent la Bourgeoifie dans le droit dont elle étoit en polTefTion ? Quand on caffe une tranfadion, les Parties ne (bb) Ils difbîent entre eux en fortant , & bien d'autres l'entendirent; nousvenofis défaire une gran- de journée. Le lendemain nombre de Citoyens fu- rent fe plaindre qu'on les avoit trompés , t^c qu'ife n'avoient point entendu rejctter les affemblécs gé- rérales , mais l'avis des Confcils. On fe moqua d'eux. , ; * (fc) Ce=; conditions portent qu aucun changement A VEdit naum force qu'il n'ait été approuvé dans ce Jot- ■verain ConfeiL Kellc donc à favoir fi les infradiou^ de l'Edit ne font pas des chaiîgeuiens àl'Iidit'^ LETTRE. ^trer aulîî braves foldats en campagne qu'ils s'étoient montrés di- gnes Citoyens au Confeil : c'eil ce qu'ils firenx. Vos annales attellent par tout l'utilité des Coq- (ee) Comme on les affembloit alors dans tous les cas ardus félon les Edits , & que ces cas ardus tq» venoient très fouvent dans ces tems orageux , le Confeil général étoit alors plus fiéquemment con- ^ oqué que n'eft aujourd'hui le Deux-Cent. Qu'on en juge par une feule époque. Durant les huit pre- miers mois de l'année 1540 il fe tint dix- huit Con- feils généraux , & cette année n'eut rien de plus ex- traordinaire que celles qui avoient précédé & qae celles qui fuivirent. LETTRE. 305 feils généraux ; vos Meflieurs n'y voyent que des maux effroyables. Ils font l'objection, mais rhiftoire la réfout. 4. Celle de s'expofer aux faillies du Peuple quand on avoifine à de grandes PuiOTances fe réfout de môme. Je ne fâche point en ceci de meilleure réponfe à des fophifmes que des faits conftans. Toutes les réfolutions des Confeils généraux ont été dans tous les tems auffi pleines de fageire que de courage; jamais elles ne fu- rent infolentes ni lâches ; on y a quelquefois juré de mourir pour la patrie; mais je défie qu'on m'en cite un feul , même de ceux où le Peuple a le plus influé, dans lequel on ait par étourderie indifpofé les PuifTances voifines , non plus qu'un feul où l'on ait rampé devant elles. Je ne ferois pas un pareil défi pour tous les arrêtés du petit Confeil : mais paffons. Quand il s'agit de nouvelles réfolutions à pren- dre, c'eft aux Confeils inférieurs de les propo- fcr, au Confeil général de les rejetter ou de les admettre; il ne peut rien faire de plus; on ne difpute pas de cela: Cette objeftion porte donc à .faux. 5. Celle de jctccr du doute & de l'obfcurité fur toutes les Loix n'eft pas plus folide, parce qu'il ne s'ngit pas ici d'une interprétation va- gue , générale , & fufceptible de fubtilités; mais d'une application nette ci précifc d'un fait 3ofi :H U I T I E M E à h Loi. Le Magiihat peut avoir Tes raifons pour trouver cbfcure une chofe claire, mais cela n'&ii détruit pas la clarté. Ces Meffieurs dénaturent la queftion. Montrer par In lettre d'une Loi qu'elle a été violée n'eft pas propo- fer des doutes fur cette Loi. S'il y a dans les terines de la Loi un feul fens félon lequel le fait foit iuflifié , le Confcil dans fa réponfe ne manquera pas d'établir ce fens. Alors la Ré« préfentation perd fa force, 6c Ci l'on y perHite, elle tombe infailliblement en Confeil général; -Car l'intérêt de tous efl: trop grand , trop pré- fcnt , trop fenuble, furtout dans une Ville de commerce , pour que la généralité veuille ja- ma'B ébranler l'autorité, le Gouvernement, la Légi nation , en prononçant qu'une Loi a été tranfgrefl'ée , lorfqu'il eii poiTible qu'elle ne l'ait pas été. C'efl: au Légiflatcur, c'efc au rédacteur des Loix à n'en pas lailTer les termes équivoques. Quand ils le font; c'efl: à l'équité du Alagidrat d'en fixer le fens dans la pratique; quand la Loi a plufieurs fens , il ufe de fon droit en préférant celui qu'il lui plait: mais ce droit ne va point jufqu'à changer le fens littéral des loix & à leur en donner un qu'elle n'ont pas ; autrement il n'y auroit plus de Loi. La quef- tion ainfi pofée cfl: fi nette qu'il efl: facile au bon fens de prononcer , i5c ce bon fens qui LETTRE. 307 prononce fe trouve alors dans le Confeil géné- ral. Loin que de-Ià naiilent des difcufrions in- terminables , c'cfl pcir là qu'au contraire on les prévient ; c'tfl: par là qu'élevant les Edits au- deffus des interprétations arbitraires & particu- lières que l'intérêt ou la pafîlon peut fi.'ggérer, on efl: fur qu'ils difent toujours ce qu'ils difent, & que les particuliers ne font plus en doute, fur chaque affaire, du fens qu'il plaira au Ma- giflrat de donner à la Loi. N'cft-il pas clair que les difEcultés dont il s'agit maintenant n'exifle- roient plus fi l'on eut pris d'abord ce moyen de les ré foudre? 6. Celle de foumettre les Confcils aux or- dres des Citoyens efl: ridicule. Il eft certain que des Répréfentotions ne font pas des ordres , non plus que la requête d'un homme qui de- mande juftice n'eft pas un ordre; mais le Ma- giftrat n'en eft pas moins obligé de rendre au fuppliant la juflice qu'il demande, & le Con- feil de faire droit fur les Répréfentations des Citoyens & Bourgeois. Quoique les Magiftrats foient les fupérieurs des particuliers, cette fu^ périorité ne les difpenfe pas d'accorder à leurs inférieurs ce qu'ils leur doivent , & les termes •refpeétueux qu'employent ceux-ci pour le de- mander n'ôtent rien au droit qu'ils ont de l'ob- tenir. Une Répréfentation eft, fî l'on veut, un ordre donné au Confeil, comme elle eft un 3c8 HUITIEME ordre donné au premier Syndic à qui on la pré- fente de la communiquer au Confeil ,• car c'eft ee qu'il eft toujours obligé de faire, foit qu'il approuve la Répréfentation , foit qu'il ne l'ap- prouve pas. Au relie quand le Confeil tire avantage du mot de Répréfentation qui marque infériorité; en difant une chofe que perfonne ne difpute, il oublie cependant que ce mot employé dans le Règlement n'ell pas dans l'Edit auquel il renvoyé, mais bien celui de Remontrances qui préfente un tout autre fens : à quoi l'on peut ^ ajouter qu'il y a de la différence entre les Re- montrances qu'un corps de Magiftrature fait à fon Souverain, & celles que des membres du Souverain font à un corps de Magiftraturc. Vous direz qu-ej'ai tort de répondre à une pa- reille objection; mais elle vaut bien la pluparc des autres. 7. Celle enfin d'un homme en crédit con- teftant le fens ou l'application d'une Loi qui le condanne, & féduifant le public en fa fa- veur, eft telle que je crois devoir m'abftenir de la qualifier. Eh! qui donc a connu la Bourgeoifie de Genève pour un peuple fer- vile, ardent, imitateur, Itupide , ennemi des loix , & fi prompt à s'enflammer pour les in- térêts d'autrui ? H faut que chacun ait bien vu le fien compromis dans les affaires publi- ques LETTRE. 50, qiies , avant qu'il puiOe fe refondre à s'en mêler. Souvent rinjuflice & la fraude trouvent des proteéleurs ; jamais elles n'ont le public pour elles; c'cll en ceci que la voix du Peuple eft h voix de Dieu ; mais malheureufcment cette voix facréc eft toujours foible dans les affaire» contre le cri de la puiffance, & la plainte de l'innocence opprimée s'exhale en murmures raé* prifés par la tyrannie. Tout ce qui fe fait par brigue & féduétion fe fait par préférence au profit de ceux qui gouvernent; cela ne fau- roit être autrement. La rufe, le préjugé, l'in- térêt, la crainte, l'efpoir, la vanité, les cou- leurs fpécieufes, un air d'ordre & de fubordi- nation, tout cft pour des hommes habiles con- ftitués en autorité & verfés dans l'art d'abufer le peuple. Quand il s'agit d'oppofer l'adrefTe k TadrelTe, ou le crédit au crédit, quel avantage iinmenfe n'ont pas dans une petite Ville le» premières familles toujours unies pour domi- ner, leurs amis , leurs cliens , leurs créatures, tout cela joint à tout le pouvoir des Confeils, pour écrafcr des particuliers qui oferoient leur faire tête , avec des fophifmes pour toutes ar- mes? Voyez autour de vous dans cet inltani même. L'appui des loix, l'équité, la vérité, l'évidence , l'intérêt commun , le foin de la fureté particulière , tout ce qui dcvroit cntraî- O I 310 HUITIEME ner la foule fuffit à peine pour protéger des Citoyens refpeflés qui réclament contre rmi- nuité la plus manifefte; & Ton veut que chez un Peuple éclairé l'intérêt d'un brouillon fafTe plus de partifans que n'en peut faire celui de l'Etat ? Ou je connois mal votre Bourgeoilie & vos Chefs, ou fi jamais il fe fait une feule Ré- préfcntation mal fondée, ce qui n'tft pas en^ core arrivé que je fâche; l'Auteur, s'il n'eft méprifable, eft un homme perdu. Eft-il befoin de réfuter des objections de cette efpece quand on parle à des Genevois? Y a-t-il dans votre Ville un fe.ul homme qui n'en fente la mauvaife foi, & peut-on féneu le- stent balancer l'ufage d'un droit facré. fonda- niental, confirmé, néceliaire , par des incon- véniens chimériques que ceux mômes qui les objeaent favent mieux que perfonne ne pou- voir exifter ? Tandis qu'au contraire ce droit enfreint ouvre la porte aux excès de la plus odieufe Ôlygarchie, au point qu'on la voit at- tenter déjà fans prétexte à la liberté des Cito- vens, & s'arroger hautement le pouvoir de les emprifonner fans aftriftion ni condition , fans formalité d'aucune efpece, contre la teneur des Loix les plus précifes . & malgré toutes les moteftations. , L'explication qu'on ofe donner a ces Loix eft plus infultante encore que la tyrannie quon L E T T Pv r «xerce en leur nom. De quels raiTonnemens on vous paye ? Ce n'eft pas alFez de vous traiter en efclaves fi l'on ne vdusttraite encore en en fans. Eh Dieu! Comtrent a-t-on pu mettre en doute des quefîions aulTi claires, comment a-t- on pu les embrouiller à ce point ? Voyez Monfieur, fî les pofer n'eft pas les réfoudre? Ln hn.fTant par là cette Lettre, j'efpere ne la pas alonger'de beaucoup. Un homme peut être conftitué prifonnier de trois manières. L'une à- l'inflance d'un autre homme qui fait contre lui Partie formelle- la féconde étant furpris en flrrgrant délit & faifi Tui- le champ, eu, ce qui revient au même, pour aime notoire dont le public cfi: témoin; & h troifiemc, d'ofïïce, par la fimple autorité du Magidrat, fur des avis fecrets. fur des indices ou fur d'autres raifons qu'il trouve fuffifantes * Dans le premier cas, il eft ordonné par les Loix de Genève que.l'accufateur revête les pri .fons • ainn que i'accufé; & de plus, s'il n'eft pas folvablè, qu'il donne caution des dépeeds f d,^/fugé. Ainfi l'on a de ce côté dans I intérêt de l'accufateu.r une fôreté raifonnable •que le prévenu n'cft pas. arrêté injuftement. Dans le fécond cas. la preuve eft dans le fa.t môme, & l'accufé eft en quelque forte con- >a:!)ai par fa propre détention. Mais dans le troifieme cas on n'a ni la mê- O 2 k HUITIEME IVfÙKté que d=n3 le premier, ni U même "lidele que dans le fécond, & c'eft pour ce „rca quelaLoi, fuppofantleM=g,tot équitable, pend feulement des mefures pour nu'il ne foit pas furpns. ^ Voila les principes fur lefquels le Lég-dateur redirige dans ces trois cas; en voici mainte- "'Da'nTÎ'càn; la Partie formelle, on a dès le cotnmencement un procès en règle qu il fau f„ivte dans toutes les formes jud.ca.res : c crt pourquoi l'affaire eft d'abord traitée en prem.e- LTaance. L'emprifonnement ne peut eue ce (in vous favez que ce qu'on appelle a Cenèl- ela Juftice eft le Tribunal du Lieutenant &"e fes affiftans appelles A.iU»m. Amfi ,cft à ces Magiftrals & non à d'autres , pas ^te aux Syndics, que la plainte en pareil "s doit être 'portée. & c'eft à eu. d'ordonné '--'^-T^innerd^urr^dics";:^ ',:.oTrteti"d:.Kait. ../.;-•. .«v'.i Tu ,»i aura M :>rd.,„é Iss)- Les trois pre- ^ irticles du Titre XII , fur les matières rrrm:nerLpPort=ntévidemmentàcecas... (fF) Edits civils. Tit. XU. Art. i. (^/) Ibid. Art. 2. f LETTRE. 313 Dans le cas da flagrant délit, foit pour crN me, foit pour excès que la police doit punir, il eft permis à toute perfonne d'arrêter le cou- pable ; mais il n'y a que les Magitlrats c'nargés de quelque partie du pouvoir exécutif , tel« que les Syndics, le Confeil, le Lieutenant, un Auditeur, qui puiffent l'écrouer ; un Confeiller ni plufieurs ne le pourroient pas; & le prifon- nier doit être interrogé dans les vingt- quatre heures. Les cinq Articles fuivans du même Edit fe rapportent uniquement à ce fécond cas; comme il éft clair , tant par l'ordre de la ma- tière , que par le nom de criminel donné au prévenu , puifqu'il n'y a que le feul cas du fla- grant délit ou du crime notoire, où l'on puiiTe appeller criminel un accufé avant que fon pro. ces lui foie fait. Que fî l'on s'obftine à vou- loir qn'accujé & criminel foient finonyraes , il faudra , par ce même langage , qu'i/mocent & criminel le foient aulîî. Dans le relie du Titre XII il n'efl: plus queC tion d'emprifonnement , & depuis l'Article 9 inckifivemenc tout roule fur la procédure & fur la forme du jugement dans toute efpece de procès criminel. Il n'y ell point parlé des emprifonnemens faits d'olSce. Mais il en efl: parlé dans l'Edit politique fur l'Office des quatre Syndics. Pourquoi cela? Parcj que cet Article tient immédiatement à la O 3 314 HUITIEME liberté civile, que le pouvoir exercé fur- ce point par le Magiftrat efl: un acte de Gouverne- merit plutôt que de Magillrature, & qu'un û\W' pie Tribunal de juftice ne doit pas être revêtu d'un pareil pouvoir. Auflî l'Edit l'accorde-t-il aux Syndics feuls , non au Lieutenant ni à au- cun autre Magiftrat. 1^* Or pour garantir les Syndics de la furprife dont j'ai parlé, l'Edit leur prefcrit de mander premièrement ceux qu'il appartiendra , d'exami- ner d'interroger , & enfui de faire emprifonner fi mejîier ejl Je crois que dans un pays libre la Loi ne pbuvoit pas moins faire pour mettre un frein à ce terribb pouvoir. Il faut que les Citoyens aient toutes les fùretés raifonnables qu'en faifant leur devoir ils pourront coucher dans leur lit. L'Article fuivant du même Titre rentre , comme il cil; œanifefte , dans le cas du crime notoire & du flagrant délit, de même que l'Ar- ticle premier du Titre des matières crirninelles, dans le môme Edit politique. Tout cela peut paroître une répétition : mais dans l'Edit civil la matière efl: confidérée quant à l'exercice de la juftice, & dans l'Edit politique quant à la fureté des Citoyens. D'ailleurs les Loix ayant été faites en diiFérens tems , & ces Loix étant l'ouvrage des hommes, on n'y doit pas cher- cher un ordre qui ne fe démente jamais 6i une LETTRE. 315 perfeflion fans défaut. Il fuffit qu'en méditant fur le tout & en comparant les Articles, on y découvre l'efpric du Légiflateur & les raifons du difpofitif de fon ouvrage. Ajoutez une réflexion. Ces droits fi judi- cieufement combinés; ces droits réclamés par les Répréfentans en veitu des Edits , vous en jouiflîez fous la fouveraineté des Evêques , Neufchâtel en jouit fous fes Princes , & à vous Républicains on veut les ôter ! Voyez les Ar- ticles lo, II, & plufieurs autres des franchi- fes de Genève dans l'ade d'Ademarus Fabrû Ce monument n'eft pas moins refpeftable aux Genevois que ne l'eft aux Anglois la grande Chartre encore plus ancienne , & je doute qu'on fut bien venu chez ces derniers à par- ler de leur Chartre avec autant de mépris que l'Auteur des Lettres ofe en marquer pour la vôtre. Il prétend qu'elle a été abrogée par les Con- ftitutions de la République (hh). Mais au con- traire je vois très fouvent dans vos Edits ce (fo!?) C'étoit par imc Logique toute femblable qu'en 1742. c-:i n'eut aucun égard au Traité de So- Icure de I579> foutenant qu'il étoit furanné ; quoi- qu'il fut déclaré' perpétuel dans l'Acle môme, qu'il n'ait jamais été abrogé par aucun autre , & qu'il ait été rappelle plufieturs fois, notamment dans l'acte de lu Mëùiation. O 4. ^i6 H U I T I E Aï E mot, comme d'ancienneté ^ qui renvoyé nux iifa- ges anciens, par conféqucnt aux droits fur lef- quels ils étoient fondés; & comme fi l'Evêque eut prévu que ceux qui dévoient protéger les franchifes les attaqueroicnt , je vois qu'il dé- clare dans l'Acle même qu'elles feront perpé- tuelles, fans que le non-ufage ni aucune pref- cription les puifTe abolir. Voici , vous en conviendrez , une oppolîtion bien finguliere. Le favant Syndic Chouet dit dans fon M?' moi- re à JVIylord Towfend que le Peuple de Genève entra, par la Réformation , dans les droits de l'Evêque, qui étoit Prince temporel & fpiri- tuel de cette Ville. L'Auteur des Lettres nous aflure au contraire que ce même Peuple perdit en cette occafion les franchifes que l'E- vêque lui avoit accordées. Auquel des deux croirons nous? Quoi ! vous perdez étant libres des droits dont vous jouifTicz étant fujets! Vos Magiftrats vous dépouillent de ceux que vous accordèrent vos Princes! fi telle cfi: la liberté que vous ont «cquis vos pères , vous avez dequoi regretter le fang qu'ils vcrferent pour elle. Cet nMe fmgulier qui vous rendant Souverains vous ô'.a vos franchifes, valoit bien, ce me femble, la peine d'ôtre énoncé , & , du moins pour le rendre croyable, on ne pouvoit le rendre trop folemnel. Où cft-il donc cet adc d'abrogation ? Affu. LETTRE. 317 AfTarément pour fe prévaloir d'une pièce aulîî bizarre le moins qu'on puiiTe faire efl: de cgm- mencer par la montrer. De tout ceci je crois pouvoir conduire avec certitude , qu'en aucun cas polîîble , la Loi dans Genève n'accorde aux Syndics ni à perfon- ne le droit abfolu d'emprifonner les particuliers fans aflriclion ni condition. Mais n'importe: le Confeil en réponfe aux Répréfentations éta- blit ce droit fans réplique. Il n'en coûte que de vouloir, & le voila en poileffion. Telle cil: la comodité du droit négatif. Je me propofois de montrer dans cette Let- tre que le droit èe Répréfcntation , intimement lié à la forme de votre Conflitution n'étoit pa* un droit illufoirc & vain ; mais qu'ayant été formellement éta'.^Ii par l'Edic de 1707 & con- firmé par celui de i73«, il devoit nécefTairc- ment avoir un effet réel : que cet effet n'a« voit pas été ftipulé dans Vj\àe de la Médiation parce qu'il ne l'étoit pas dans l'Edit, & qu'il ne l'avoit pas été dans l'Edit, tant parce qu'il réfultoit alors par lui-même de la nature d«) votre Conflitution, que parce que le même E- dit en établiffoit la fureté d'une autre manière ; Que ce droit & fon effet néceffaire donnaaS feul de la confiftance à tous les autres, était l'unique & véritable équivalent de ceux qu'on avoit ôtés à la Bourgeoific j que cet é^iuva- O 5 3'îg HUITIEME lent, fufEfant pour établir un foUde équilibre entre toutes les parties de l'Etat , montroit la fagefle du Règlement qui fans cela feroit l'ou- vrage le plus inique qu'il fut poffible d'imagi- ner : qu'enfin les difficultés qu'on élevoit con- tre l'exercice de ce droit étoient des difficultés frivoles, qui n'exifloient que dans la mauvaife volonté de ceux qui les propofoient, & qui ne balançoient en aucune manière les dangers du droit négatif abfblu. Voila, Monficur, ce que j'ai voulu faire ; c'ell à vous à voir fi j'ai xéuin. LETTRE. 319 NEUVIEME LETTRE. J 'Ai cru , MonGeur , qu'il valoit mieux (établir direclieinent ce que j'avois à dire, que de m'at-, tacher à de longues réfutations. Entreprendre un examen fuivi des Lettres écrites de la cam- pagne feroit s'embarquer dans une mer de fo- phifmes. Les faifir^ les expofer feroit félon moi les réfuter; mais ils nagent dans un tel flux de doctrine, ils en font fi fort inondés, qu'oD fe noyé en voulant les mettre à fec. Toutefois en achevant mon travail je ne puis- me difpenfer de jetter un coup d'œil fur celui de cet Auteur. Sans analyfcr les fubtilités po- litiques dont il vous leurre, Je me contenterai d'en examiner les principes, & de vous mon- trer dans quelques exemples le vice de fes rai- fonnemens. Vous en avez vu ci-devant l'inconféquence par rapport à moi : par rapport à votre Répu- blique ils font plus captieux quelquefois, & ne font jamais plus folides. Le feul & véritable objet de ces Lettres eft d'établir le prétendu droit négatif dans la plénitude que lui donnent les ufurpations du Confeii. C'eft à ce but que O 6 320 NEUVIEME tout fe rapporte ; foit direîtcinent , par un enchaînement néceffaire; foit indirectement par un tour d'adrdTe, en donnant le change au pu- blic fur le fond de la queftion. Les imputations qui me regardent font dans le premier cas. Le Confeil m'a jugé contre la Loi : des Réprifentations s'élèvent. Pour éta- blir le droit négatif il faut écondaire les Répré- fentans ; pour les éconduiie il faut prouver qu'ils ont tort; pour prouver qu'ils ont tort il faut foutenir que je fuis coupable, mais coupa- ble à tel point que pour punir mon crime il a fallu déroger à la Loi. Que les hommes frémivolcnt au premier mal qu'ils font, s'ils voyoient qu'ils fe mettent dans la triite néceffité d'en toujours faire, d'être mé- dians toute leur vie pour avoir pu l'être un moment, & de pourfuivre jufqu'à la mort le malheureux qu'ils ont une fois perfécuté l La queflion de la préfidence des Syndics ^ans les Tribunaux criminels fe rapporte au fécond cas. Croyez-vous qu'au fond le Confeil s'embarraîTe beaucoup que ce foicnt des Syn- dics ou des Confeillers qui préfident , depui* qu'il âfondu les droits des p: emiers dans tout le corps ? Les Syndicî , jadis choifis parmi uoiit le Peuple (a), ne l'étant plus que dans ^a; On poulloit û loin rattcntion pomi^u'iia'y L -E T T R E. 32 ï le Confeil, de chefs qu'ils étoient des autres Magillrats font demeurés leurs collègues, & vous avez pu voir clairement dans cette affaire que vos Syndics, peu jaloux d'une autorité paf- fagcre, ne font plus que des Confeillers. Mais on feint de traiter cette queflion comme im- portante, pour vous diftniire de celle qui VqH véritablement, pour vous lailTer croire encore que vos premiers Magiflirats font toujours élus par vous , & que leur puifTance efl toujours la même. Laiffons donc ici ces queftions accefToire? que, par la maniera dont l'Auteur les traite on voit qu'il ne prend guère à cœur. Bor- nons-nous à pefer les rai fons qu'il allègue en faveur du droit négatif auquel il s'attache avec plus de foin, & par lequel feul , admis ou re- jette, vous êtes efclaves ou libres. L'art qu'il employé le plus adroitement pour cela effc de réduire en propofitions générales un fyftême dont on verroit trop aifément le foiblc s'il en faifoit toujours l'appl-'cation. Pour vous écarter de l'objet particulier il flate votre amour -propre en étendant vos vues fur eut dans ce choix ni exdufion ni préférence autre que celle du mérite, que par un Edit qui a été abro- gé deux Syndics dévoient toujours être pris dans le bas de la Ville & deux dans te haut. O 7 I 322 NEUVIEME do grandes qiieltions , & tandis qu'il met ces qucf- tions hors de la portée de ceuK qu'il veut fé- duire, il les cajole & les gagne en paroifTant les traiter en hommes d'Etat. Il éblouit ainfi le peuple pour l'aveugler, & change en the- fcs de philofophie des queftions qui n'exigent que du bon fens, afin qu'on ne puiflfe l'en dé- dire, & que ne l'entendant pas, on n'ofe le dé- fa vouer. Vouloir le fuivre dans Tes fophifmes ab- ftraits fcroit tomber dans la faute que je lui reproche. D'ailleurs , fur des queftions aiiifi traitées on prend le parti qu^on veut fans avoir jamais tort: car il entre tant d'élémens dans ces propontions , on peut les envifager par tant de faces , qu'il y a toujours quelque côté fufceptible de l'afpefl qu'on veut leur donner. Quand on fait pour tout le public en géné- ral un Livre de politique on y peut philofo- pher à fon aife: l'Auteur, ne voulant qu'être lu & jugé par les hommes inftruits de toutes les Nations & verfés dans la matière qu'il trai- te , abflrait & généralife fans crainte ; il ne s'appéfantit pas fur les détails élémentaires. Si je parlois à vous feul, je pourrois ufer de cette méthode; mais le fujet de ces Lettres ir> térefle un peuple entier , compofé dans fon plus grand nombre d'hommes qui ont plus de feus & de jugement que de ledure & d'étudcj. LETTRE. S23 & qui pour n'avoir pas le jargon fcientifique n'en font que plus propres à faifîr le vrai dans toute fa fimplicité. Il faut opter en pareil cas entre l'intérêt de l'Auteur & celui des Lecteurs ,. & qui veut fe rendre plus utile doit fe réfou- dre à être moins éblouilTant. Une autre fource d'erreurs & de faufTes ap- plications, eft d'avoir laifTé les idées de ce droit négatif trop vagues trop inexafles; ce qui fert à citer avec un air de preuve les exemples qui s'y rapportent le moins, à détourner vos Con- citoyens de leur objet par la pompe de ceux qu'on leur préfente , à foulever leur orgueil contre leur raifon , & à les confoler douce- ment de n'être pas plus libres que les maîtres du monde. On fouille avec érudition dans l'ob» fcurité des llécles, on vous promené avec fafte chez les Peuples de l'antiquité. On vous étale fucceflivcment Athènes, Sparte, Rome, Car- thage ; on vous Jette aux yeux le fable de la Ly- bie pour vous empêcher de voir ce qui fe pafle autour de vous. Qu'on fixe avec précifîon , comme j'ai tâché de faire, ce droit négatif, tel que prétend l'exercer le Confeil; & je foutions qu'il n'y eut jamais un feul Gouvernement fur la terre où le Légiflateur enchaîné de toutes manières par le corps exécutif, après avoir livré les Loix fans réferve à fa merci, fut réduit à les lui voir ex- 324 NEUVIEME pliquer, éluder, tranTgrclTer à volonté, fans pouvoir jamais apporter à cet abus d'autre op- pofition , d'autre droit , d'autre Téfiftance qu'un murmure inutile & d'impuifTantes clameurs. Voyez en effet à quel point votre Anony- me eft forcé de dénaturer la queftion , pour y rapporter moins mal- à -propos fes exemples. Le droit négatif nétint p2S, dit-il pag." iio, le pouvoir de faire des Loix , mais d empêcher que tout le inonde îndijiincie.nent ne puijje mettre en mouvsme>it U puin-mce qui fait les Loix , ^ ne donnant pas la facilité d'innover, imis le pjwvoir de s'oppofer aux innovations, va dire^ement au grand but que Je prnpofe une fociété polit:q:ie , qui ejl de Je conjerver en conjervant fa conjîituîion. Voila un droit ncgntif très raifonnable, & dans le fens expofé ce droit eft en effet une partie fi efTencielle de la conflitution démocra- tique, qu'il fcroit généralement impornble qu'el- le fe maintint, fi la PuiiTance Légiilative pou- voit toujours être mife en mouvement par cha- cun de ceux qui la compofent. Vous concevez qu'il n'eft pas difficile d'apporter des exemples en confirmation d'un principe auflî certain. Mais fi cette notion n'elt point celle du droit négatif en queftion , s'il n'y a pas dans ce paflTa- ge un feul mot qui ne porte à faux par l'appli- cation que l'Auteur en veut faire, vous m'a- vouerez que les preuves de l'avantage d'un LETTRE. 325 droit négatif tout différent ne font pas fort con- cluantes en faveur de celui qu'il veut établir. Ls droit négatif n'eft pas celui de faire des Loix. Non , mais il eft celui de fe paffer de Loix. Faire de chaque acle de fa volonté une Loi particulière eft bien plus commode que de fuivre des Loix générales, quand même on en feroit foi -même l'Auteur. Mais d' empêcher fue tout le monde indiJlinEtement ne puijje mettre en mouvement lapuijjance qui fait les Loix. Il fal- loit dire au lieu de cela; mais d'empêcher que qui que ce f oit ?ie puijje protéger les Loix contre la puijfance qui les fuhjugue. Qui ne donnant pas la facilité d'innover ; Pourquoi non? Qui eft -ce qui peut empêcher d'innover celui qui a la force en main, & qui n'eft obligé de rendre compte de fa condui- te à perfonne? Mais le pouvoir d'empêcher les innovations. Difons mieux; le pouvoir d'empêcber qu'on ve s'oppoje tux innovations. C'eft ici , Monfieur , le fophifme le plus fubtil, & qui revient le plus^lfouvent dans l'é- crit que J'examine. Celui qui a la PuiOance executive n'a jamais befoin d'innover par dos actions d'éclat. H n'a jamais befoin de confia- ter cette innovation par des afles folcmnels. Il lui fulEt, dans l'exercice continu de fa puif- i^ncc de plier peu à peu chaque chofe à fa volonté, & cola ne fait jamais une fcnfatioa bien forte. 32,$ NEUVIEME Ceux au contraire qui ont l'œil aOez atten :. & l'efprit affez pénétrant pour remarquer c-. progrès & pour en prévoir la conféquence , n'ont, pour l'arrêter qu'un de ces deux partis à prendre j ou de s'oppofer d'abord à la pre- mière innovation qui n'eft jamais qu'une bagi- telle , & alors ou les traite de gens inquiets , brouillons, pointilleux, toujours prêts à dier- cher querelle ; ou bien de s'élever enfin contre un abus qui fe renforce , & alors on crie à l'innovation. Je défie que, quoi que vos Ma- ' giftrats entreprennent, vous puiffiez en vous y oppofant éviter à la fois ces deux reproches. . Mais à choix , préférez le premier. Chaque J fois que le Confeil altère quelque ufage, il a ^ fon but que pcrfonne ne voit, & qu'il le gar- , de bien de montrer. Dans le doute, arrêtez toujours toute nouveauté , petite ou grande. ^ Si les Syndics étoient dans l'ufage d'entrer au Confeil du pied droit, & qu'ils y voululTent entrer du pied gauche, je dis qu'il faudroit les ! en empêcher. Nous avons ici la preuve bien fenfible de la facilité de conciurre le pour & le contre par > h méthode que fuit notre Auteur : car app!i-| quez au droit de Répréfentation des Citoyens, ce qu'il applique au droit négatif des Con- feils , & vous trouverez que fa propofitioii générale convient encore mieux à votre rcjc-j L E T T R ~E. ^if pîi cation qu'à la fienne. Z? droit ds.Répréfem- îion, direz-vOLis, n'étant pas le droit défaire des Loix , mais d'empêcher que la pnijjance qui doit: les admiiiiftrer ne les tranjgrejje-, ^ ne donnant pas le touvoir d'innover mais de s'oppofer aux non- •séantes, va directement au grand but' que Je ^pro^ pofe une Société politique; celui de fe conferver en.' confervant fa conjlitiuion. N'ell - ce pas exafte- mène là ce que les Réprélentans avaient à di- re, & ne feiable-t-il pas- que l'Auteur ait rai-: fonné pour eux? Il ne. faut point que les mots BOUS donnent le change fur les idées. Le pré- tendu droit négatif du Cônfeil eft rétllement un droit pofitif, & le plus pufitif même que l'on puifTe imaginer , puifqu'il rend le petit Confeil feul maître direfl & abfolu de l'EtaE & de toutes les Loix, & le droit de Répr •ie; le V dernier du peuple, ptut exiger & obte- nir la réparation la plus authencujue s'il e(l le moins du monde ofFenfé; fuppofé que le Prin- ce ofât enfreindre la Loi dans la moindre cho/ fe, 'l'infrAclion fei;oit,à- J'inflant relevée; il cil fans droit à feroic fans, pouvoir pojr la four tenir. '^ ;i'c»:ji:'; -i;/! j& î:;^ : j.ifio'.i Chez vous la PuifTanœ, du peçif Confeil efl: abfoluc à tous égards; il eu. le ^Minirtre 6c le Prince, la- partie & le Juge tout- à- la -fois : il ordonne & il exécute; 'il cite, il faifit, il em- prifonijie, il juge, Jl punit lui-même: il a la force en main pour tout faire; tous ceux qu'il employé font irrécherchables; il ne rend comp- te de fa conduite ni de la leur à perfonne; il n'a rien à craindre du Légillatcur , auquel il a feul droit d'ouvrir la bouche, & devant lequel il n'ira pas s'accufer. Il n'eft jamais contraint de réparer fes injuftices, & tout ce que peut efpércr de plus heureux l'innocent qu'il oppii- me, ç'efl: d'échapper enfin fain & fauf , mais fans fatisfaftion ni dé-iomagemcnt. Jugez de cette différence par les faits les plus récens. On impïime à Londres un ouvrage violemment fatyriquc contre les Miniftres, le Gouvernement, le Roi même. Les Imprimeurs fçnt. arrêtes. La Loi n'auterife pas cet arrêta un murmure public s'élève, il faut les relâcher. i LETTRE. S3T L'afFaue ne finit pas Jà: les Ouvriers prennent à leiu- tour le Magiftrat à partie, & ils obtien- nent d'immenfes dommages & intérêts. Qu'on Mnette en parallèle avec cette afFaire celle du Sieur Bardin libraire à Genève; j'en parlerai ci- après. Autre cas ; il fe fait un vol dans' la Ville; fans indice & fur des foupçons en l'air un Citoyen efl emprifonné contre les loix; fa maifon efl fouillée, on ne lui épargne aucun des affronts faits pour les malfaiteurs. Enfin fon innocence eft reconnue, il eft relâché, il fe plaint, on le laiflTe dire, & tout efl fini. Suppofons qu'à Londres j'eufle eu le mal* heur de déplaire à la Cour , que fans jufliice & fans raifon elle eut faifi le prétexte d'un de mes Livres pour le faire brûler & me décré* ter. J'aurois préfcnté requête au Parlement comme ayant été jugé contre les Loix; je l'aurois prouvé; j'aurois obtenu la fatisfaclion la plus authentique, & le juge eut été puni, peut-être caiïé. Tranfportons maintenant M. Wilkes à Ge- nève, difant , écrivant, imprimant, publiant contre le petit Confeil le quart de ce qu'il a dit, écrit, imprimé, publié hautement à Lon- dres contre le Gouvernement la Cour le Prin- ce. Je n'affirmerai pas abfolument qu'on l'eut fait mourir , quoique je le penfe ; mais fîl- remcnt il eut été faifî dans l'inftant mê- 332 NEUVIEME me , & dans peu très grièvement piini (c). On dira que M. Wilke« étoit membre du corps légiflcitif dans fon pays ; & moi , ne l'étois-je pas aufli dans le mien? Il efl vrai que l'Auteur des Lettres veut qu'on n'ait aucun égard à la qualité de Citoyen. Les règles, dic-il, de la procédure font çj" doivent être égales pour tous les hommes : elles ne dérivent pas du droit de la Cité ; elles émanent du droit de l'humanité (d). Heurcufemcnt pour vous le fait n'efl pas vrai (e); & quant à la maxime, c'cft fous des (c) La Loi mettant M. Wilkes à couvert de ce côté, il a fallu pour- l'inquiéter prendre un autre tour, & c'eft encore la Religion qu'on a fait in tervenir dans cette affaire. (0 Page 54. (e) Le droit de recours a la grâce n appartenoit par rEdit qu'aux Citoyens & Bourgeois; mais par leurs bons offices ce droit & d'autres furent com- muniqués aux natifs & habitans, qui, ayant fait caufe commune avec eux, avoient befoin des mê- mes précautions pour leur fureté; les éu-angcrs en font demeurés exclus. L'on fent aufîî que le choix de quatre parcns ou amis pour afîifler le prévenu dans un procès criminel n'eft pas fort utile à ces derniers ; il ne l'eft qu'à ceux que le Magiftrat peut avoir- intérêt de perdre, & à qui la Loi don- ne leur ennemi naturel pour Juge. Il cft étonnant même qu'après tant d'exemples effrayans les Ci- toyens & Bourgeois n'aient pas pris plus de mefu- res pour la fureté de leurs pcrfonnes , & que tou- -LETTRE. 3^3 des mots très honnêtes cacher un rophinne bien cruel. L'intérêt du Magijftrat , qui dans vo- tre Etat le rend fouvent partie contre le Ci- toyen, jamais contre l'étranger, exige dans le premier cas que la Loi prenne des -précautions beaucoup p'us grandes pour- que l'accufé ne ' foit pas condaané injuftcment. Cette~diftinc- tion n'efl que trop bien confirmée par les faits. 11 n'y a peut-être pas, dcpiiis l'établiiTement de la République, un feulexemp'c d'un jugement injufte contre un étranger , & qui comptera dans vos annules combien il y en a d'injufbes & même d'atroces contre des Citoyens? Dj reîle, il eft très vrai que les précautions qu'il importo de prendre pour la fureté de ceux-ci peuvent fans inconvénient s'étendre à tous les prévenus , parce qu'elles n'ont pas pour but te la matière criminelle refte , fans Edits & fans Loix, pfefque abandonnée à la difcrétion du Con- feil. Un fervice pour lequel feul les Genevois & tous les hommes juflres doivent bénir à jamais les Médiateurs eft l'abolition de la queflion prépara- toire. J'ai toujours fur les ievres un rire amer quand je vois tant de beau: Livres, où les Euro- péens s'admirent &fe font compUment fur leur hu- manité, fortir des mêmes pays où l'on s'amufc à dilfjquer & brifer les membres des hommes en attendant qu'on fâche s'ils font coupables ou non. Je deunis la torture un moyen prefque irJaillihIfc employé par le fort pour charger le foible des cri- niws '.iont il le veut punir. P 53;^ T^ E U V I E M E de fauver le coupable , mais de garantir l^n- ^noeent. C'eft pour cela qu'il n'eft fait aucune exception dans l'article XXX du règlement , qu'on voit alTcz n'être utile qu'aux Genevois. Revenons à la comparaifon du droit négatif dans les deux Etats. Celui du Roi d'Angleterre confifte en deux chofes; à pouvoir feul convoquer & diffoudre le corps légiflatif , & ù pouvoir rejctter les Loix qu'on lui propofe; mais il ne confifta jamais à empêcher la puiffance légiflative de connoître des infraaions qu'il peut faire à la Loi. D'ailleurs cette force négative cft bien tem- pérée; premièrement, par la Loi triennale (/) qui l'oblige de convoquer un nouveau Parle- ment au bout d'un certain tems; de plus, par fa propre néceffité qui l'oblige à le laifler pref- que toujours affemblé {g)\ enfin, par le droit négatif de la chambre des communes, qui en a, vis-à-vis de lui -même, un non moins puiflant que le Cen. Elle eft tempérée encore par 1* pleine auto- tité que chacune des deux Chambres une fois affemblées a fur elle-même; foit pour propofer, (/) Devenue feptennale par une faute dont les Anglois ne font pas à fe repentir. Cff) 1 e Parlement n'accordant les fublidos que pour une année, force ainfi le Roi de les lui rc- demaûder tous les ans. L E T T R E. 33^. traiter, difcuter, examiner les Loix & toutes les matières du Goam-nement ; foit par la partie de la puilTance executive qu'elles exercent & conjointement & féparément; tant dans la Chain, bre des Communes, qui connoit dss griefs pu- blics & des atteintes portées aux Loix, que dans la Chambre des Pairs, Juges fuprêmes dans lei matières criminelles, & furtout dans celles qui ont rapport aux crimes d'Etat. Voila, Monfieur, quel eft le droit négatif du Roi d'Angleterre. Si vos Magiftrats n'en récla- ment qu'un pareil, je vous confeille de ne le leur pas contefter. Mais Je ne vois point quel befoin. dans votre fîtuation préfente, ils peu- v«nt jamais avoir de la puiffance légillative, ni ce qui peut les contraindre à la convoquer pour agir réellement, dans quelque cas que ce puiiTe être; puifque de nouvelles Loix ne font jamais nécelTaires à gens qui font au deiTus des Loix, qu'un Gouvernement qui fubfifle avec fes finan' ces & n'a point de guerre n'a nul befoin de nouveaux impôts , & qu'en revêtant le corps entier du pouvoir des chefs qu'on en tire, oa rend le choix de ces chefs prefque indifférent. Je ne vois pas mâme en quoi pourroit lea contenir le Légiflat^ur, qui, quand il exifte. ri exifte qu'un inftant, & ne peut Jamais déci- der que l'unique point fur lequel ils nnte> ïogent. P z 3l(T N E U V 1 E a\î E Il eil vrai que le Roi d'Angleterre peut faire la guerre & la paix; mais outre que cette puU- fancc cft plus apparente que réelle, du moins quant à la guerre, j'ni déjà. fait voir ci-devant & dans le Contraa Social que ce n'eft pas ce cela qu'il s'agit pour vous, & qaH faut renon- cer aux d-roits honorifiques quand on veut jouir de la liberté. J'avoue encore que ce Prince peut donner & ôter les places au gré de fes vues & corrompre en détail le Léginateur. Ccft precifc nrent ce qui met tout l'avantage du côté du Con- fcil ù qui de pareils moyens font peu neceffai- res '& qui vous enchaîne à moindre frais. La corruption eft un abus de la liberté ; mais ede eft une preuve que la liberté exifte, & 1 on n a , pas befoin de corrompre les gens que l'on tient 'en fon pouvoir: quant aux places, fans parler de celles dont le Confeil difpofe ou par lui-mc jnc ou par le Deux -Cent, il fait mieux pouv les plus importantes; il les remplit de fcs pro- pres membres, ce qui lui eft plus avantageux j, encore ; car on eft toujours plus fur de ce qu on v fait par fes mains que de ce qu'on fait par cel- .les d'autrui. L'hiftoire d'Angleterre eft ple.mî •de preuves de la réfiftance qu'ont faite les Oih. ciers royaux à leurs Princes, quand ils ont vou- ■lu tranfgrelTer les Loix. Voyez fi vous trouve- -rez chez voi,sbien des traits, d'une réfiftance pareille faite au Confeil par les Olhciers de 1 1.- LETTRE; 3?7 tàt, même dans les cas les plus odieux? Qui- conque à Genève efl: aux gages de la RépublN que cefTe à Tinilant même d'être Citoyen ; il n'cft plus que l'efclave & le fatellite des vingt -cinq, prêt à fouler aux pieds la Patrie &les Loix fitoC qu'ils l'ordonnent. linfin la Loi , qui ne laiire en Angleterre aucune puiiTance au Roi pour mal faire, lui en donne une très grande pour faire le bien; il ne paroit pas que ce foit de ce côté «jue le Confcil efl: jaloux d'étendre la Tienne. Les Rois d'Angleterre affurés de leurs avarï- tages font intéreffés à protéger la conftitutton préfente , parce qu'ils ont peu d'efpoir de îa changer. Vos Magiftrats , au contraire, fûrs de fe fervir des formes de la vôtre pour en chan- ger tout à fait le fond, font intérefTés à con- ferver ces formes comme l'inflrrument de leurs ufurpations. Le dernier pas dangereux qu'il leur refte à faire efc celui qu'ils fonc aujourd'hui. Ce pas fait, ils pourront fe dire encore plus into- refTés que le Roi d'Anglete/re à conferver la conftitution établie , mais par un motif bien différent. Voila toute la parité que je trouve entre l'état politique de l'Angleterre & le vô- tre. Je vous lailTe à juger dans lequel- eft la li- berté. Après cette eomparaifon ,~ l'Auteur , qui le plait à vous préfenter de grands exemples , TOUS offre celui dé l'ancienne Rome. 11 lui P 3 3^8 NEUVIEME. reproche avec dédain fes Tribuns brouillons- & féditieux : Il déplore amèrement fous cette orageufe adminiftration le trilte fort de cette malheureufe Ville, qui pourtant n'étant rien en- core à l'éreftion de cette Magiftrature, eut fous «sUe cinq, cents ans de gloire & de profpérités , & devint la capitale du monde; Elle finit enfin parce qu'il faut que tout finifle; elle finit par les ufurpations de fes Grands, de fes Confuls, de fes Généraux qui l'envahirent : elle périt par l'excès de fa puifTance; mais elle ne l'avoit ne- quife que par la bonté de fon Gouvernement. On peut dire en ce fens que fes Tribuns la dé- iruifirent (à). Qf) Les Tribuns ne fortoient point de la Ville;. ils n'avoient aucune autorité hors de {es murs;auflî les Confuls poiu: fe fouflraire à leur infpedion te- 3îoient-iIs quelquefois les Comices dans la campa- gne. Or les fers des Romains ne furent point for- gés dans Rome , mais dans fes armées , & ce fut par leurs conquêtes qu'ils perdirent leur liberté. Cette perte ne vint donc pas des Tribuns. 11 eft vrai que Céfar fc fervit d'eux comme Sylla s'étoit fervi du Sénat; chacun prenoic^ les moyens qu'il jugeoit les plus prorapts ou les plus fûrs pour parvenir: mais il falloit bien que quelqu'un par- vint, & qu'importoit qui de JNlarius ou de Sylla, de Céfar ou de Pompée, d'Odave ou d'Antoine fut l'ufurpateur? Quelque parti qui l'emportât l'u- furpation n'en étoit pas moins inévitable; il falloit. des chefs aux Armées éloignées, & il étoit fur qu'un de ces chefc deviendroit.lc. maître de l'Etat:. L E T T R E. 339 Au refte je n'excufe pas les fautes du Peu- ple Romain, je les ai dites dans le Contrat- Social; je l'ai blâmé d'avoir ufurpé la puiOTan* ce executive qu'il devoit feulement contenir (i). J'ai montré fur quels principes le Tribunat- devoit être inftitué , les bornes qu'on devoit lui donner, & comment tout cela fe pouvoit faire. Ces règles furent mal fuivies à Rome; el- les auroient pu l'être mieux. Toutefois voyez ce que fit le Tribunat avec fes abus, que n'eut- jl point fait bien dirigé? Je vois peu ce que veut ici l'Auteur des Lettres: pour conclurre contre lui-même j'aurois pris le même exemple-- qu'il a choifi. Le Tribunat ne faifoit pas à cela la moindre chofe.- Au refte, cette même fortie que fait ici l'Auteur des Lettres écrites de la Campagne fur les Tri- buns du Peuple, avoit été déjà faite en 17 15 par M. de Chapeaurouge Confeiller d'Etat dans un Mémoire contre l'Office de Procureur général. M. Louis Le Fort, qui rempliffoit alors cette charge avec éclat, lui fit voir dans une très belle lettre en réponfe à ce Mémoire, que le crédit & l'auto- rité des Tribuns avoient été le falut de la Républi- que , &. que fa deftruclion n'étoit point venue deux, mais des Confuls. Sûrement le Procureur général Le Fort ne prévoyoit gueres par qui fcroic renouvelle de nos jours le fentiment qu'il réfutoit- fi bien,. (i) Voyez le Côntraét Social Livre IV. Chap, V, Je crois qu'on trouvera dans ce Chapitre qui e(l fort court , quelques bonnes maximes fuï cette matière. 540 N E U V' I E M iT Liais n'allons pas chercher fi loin ces ilIiuTrcs exemolcs , fi faftueux par eux -mômes, & iî trompeurs par leur application. Ne laifTez point forger vos chaînes par Tamour- propre. Trop petits pour vous comparer à rien , rcficz en vous mêmes, & ne vous aveuglez point fur vo- tie pofition. Les anciens Peuples ne font plus un modèle pour les modernes; ils leur font trop étraiigers à tous égards. Vous furtout, Géne- Tois , 'gardez votre place , & n'allez point aux objets élevés qu'on vous préfente pour vous ca- cher l'abyme qu'on creufe au devant de vou?. Vous n'êtes ni Romains , ni Spartiates; vous n'êtes pas même Athéniens. Laifltz là cesgrands noms qui ne vous vont point. Vous êtes de» Marchands, des Artifans, des Bourgeois , tou- jours occupés de leurs intérêts privés de leur travail de leur trafic de leur gain ; des gens pour qui la liberté même n'cfl: qu'un moyen d'acqué- rir fans obflacle & de poOlider en fureté. Cette fiiuation demande pour vous des maxi- jnes particulières» N'étant pas oififs comme c- toient les anciens Peuples , vous ne pouvez comme eux vous occuper fans ceffe du Gouver- nement: mais par cela même, que vous pouvez moins y veiller de fuite, il doit être inilitué de manière qu'il vous foit plus aifé d'en voir les pjanœuvreg & de pourvoir aux abus. Tout foin public que votre iniérçt exige doit vous être rendu LE T T R E> 34Î' rendu d'autant plus facile à remplir que c'eft un foin qui vous coûte & que vous ne prenez pas volontiers. Car vouloir v©us en décharger tout- à-fait c'efl: vouloir cefTer d'être libres. Il faut opter, dit le Philofophe bienfaifant , & ceux qui ne peuvent fupporter le travail n'ont, qu'à chercher le repos dans la fervitude. Un peuple inquiet défœuvré remuant, &-, faute d'affaires particulières tOHJours prêt à le mêler de celles de l'Stat, a befoin d'être cou- tenu , je le- fais; mais encore un coup la Cour- geoifie de Genève eft-elle ce Peuple -là? Rien n'y relfemble moins ; elle en eft l'antipode. Vos Citoyens, tout abforbés dans leurs occupations domcftiques & toujours froids fur le relie , ne fongent à l'intérêt public que quand le leur propre efl: attaqué. Tiop peu foigneux declai- rer la conduite de leurs chefs, ils ne voyent les fers qu'on leur prépare que quand ils en fen- tent le poids. Toujours diftraits, toujours trom* pés^ toujours fixés fur d'autres objets, ils fe laiffent donner le change fur le plus important de tous, & vont toujours cherchant le remè- de, faute d'avoir fu prévenir le mal. A force de compafler leurs démarches ils ne les font jamais qu'après coup. Leurs lenteurs les. au- roient déjà perdus cent fois fi l'impatience dtt M;igiftrat ne les eut fauves, & fi, prelTé d'exer- cer ce pouvoir fuprême auquel il afpire, il F 5' '34* N E U V I E M E ne les eut lui-même avertis du danger,. Suivez l'hiftorique de votre Gouvernement, vous verrez toujours le Confeil, ardent dans fes entreprifes , les manquer le plus fouvent par trop d'empreffement à les accomplir , & vous verrez toujours la Bourgeoifie revenir en- fin fur ce qu'elle a laiffé faire fans y mettre op. pofition. En 1570. l'Etat étoit obéré de dettes & afBi- gé de plufieurs fléaux. Comme il étoit mal aifé dans la circonïlance d'afl"embler fouvent le Con. feil général, on y propofe d'autorifor les Con- feils de pourvoir aux befoins préfens :: la pro- pofition palTe. Ils partent de-là pour s'arroger. ]e droit perpétuel d'établir des impôts , & pen- dant plus d'un fiécle on les laiffe faire fans la SHoindre oppoHtion. En 171 4. f^n f;iit par des vues fecrettes (k). Vcntreprife immenfe & ridicule des fortifica- tions, fans daigner confulter le Confeil géné- îal, & contre la teneur des Edits. En confé- «luence de ce beau projet on établit pour dix afls des impôts fur lefquds on ne le confukc. jtas davantage. Il s'élève quelques plaintes ; on ics dédaigne; & tout fe tait. En 1725 le. terme des impôts expire; il s'a» (ik) Il ca » été padé ci- devant.- L ET T RE. 3^3 > gic de les prolonger. C'étoit pour la Bourgeoi- fie le moment tardif mais néceffaire de reven- diquer fon droit négligé fi lonjtems. Mais la pelle de^Iarfeille & la Banque royale ayant dé- .rangé le commerce, chacun occupé des dan- gers de fa fortune oublie ceux de fa liberté. Le Confeilï qui n'oublie pas fes vues, renou- velle en Deux- Cent les impôts, fansqu'il fok queftion du Confeil général. A l'expiration du fécond terme les Citoyens^ fe réveillent, & après cent foixante ans d'in- dolence, ils réclament ennn tout de bon leur droit. Alors au lieu de céder ou temporifer, on trame une çonfpiration (/). Le complot fe dé* (0 11 s'agilToit de former , par une enceinte bar- ricadée , une efpece de Citadelle autour de l'élé- vation fur laquelle efl: l'Hôtel-de- Ville , pour alTer. vir de là tout le Peuple. Les bois déjà préparés pour cette enceinte, un plan de dirpofltion pour la garnir , les ordres donnés en conféquence aux Capitaines de la garnifon , des tranfports de muni- tions & d'armes de l'Arfenal à l'Hôtel -de- Ville, le tamponnement de vingt -deux pièces de canon dans un boulevard éloigné , le tranfmarchement clandellin de plufièurs autres ; eu un mot tous les apprêts de la plus violente cntreprife faits fans l'a- veu des Confeiis par le Syndic de la garde & d'au- tres Magiftrats , ne purent fuffire , quand tout cela fut découvert , pour obtenir qu'on fit le procès aux coupables , ni même qu'on improuvàt nettement . leur projet. Cependant la Bourgeoifie, alors maî- trèfle de la Place , les laifla paifiblemeni Ibîtir foas P C -3-44 N E U V I E ME couvre; le^ Bourgeois font forcés de prendre les armes, & par cette violente entreprife le Confeil perd en un moment un fiécle d'ufurpa- tion. A peine tout femble paciiîiî que, ne pou. Tant endurer cette efpece de d^jfaite, on for- n^.e un nouveau complot. Il faut derechef re- courir aux ariiTes; les Puiffances voifincs inter- viennent, & les droits mutuels font enfin réglés. En 1650. les Confeils inférieurs introduifent dans leurs corps une manière de recueillir lés fuffragcs, meilleure que celle qui eft établie, mais qui n'tflr pas conforme aux Edits. Oiî continue en Confeil général de fuivre l'ancien- ne où fe glilTent bien des abus, & cela dure cin- quante ans & davantage, avant que les Citoyens fongent cà fe plaindre de la- contravention ou à demander l'Iatroduftion d'un pareil ufage dans k Confeil dont ils font membres. Ils la deman. dent enfin , & ce qu'il y a d'incroyable eft qu'on leur oppofe tranquillement ce même Edit qu'an viole depuis un demi-fiécle. . En 1707. un Citoyen eft jugé clandeftine- -• troubler leur retraite , fans leur faire la moindre in fuite , fans entrer dans leurs maifons, fans in- quiéter leurs familles , fans toucher à rien qui leur apnartint. En tout rutre pays le Peuple eut com- mencé par mafiacrer ces confpiraceurs , &. mettre leurs maifons au pillage; lettre; 34-5 ment contre les Loix , condanné , arr]iieburé dans la prifon, un autre eil pendu fur la dépo- fition d'un feul faux-témoin connu pour cel, un autre cû trouvé mort. Tout cela pafle, & il n'en tft plus parlé qu'en 1734. que quelqu'un s'avife de demander au Magillrat des nouvelles du Citoyen arquebufé trente ans auparavant. lùî 1736 on' érige des Tribunaux criminels fans Syndics. Au milieu des troubles- qui ré- gnoient alors , les Citoyens , occupés de tant d'autres affaires, ne peu^-ent fonger à tout. En 1758. on repe-te la même manœuvre; celui qu'elle rcgnrde veut fe plaindre ; on le fait tai- re, & tout fe tait. En 1762. on la renouvel- le encore (in) : les Citoyens fe plaignent enûn (in) Et à quelle occaficn ! Voila une inquifitiorî d'Etat à faire fr'émir. Eft-il cojicevable que dans un pays libre on punilTe criminellement un Citoyen pour avoir, dans une lettre à un autre Citoyen nvDa imprimée , raifonné en termes décens & mefurés fur la coi^duite du Magiftrat envers un troifieme Ci- toyen ? Trouvez - vous des exemples de violences pareilles dans les Gouvernemens les plus abiblus? A la retraite de M. de SiilioucLte je lui écrivis une Lettre qui courut Paris. Cette Lettre étoit d'une hardielTc que je ne trouve pas moi - même exempte de blâme; c'eft peut-être la feule chofc répréheiiii- ble que j'aye écrite en ma vie. Cependant m'a-t-on dit le moindre mot à ce fujet? On n'y a pas même fongé. En France on punit les libelles; on fait très bien ; mais on liùife aux particuliers une liberté P 7 346 NE U V r E M E l'année fulvante. Le Confeil répond; vous ve*' nez trop tard ; l'ufagc cfl: établi. ïji Juin 1762. un Citoyen que le Confeil' avoit pris en Iiaine efl: flétri dans fes Livres, & perfonncUement décrété contre l'Edit le plus- formel. Ses parens étonnés demandent par re- quête communication du décret ; elle leur eft. refuCée, & tout fe tait. Au bout d'un an d'at- tente le Citoyen flétri voyant que nul ne pro-- telle renonce à fon droit de Cité, La Bourgeoi- fie ouvre enfin les yeux & réclame contrclavio-- lation de la Loi : il n'étoit pliis tems. Un fait plus mémorable par fon efpece,. quoiqu'il ne s'agiffe que d'une bagatelle eft celui du Sieur Lardin. Un Libraire commet à fon correfpondant des exemplaires d'un Livre nou- veau; avant que les exemplaires arrivent le Li- vre eft défendu. Le Libraire va déclarer au Magiftrat fa commiflion, & demander ce qu'il doit faire. On lui ordonne d'aveiLir quand les exemplaires arriveront; ils arrivent, il les dé- honncte de raifonner entre eux Çui les affaires pu- bliques , & il eft inoui qu'on ait cherché querelle à quelqu'un pour avoir , dans des lettres reftées ma- nufcrites, dit fon avis, fans fatyre à fans inveûive, fur ce qui fe fait dans les Tribunaux. Après avoir tant aimé le Gouvernement républicain faudra-t-il changer de fentiment dans ma vieliaslTe , & trouver enfin qu'il y a plus de véritable libffté dans les Mc- naichies qi^c daiis nos République^ n E T T R E.. 34?^ dàre, on les faifit; il attend qu'on les lui ren- de ou qu'on les lui paye ; on ne fait ni l'un ni' l'autre: il lés redemande, on les garde. Il; préfente requête pour qu'ils foient renvoyés,. Tendus, ou payés : On refufe tout. 11 perd fes^ Livres, & ce font des hommes publics chargés^ de punir le vol, qui les ont gardés. Qu'on pefe bien toutes les circonftances de • ce fait , & Je doute qu'on trouve aucun autre exemple femblable dans aucun Parlement, dans- aucun Sénat, dans aucun Gonfeil, dans aucun Divan, dans quelque Tribunal que ce puifTe être. Si l'on vouloit attaquer le droit de pro- priété fans raifon fans prétexte & jufques dans^ fa racine, il feroit impoflible de s'y prendre - plus ouvertement. Cependant l'affaire paffc , toute le monde fe tait , & fans des griefs plus graves il n'eut jamais été queftion de celui-là. Combien d'autres font reftés dans l'obfcurité' faute d'occafions pour les mettre en évidence ? Si l'exemple précédent ell peu important en- lui -môme, en voici un d'un genre bien diffé- rent. Encore un peu d'attention, Moufieur,. pour cette affaire , & je fup|>rime toutes celles ' que je pourrois ajouter. Le îo Novembre i7<53 au Confeil général' afferablé pour l'^leftion du Lieutenant & da: ïréforier, les Citoyens remarquent une diffé. lencc.. entre i'Edit iaiprimé qu'ils ont & l'Edic- 54? N' E U V r E M E' manufcrit dont un Secrétaire d'Etat fait Iei?tiirex en ce que l'élection du Tréforier doit par le premier fe faire avec celle des Syndics, & pat le fécond avec celle du Lieutenant. Ils remar- quent , de plus" , que l'élection du Tréforier qui félon l'Edit doit fe faire tous les trois ans-, ne fe fait que tous les fix ans félon l'ufage , 6c qu'au bout des trois ans on fe contente de pro- pofcr la confirmation de celai qui efl: en placo. Ces différences à\i texte de la Loi entre le Manufcrit du Cônfeil & l'Edit imprimé, qu'on n'avoit point encore obfervées , en font remar- quer d'autres qui donnent de Tinquiétude fur le refte. Malgré l'expérience qui apprend aux Citoyens l'inutilité de leurs Répréfentations les mieux fondées, ils en font à ce fujet de nou- velles , demandant que le texte original des Edits foit dépofé en Chancellerie ou dans tel autre lieu public au choix du Confeil, où l'on puilTe comparer ce texte avec l'imprimé. Or vous vous rappellerez, Monfieur, que par l'Article XLII de l'Edit de 1738 iU-ft di't qti'on fera imprimer au- plutôt- un Code général des Loix de l'Etat , qui contiendra tous les Edits & Réglemens. II n'a pas encore été quef- tion de ce Code au bout de vingt fix ans , & les Citoyens ont gardé le filence Qi). .. .('() De. quelle excufe de quel prétexte peut -en lettre; 345 Vous vous rappellerez encore que, dans un Mémoire 'imprime en 1745 , v.n r.embre prof- c^iic des Deux - Cents jetta de violens i'oupçons for h fidélité des' Euits imprimés en 1713 S réimprimés eil ly.VS. deux époques également fufpeftes. Il dit'avoircollationné fur des Edits nianufcrics ces imprimés , dans lefquels il affir- me avoir trouvé quantité dtrreurs dont il a fait note , & il rapporte les propres teraies d'un Edit de 155(5, omis tout: entier dan^ l'im- primé. A des imputations fi graves le Conferl li'a rien répondu, & les Citoyens ont gardé le liîénce. Accordons , fi l'on veut , que la dignité dix Confcil ne lui permettoit pas de répondre alors aux imputations d'un profcrit. Cette même di- gnité, l'honneur compromis , la fidélité fufpec- tce exigeoient maintrenant une véridcation que couvrir Tinobfervation d'un Article aufîî exprès A aufîî important? Cela ne fe conçoit pas. Quand par hazard on en parle cà quelques Magiftrats en cor»- A'erfition , ils répondent froidement. Chaque Edit particulier -eji imprimé, rajfsmblez-les. Comme ii l'on étoit fur que tout fut imprimé , & comme fi le re- cueil de ces chiffons fonnoit un corps de Lorx complet , un code général revêtu de l'authenticité requife & tel que l'annonce l'Article XLII ! Kit -ce sinfi que ces Mefïieurs rempliffent un er.gagemcrjC aufîî formel ? Quelles conféquences fmiltres ne pourroit-on pas ùier de pareilles omilîious'? 3SO N E U V 1 E Kf ir tant d'indices rendoient nécelTaire , & que ceux: gui la demandoicnt avoient droit d'obtenir. Point du tout. Le petit Confeil juflifie le changement fait à TEdit par un ancien ufage auquel le Confeil général ne s'étant pas oppo- fé dans fon origine n'a plus droit de- s'oppofer aujourd'hui. 11 donne pour raifon de la différence qui efl entre le Manufcrit du Confeil & l'imprimé, que ce Manufcrit eft un recueil des Edits avec les changemens pratiqués , & confentis par le filence du Confeil général ; au lieu que l'im- primé n'effc que le recueil des mêmes Edits, tels qu'ils ont paffé en Confeil général. Il juftifie la confirmation du Tréforier con- tre l'Edit qui veut que l'oa en élife un autre , encore par un ancien ufage. Les Citoyens ji'apperçoivent pas une contravention aux Edit» qu'il n'autorife par des contraventions antérieu- res : ils ne font pas une plainte qu'il ne rebu- te, en leur reprochant de ne s'être pas plaints plutôt.. Et quant à la communication du texte origi- nal, des Loix, elle cfl: nettement refufée (o) ; (o) Ces refus fi durs & fi fùrs à toutes les Répre- fentations les plus raifonnables & les plus juftes pa- rtirent peu naturels. ElVil concevable que le Con- feil de Genève , . compofé dans ft majeure partie d"hommes éclairés & judicieux, n'ait, pas fenu le LETTRE. 25ÏT fôit comme étint contraire aux règles; Toit par- ce que les Citoyens & Bourgeois ne doivent con- nuître d'autre texte des Loix que le texte imprimé,. quoique le petit Confeil en faive un autre &u le faffe fuivre en Confeil général (p). Il eft donc contre les règles que celui qui a; palTé un a6te ait communication de l'original de Cet aéte, lorfque les variantes dans les copies les lui font foupçonner de fallîQcation ou d'in- correction, & il eil dans la règle qu'on ait deux. fcandale odieux & même effrayant de refufer à des- hommes libres, à des membres du Légiflateur, la communication du texte authentique des Loix, &: de fomenter ainfî comme à plaifir des foupçons pro- duits par l'air de myllere & de ténèbres dont il s'environne fans celle à. leurs yeux? Pour moi, je. penche à croire, que ces refus lui coûtent, mais qu'il s'eft prefcrit pour règle de faire tomber l'ufage des Répréfentations , par des réponfes conflaramcnt. négatives. En effet eft-il à préfumer que les hom- mes les plus patiens ne fe rebutent pas de deman- der pour ne rien obtenir ? Ajoutez la propofîtioa déjà faite en Deux- Cent d'informer contre les Au- teurs des dernières Répréfentations, pour avoir ufé- d'un droit que la Loi leur donne. Qui voudra dé- formais s'expofer à des pourfuites pour des démar- ches qu'on fait, d'avance être fans fuccès ? Si c'ell là le plan que s'eft fait le petit Confeil , il faut avouer qu'il le fuit très bien.. (/)) Extrait des Regiftres du Confeil du 7; Dé- cembre 1763 en réponfe aux Répréfentations ver- bales faites le 21. Novembre par lis Citoyens oii: Uoiirgeois.. :,3^ N E-U V r E M 3 difFérens textes des mêmes Loix, Tan pour le* particuliers & l'autre pour le Gouvernement 1 Ouïtes-vous Jamais rien de femblable ? Et tou- tefois fur toutes ces découvertes tardives, fur tous ces refus révokans , les Citoyens, écon- duits dans leurs demandes les plus légitimes, fe taifent, attendent, & demeurent en repos. Voila, Monfieur , des faits notoires dan* votre Ville , & tous plus connus de vous que de moi; j'en pourrois ajouter cent autres, fans, compter ceux qui me font échapés. Ceux - ci fufîiront pour juger fi la Bourgcoifie de Genève eft ou fut jamais, je ne dis pas remuante & fé- ditieufe , mais vigilante , attentive , facile à s'émouvoir pour défendre fes droits les mieux établis & le plus ouvertement attaqués? On nous dit qu'une Nation vive , ingénieufe ^ très occupée de fes droits politiques aurait art extrême befoîn de donner à jon Gouvernement uni force négative (q). En expliquant cette force négative on peut convenir du principe ; ma:s eft-ce à vous qu'on en veut faire l'application V A-t-on donc oublié qu'on vous donne ailleurs plus de fang-froid qu'aux autres Peuples (r)? Et comment peitt-'on dire que celui de Genève s'occupe beaucoup de fes droits politiques» quand on voit qu'il ne s'en occupe jamais que (5) Page 170. (0 Page 154. î, -E T T R E. 551 tard, avec répugnance, & feulement quand le -péril le plus preiïant l'y contraint ? De forte qu'en n'attaquant pas fi brufqueinent les droits de la Bourgeolfie , il ne tient qu'au Confeil qu'elle ne s'en occupe jamais. • ■Mettons un moment en parallèle les deux p?.rtis pour juger duquel l'aftivité eft le plus à craindre, & où doit être placé le droit négati=f ■pour modérer cette activité. D'un côté je vois un peuple très -peu nom- brcux , paifible & froid , compofé d'hommes laborieux, amateurs du gain, foumis pour leur propre intérêt aux Loix & à leurs Miniftres., .tout occupés de leur négoce ou de leurs mé- tiers; tous, égaux par leurs droits & peu dif- tingués par la fortune, n'ont entre eux ni chefs ni clicns; tous, tenus par leur comm.erce par leur état par leurs biens dans une grande dé- •pendance du Magiftrat, ont à le ménciger; tous craignent de lui déplaire; s'ils veulent fe mêler des affaires publiques c'eft toujours au préjudi- ce des leurs. Diftraits d'un côté par des objets plus intéreffans pour leurs familles; de l'autre, arrêtés par des confidérations de prudence, par l'expérience de tous les tems , qui leur apprend combien dans un aulîî petit Etat que le vôtre où tout particulier eft inceffamment .ous les yeux du Confeil il eft dangereux de l'offcnfer, ils font portés par les raifous les plus fortes à tout 354 "NEUVIEME facrifier à la paix,* car c'eft par elle feule qu'ils ^peuvent profpérer; & dans cet état de chofes chacun trompé par fon intérêt privé aime enco- re mieux être protégé qii^ libr^, & fait fa cour pour faire fon bien. De l'autre côté je vois dans une petite YiN le, dont les affaires font au fond très peu de chofe, un corps de JVIagiftrats indépendant & perpétuel, prefque oifif par état, faire fa prin- cipale occupation d'un intérêt très grand , & très naturel pour ceux qui commandent, c'eft d'accroitre inceflamment fon empire; car l'am- bition comme l'avarice fe nourrit de fes avan- tages , & plus on étend fa puifTance, plus on eft dévoré du défir de tout pouvoir. Sans cefie attentif à marquer des diuances trop peu fenfi- bles dans fes égaux de naiffance, il ne voit en eux que fes inférieurs , & brûle d'y voir fes fujets. Armé de toute la force publique , dé- -pofitaire de toute l'autorité , interprète & dif- penfateur des Loix qui le gênent, il s'en fait une arme ofFenfive & défenfive, qui le rend redoutable, refpcdable, facré pour tous ceux qu'il veut outrager. C'eft au nom même de la Loi qu'il peut la tranfgreirer impunément. Il peut attaquer la conftitution en feignant de la défendre; il peut punir comme un rebelle qui- conque ofe la défendre en effet. Toutes les cntreprifes de ce corps lui deviennent faciles i 1. E T T Pv E. 555 il ne laiflTe à perfonne le droit de les arrêter ni d'en connoître: il peut agir , différer, 'fufpen- dre; il peut féduire effrayer punir ceux qui lui réfiftent, & s'il daigne employer pour cela des prétextes., c'eft plus par bienféance que par nécefîîté. Il a donc la volonté d'étendre fa puiffance , & le moyen de parvenir à tout ce qu'il veut. Tel eft l'état relatif du petit Con- feil & de la Bourgeoifie de Genève. Lequel de ces deux corps doit avoir le pouvoir négatif ■pour arrêter les entreprifes de l'autre? L'Au- teur des Lettres affure que c'eft le premier. Dans la plupart des Etats les troubles inter- nes viennent d'une populace abrutie & ftupide,- échauffée d'tibord par d'infupportables vexa- tions , puis ameutée en fecret par des brouil- lons adroits, revêtus de quelque autorité qu'ils veulent étendre. Mais eft-il rien de plus faux qu'une pareille idée appliquée à la Eourgeorfie de Genève, à fa partie au moins qui fait face à la puiffance pour le maintien des Loix? Dans tous les tems cette partie a toujours été l'ordre moyen entre les riches & les pauvres , entre les chefs de l'Etat & la populace. Cet ordre, compofé d'hommes à-peu-près égaux en fortu- ne, en état, en lumières, n'efl: ni affez élevé pour avoir des prétentions, ui affez bas pour n'avoir rien à perdre. Leur grand intérêt leur intérêt cçmnmn efi; que les Loix foient obfer- 35« N E U V I E M vS vées, les Magiftiats rerpe3:cs, que la conflitU' tion fe foutienne & que TEtat foit tranquille. Perfonne dans cet ordre ne jouît à nul t'garJ d'une telle fupériorité furies autres qu'il puilTe les mettre en jeu pour fon intérêt particulier. G'eft la plus faine partie de la République, la feule qu'on foit afTuré ne. pouvoir dang fa conr duite fe propofer d'autre objet que le bieri de tous. Auffi voit-on toujours dans leurs déinar- cbes communes une décence , une modellie, une fermeté refpcclueufe, une certaine gravité d'bommes qui fe fentcnt dans leur droit & qui fe tiennent dans leur devoir. Voyez , au con- traire , de quoi l'autre parti s'étaye; de gens qui nagent dans l'opulence , & du peuple le plus abjeét. Eft-ce dans ces deux extrêmes, l'un fait pour acheter l'autre pour fe vendre, qu'on doit chercher l'amour de la juftice & des loix,^ Ceû par eux toujours que l'Etat dégénère : Le fiche tient la Loi dans fa bourfe , & \'C paiïvre aime mieux du pain que la liberté. Il fuffit de .comparer ces deux partis pour juger lequel doLt porter aux Loix la première atteinte ; & cher- diez en efFet dans votre hifloire fi tous les complots ne font pas toujours venus du côté de la. Magiftrature , & fi jamais les Citoyens ont eu recours à la force que lorfqu'il l'a fallu pour s'en garantir ? On raille, fans doute, quand, fur les con- L E T T R E. 357. féquences du droit que réclament vos Concito- yens , on vous répréfente l'Etat en proye à la brigue, à la féduaion, au premier venu. Ce- droit négatif que veut avoir le Confeil fut in- connu jufqu'ici; quels maux en cfl-il arrivé? II en fut arrivé d'afFreux s'il eut voulu s'y tenir quand la Bourgeoifie a fait valoir le ficn. Ré- torquez l'argument qu'on tire de deux cents ans deprofpérité; que peut-on répondre? CeGou-, vernement , direz -vous, établi par le tems, foutenu par tant de titres, autorifé par un fî longufage, confacré par fes fuccès, & où le droit négatif des Confeils fut toujours ignoré, n« vaut-il pas bien cet autre Gouvernement ar- bitraire, dont nous ne connoiiTons encore ni les propriétés , ni fes rapports avec notre bon- heur, & où la raifon ne peut nous montrer que le comble de notre miferc? Suppofer tous les abus dans le parti qu'on at- taque & n'en fuppofer aucun dans le fien, efl un fophifme bien groffier & bien ordinaire, dont tout homme fenfé doit fe garantir. Il faut fuppofer des abus de part & d'autre , parce qu'il s'en glifle par tout ; mais ce n'eft pas à dire qu'il 7 ait égalité dans leurs conféquences. Tout abus eft un mal, fottvent inévitable, pour lequel on ne doit pas profcrire ce qui eft bon en foi. Mais comparez, & vous trouverez d'un côté des maux fûrs, des maux terribles fans borne à fans fin; de l'autra l'abus même dilfi- Q 358 NEUVIEME cile, qui s'il eft grand fera pafTager, & tel. que quand il a lieu il forte toujours avec lui fon remède. Car encore une fois il n'y a de liberté poffible que dans rcbfervation des Loix ou de la volonté générale, & il n'efl pas plus dans la volonté générale de nuire à tous , que dans la vo'onté particulière de nuire à foi-mÔme. Mais fuppofons cet abus de la liberté auffi naturel «nie l'abus de la puiirance. 11 y aura toujours cette différence entre l'un & l'autre, que l'abus de la liberté tourne au préjudice du peuple qui en abufe, & le puniiTant de fon propre tort le force à en chercher le remède ; ainfi de ce côte le mal n'eft jamais qu'une crife, il ne peut fai. re un état permanent. Au lieu que Tabus de la puiffance ne tournant point au préjudice du puiiï-ant mais du foible, cft par fa nature fans «efure fans frein fans limites: Il ne finit que mr la deftruftion de celui qui feu! en reflTent le Ll Dirons donc qu'il faut que le Gouverne- œent appartienne au petit nombre, l'infpedlioti fur le Gouvernement à la généralité, & que U de part ou d'autre l'abus eft inévitable, il vaut encore mieux qu'un peuple foit malheureux par fa faute qu'opprimé fous la main d'autrui. • Le premier & le plus grand intérêt public eft toujours la juftice. Tous veulent que les con- ditions foient égales pour tous , & la juftice n'eft que cette égalité. Le Citoyen ne veut que le» Lois & que l'obfcrvaùoo des Lou. Chaque L E t T R Ë. 3eut fe diriger fans peine. L'AutCLir des Lettres dit que 7* on remarqucii dans un Gouvernement ttne pente à la violence il ne. faudrait pas attendre à h reûreffer que la Tyrannis ïy fut fortifiée {f). U dit encore, en fuppoiant un cas qu'il traite à la vérité de chimère, qu"z7 rejleroit un remède trtjîe mais légal , ^ qui d.ins ce cas extrême foiirroit être employé comme on em- ployé la main d'un Chirurgien , quand la gangrène fe déclare (v). Si vous êtes ou non dans ce cas fuppofé chimérique, c'eft ce que je viens d'exa- miner. Mon confeil n'eft donc plus ici néceiTai- re; l'Auteur des Lettres vous l'a donné pour moi. Tous les moyens de réclamer contre l'in- juftice font permis quand ils font paiûbles, & plus forte Taifon font permis ceux qu'autorifent les loix. Quand elles font tranfgrefTées dans des cas particuliers vous avez le droit de Répréfentation pour y pourvoir. Mais quand ce droit même eft contefté , c'ert le cas de la garantie. Je ne l'ai point mife au nombre des moyens qui peuvent rendre efficace une Répréfentation , les Média- teurs eux-mêmes n'ont point entendu l'y mettre, puifqu'ils ont déclaré ne vo.iloir porter nulle atteinte à l'indépendance de l'Etat, & qu'alors, (0 Page 172. (ï) Page loi. LETTRE. 367 cependant, ils auroient mis, pour ainfî dire, la Clef du Gouvernement dans leur poche (x). Ain fi dans le cas particulier l'efFei des- Répré- fentations rejettées efl: de produire un Confeil général; mais l'efFet du droit même de Répré- fcntation rejette paroit être le recours à la ga- rantie. 11 faut que la machine ait en elle-même tous les relTorts qui doivent la faire jouer : quand elle s'arrête, il faut appeller l'Ouvrier pour la remonter. Je vois trop où va cette rcfTource, & je fens encore mon cœur patriote en gémir. Auflî, je le répète, je ne vous propofe rien ; qu'oferois-je dire ? Délibérez avec vos Concitoyens & ne comptez les voix qu'après les avoir pefées. Dé- fiez-vous de la turbulente jeuneffe, de ropaien- ce infolente & de l'indigence vénale; nul falu- taire confeil ne peut venir de ces côtés-là. Con- fultez' ceux qu'une honnête médiocrité garantit des féduflions de l'ambition & de lamifere; ceux dont une honorable vieillefTe couronne une vie fans reproche; ceux qu'une longue expérience (x) La conféquence d'un tel fyftême eut été d'é- tablir un Tribunal de la Médiation réfident à Genè- ve, pour connoître des tranfgrcflîons des Loix. Par ce Tribunal la fouveraineté de la Républiq ;e eut bieniô': ùi't déuuite. umIs la liberté des Citoyens eut été beauc:)up plus ailurée qu.'le ne p-.at l'être fi l'on ôtc le droit de Répréfentation. Or de n'être Souverain que de nom ne fi;;nitle p^^'S grand'-chofe, Misdà d'être libre en effet r:guiac; beaucoup. 3'58 NEUVIEME LETTRE. a verfés d^ins les affaires publiques; ceux qui, fans ambition dans l'Etat n'y veulent d'autre rang que celui de Citoyens; enfin ceux qui n'a- yant jamais eu pour objet dans leurs démarches que le bien de la patrie & le maintien des Lois, ont mérité par leurs vertus l'cftime du public, & la confiance de leurs égaux. Mais furtout réuniflez- vous tous. Vous êtes perdus fans reffource fî vous reftez divifés. Et pourquoi le feriez-vous, quand de û grands in- térêts communs vous unifient;? Comment dans un pareil danger la bafie jaloufie & les petites paflîons ofent- elles fe faire entendre? Valent- elles qu'on les contente à fi haut prix,& faudra- t-il que vos cnfans difent un jour en pleuvant fur leurs fers; voila le fruit des diiïentions de nos porcs? En un mot^ il s'agit moins ici de dé- libération que de concorde; le choix -du parti que vous prendrez n'eft pas la plus grande af- faire : Fut- il mauvais en lui-même, prenez -le tous enfemblc ; par cela feul il deviendra le meilleur, & vous ferez toujours ce qu'il faut faire pourvu que vous le faflîez de concert. Voi- la m.on avis, Monfieur, & je finis par où j'ai commencé. En vous obéiffant j'ai rempli mon dernier devoir envers la Patrie. Maintenant je prends con^é de ceux qui ihabicciit ; il ne leur relie aucun mal à me faire, & je ne puis plus leur faire aucun bien. FIN. FAUTES ^^ÉCESSAIRES A CORRIGEE. JLj'Auteur n^ayant pu fuivre Vim- prejjîon de fes feidlks ^ des fautes de co- pie dans le Manufcrït ^ des qui-pro- quo de VImprimeur dans les renvois , cnt rendu plufeurs e .droits inintelligi- bles j furtout dans la quatrième Lettre» Les correBions en feraient trop longues à indiquer ^ ù' le LeBeur ne prendrait pas la peine de les faire. On fe borne à marquer ici les plus faciles fur des fautes qui font équivoque ou contrs- fens j* on néglige toutes les autres. Page 80 ligne 18. L'imprudence, Ufe^ l'impudence. — p2 1^ tout émerveillés , life^ tout émerveillées. i^^.La ligne iS Gr les deux fuivantes ne doivent point former un à linea^niêtre en ita- lique j mais s'écrire à la fuite de celles qui précé- dent y &* du même ca- raBsre» Tage 158, Vignz 14: feTwof dît-on , doit être mis en luilique comme le rejîe ée la ligne, — ly^ 5 pafTer , ajoiltei un* virgule. • — 183 — 17 d'intérêt & , life^ d'in- terét ou. ^— 23 j* — 1 1 Avant d'avoir affez affermi leur puifTance , ils voulurent ufurper le droit de mettre des impôts. Efface^ cette phrafe &* fuhftituèi celle-ci. Ils avoient doucement ufurpé le droit de met- tre les impôts : avant d'avoir "aflez affermi leur puifTance ils vou- lurent abufer de ce droit. ——2 5^4 — 22 pour ainfî , ^joure^' dire, ——285 I qui ne fut, /i/è^ qui fut, 50; j- effacei à. ^, ^ .V u m § ^ mujm ^.-é. \ '\ ler' ■'^i»